Intervention de Cédric Perrin

Réunion du 15 octobre 2015 à 15h00
Débat sur le thème « la politique étrangère de la france : quelle autonomie pour quelle ambition ? »

Photo de Cédric PerrinCédric Perrin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, tous, quelle que soit notre place dans cet hémicycle, nous sommes parfois tentés de tenir un discours politique convenu ou des propos partisans. La matière qui m’amène à m’exprimer aujourd’hui rendrait cet exercice dangereux. L’importance de l’enjeu doit inhiber toutes les tentatives de récupération partisane.

Je souhaite en effet faire écho à nos travaux sur l’appréciation des conséquences géopolitiques du changement climatique.

Ce qui doit animer la politique étrangère française, à la veille de la COP 21, c’est d’abord le sentiment d’une responsabilité internationale historique, qui ne cessera pas au lendemain de la conférence, mais devra s’inscrire dans la durée.

Les enjeux sont en effet nombreux et multiformes. Chacune des difficultés que nous allons devoir surmonter, et surtout anticiper, mérite une réponse mondiale.

Ce sont d’abord des dommages croissants aux personnes et aux biens.

Les études les plus optimistes indiquent que le nombre de personnes touchées annuellement par une inondation serait de 93 millions à l’horizon 2080 et que, à l’horizon 2050, les dégâts causés par des événements extrêmes pourraient atteindre 1 000 milliards de dollars par an.

Ce sont ensuite des déplacements importants de populations : plus de 200 millions de personnes d’ici à 2 050, selon l’Organisation internationale pour les migrations, l’OIM.

Les États sous-développés, ou en voie de développement, si leur capacité de résilience n’est pas suffisante pour qu’ils s’adaptent et assurent une qualité de vie acceptable à leur population, transformeront les déplacements intérieurs en migrations internationales. Comment l’Europe s’y prépare-t-elle, alors qu’elle est aujourd’hui incapable de gérer l’accueil de quelques milliers de migrants ?

C’est enfin un risque accru de conflictualité et d’instabilité. Des États apparemment stables pourraient être mis sous tension et fragilisés par le changement climatique.

Bien évidemment, cette vulnérabilité croissante touche plus particulièrement les populations les plus pauvres et aggrave des situations déjà fragiles. Il faut y voir en quelque sorte un renforcement du risque de la faiblesse, un multiplicateur de menaces.

Le changement climatique est, par ailleurs, susceptible de modifier des équilibres régionaux, tels que celui qui existe en Arctique, emportant des conséquences potentiellement mondiales, puisque plusieurs grandes puissances coexistent dans cette région, tandis que d’autres, notamment en Asie, en suivent de près les évolutions.

Dans notre société de l’immédiateté, où le zapping de l’opinion publique s’oppose à une gestion à long terme, ces impacts sont jugés trop lointains et sont donc dramatiquement absents du débat public.

C’est pourquoi la France doit faire entendre sa voix dans le monde et promouvoir l’anticipation. Telle est notre responsabilité, elle est extrêmement importante et urgente.

Pour ce faire, il faut traiter avec sérénité les impacts décrits. Expliquer la réalité des évolutions en cours et les objectifs des décisions à prendre sans catastrophisme, sans nier la réalité s’impose. La protection des populations doit rester au cœur des échanges et passe par l’anticipation, l’information et la planification. Pour résoudre ces problèmes, il n’est nullement nécessaire de faire peur.

Pourtant, de façon un peu paradoxale, en cette année où la France préside et accueille la COP 21, la récente loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense ne fait pas référence au risque climatique, pourtant mentionné dans le Livre blanc de 2013.

Comme l’a souligné Jean-Pierre Raffarin, « la citation du changement climatique comme une menace et comme un facteur d’amplification des crises aurait été justifiée et cohérente par rapport au discours porté par la France. Elle traduit probablement une insuffisance de la réflexion stratégique française en ce domaine ». Cette absence de référence est une erreur révélatrice d’un attentisme inquiétant. Nous ne pouvons nous y résoudre.

Dans ce combat, l’endurance s’impose et l’une des étapes de ce marathon est la COP 21 et son indispensable accord pour la sauvegarde de notre « maison commune ».

L’abandon n’est pas envisageable, l’échec interdit. Trop de grandes conférences se sont enlisées, trop de discussions n’aboutissent pas.

Réussir la COP 21 est absolument nécessaire, mais aussi absolument insuffisant. Limiter les émissions de gaz à effet de serre afin de contenir le réchauffement en deçà de deux degrés Celsius constitue en soi un défi majeur. Néanmoins, d’autres décisions s’imposent à la communauté internationale, pour anticiper les déplacements de populations, gérer les catastrophes naturelles et les dommages, prévenir les risques d’instabilité et de conflits et aider les pays les plus pauvres et les plus vulnérables.

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