La première recommandation est bien entendu de prendre en compte le retour d’une « menace de la force » en Europe.
La Russie a une conception classique des relations internationales, fondée sur la notion de puissance et sur les rapports de force. Si elle ne rencontre pas de résistances, elle continuera à pousser ses pions conformément à ses objectifs : la reconquête de son rang et de sa puissance.
Pour être crédibles, nous devons donc faire preuve de fermeté en renforçant nos capacités militaires, à l’échelle nationale, au niveau de l’OTAN et peut-être aussi à l’échelle de l’Europe de la défense, qui mériterait également un débat.
Ensuite, la France devrait se doter d’une stratégie globale et cohérente à l’égard de la Russie.
Il faut bien admettre qu’au cours des vingt dernières années notre politique extérieure s’est parfois révélée peu lisible – ce constat ne vaut ni pour toutes les périodes ni pour l’ensemble des gouvernements.
La Russie recherche avant tout une reconnaissance, de la stabilité et de la prévisibilité dans ses relations diplomatiques. Aussi, à notre sens, la France devrait avoir pour stratégie d’aider la Russie à reprendre toute sa place sur la scène internationale, et ce, bien entendu, dans le respect du droit.
À cette fin, notre diplomatie devrait peut-être s’efforcer de tester la bonne volonté russe, en acceptant un dialogue approfondi sur les dossiers en cours, y compris la difficile question syrienne.
Ce constat étant dressé, comment mettre en œuvre cette stratégie ?
Selon nous, cette politique trouverait à s’appliquer concrètement de deux manières.
D’une part, elle pourrait s’inscrire dans la poursuite des efforts que la France mène, dans le cadre du format Normandie, pour faire appliquer les accords de Minsk et obtenir la résolution de la crise en Ukraine.
D’autre part, la France devrait faire savoir dès à présent qu’elle souhaite une levée graduelle des sanctions si le cessez-le-feu est respecté – cela semble être le cas – et si les élections qui s’annoncent se déroulent conformément aux engagements pris. Peut-être faudrait-il commencer par mettre un terme aux sanctions diplomatiques et aux mesures visant des personnes non directement liées aux événements en Ukraine. Ces dispositions sont sans doute les plus humiliantes.
À ces suggestions s’ajoute un autre volet de recommandations : que la France prenne l’initiative d’un dialogue renouvelé avec la Russie, portant sur les questions de sécurité et de développement économique en Europe.
Dans ce cadre, l’Allemagne et la France seraient bien sûr des moteurs. Cependant, il importe d’y impliquer largement la Pologne. Cet État a un rôle essentiel à jouer pour désamorcer les tensions entre la Russie et les pays d’Europe orientale.
Soyons réalistes : avant d’aboutir, ce dialogue exigerait plusieurs années. Toutefois, nous souhaitons qu’il puisse se traduire par un accord semblable à l’Acte final d’Helsinki, permettant de réaffirmer notre attachement commun à la paix et à un certain nombre de grands principes, parmi lesquels l’inviolabilité des frontières en Europe.
En outre, peut-être faudrait-il réfléchir pour l’Ukraine à un statut de neutralité à l’égard des organisations militaires. C’est à ce pays de se prononcer en définitive. Les négociations pourraient aboutir à un résultat.
Enfin, la crise actuelle semble également liée à des problèmes de perception mutuelle et d’incompréhension. Aussi conviendrait-il de multiplier les contacts entre nos deux sociétés, russe et française.
Dans ce cadre, il nous paraît souhaitable de relancer les initiatives déjà engagées sur le front des visas et, pourquoi pas, d’envisager la suppression de ces titres à terme, bien entendu en lien avec l’Union européenne.
Mes chers collègues, à l’issue de nos travaux, nous convergeons pleinement vers la nécessité d’un équilibre entre fermeté et dialogue, pour éviter l’impasse.
La France a tous les atouts pour relever ce défi : son histoire, le génie de sa diplomatie et l’indépendance de son analyse. À présent, monsieur le ministre, c’est à vous de jouer !