Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 15 octobre 2015 à 15h00
Débat sur le thème « la politique étrangère de la france : quelle autonomie pour quelle ambition ? »

Laurent Fabius, ministre :

C’est pourquoi, avec le Président de la République et le Premier ministre, et sous le contrôle du Parlement, nous avons défini quatre priorités qui, concrètement, déterminent mon action : la paix et la sécurité ; l’organisation et la préservation de la planète ; la relance et la réorientation de l’Europe ; le redressement économique et le rayonnement de notre pays.

Chaque fois que nous avons des décisions de politique étrangère à prendre, c’est à cette boussole-là que nous nous référons.

D’abord, la paix et la sécurité.

Devant l’accumulation des dangers et des crises, la France doit être une puissance de paix, et elle l’est, comme chacun des orateurs a bien voulu le rappeler, sur le dossier du nucléaire iranien.

Face au risque de prolifération, nous avons adopté une position de « fermeté constructive », que les Iraniens ne nous ont d’ailleurs nullement reprochée ensuite : oui à un accord, mais un accord qui écarte de manière certaine, c'est-à-dire vérifiable, l’accès de l’Iran à l’arme nucléaire.

Cette fermeté a permis de parvenir à l’accord robuste du 14 juillet 2015. Tout au long des négociations, nous avons, en toute indépendance et responsabilité, défendu, parce que c’était notre rôle et notre conception, la cause de la sécurité internationale et de la paix.

Plusieurs orateurs ont à juste titre posé la question : cet accord peut-il désormais servir la stabilité, notamment au Moyen-Orient ? Nous l’espérons, mais nous jugerons sur pièces, en particulier – je reprends des termes que vous avez utilisés et qui étaient parfaitement choisis – pour vérifier si l’Iran s’implique concrètement et positivement sur plusieurs sujets : la démarche de réconciliation menée en Irak par le Premier ministre al-Abadi, la sortie de l’impasse institutionnelle au Liban, une solution pacifique au Yémen, le soutien aux efforts de M. de Mistura, l’envoyé spécial des Nations unies en Syrie, pour mettre en œuvre le communiqué de Genève de 2012.

Si je résume notre position, qui me semble être aussi la vôtre à tous, l’accord de Vienne peut ouvrir la voie à un monde plus sûr. L’Iran, pays important et héritier d’une grande civilisation, doit y prendre sa part, mais les choses ne sont pas acquises et nous jugerons ce pays non pas sur les proclamations, mais sur les actions.

Je rejoins donc M. Legendre et M. Reiner lorsque l’un et l’autre ont souligné, en parfait accord, semble-t-il, qu’il faudrait établir une feuille de route lors de la visite du président Rohani à Paris. Nous sommes en train d’y travailler, et j’ai noté votre insistance sur la dimension culturelle et éducative, mais aussi sur les enjeux diplomatiques et économiques.

J’ai également noté que l’accord de Vienne était considéré comme positif, mais que nous étions, selon l’expression de M. Reiner, « dans l’expectative », et que nous avions besoin de travailler ensemble sur plusieurs points, parmi lesquels le tourisme ou les chambres de commerce.

Je crois donc pouvoir dire que, sur ce sujet, notre position est claire et rien ne nous sépare.

C’est le même engagement au service de la paix et de la sécurité qui commande depuis maintenant un peu plus de trois ans notre position dans la tragédie syrienne. Je veux être assez précis sur ce point parce que certaines interprétations ne me semblent pas correspondre à la réalité.

Face à ce drame effrayant, probablement le plus lourd depuis le début du siècle si l’on considère le nombre de victimes, où les atrocités terroristes s’ajoutent à ce qu’il faut bien appeler la barbarie de M. Bachar al-Assad, la position de la diplomatie française – je réponds là, notamment, à l’intervention de M. Billout – s’articule autour de plusieurs points fixes.

D’abord, nous devons lutter, le plus collectivement possible, contre Daech et contre les autres groupes terroristes. La France le fait en Irak depuis un an avec plus de soixante États, dans le cadre d’une coalition qui ne doit pas relâcher son action. Depuis quelques semaines nous le faisons également en Syrie, en légitime défense puisque nous visons des cibles qui menacent notre propre sécurité.

Que ne dirait-on pas si, ayant identifié des cibles, c'est-à-dire des groupes qui menacent de tuer des Français ou des Européens, nous ne réagissions pas !

Tous ceux qui veulent nous rejoindre dans cette lutte sont les bienvenus, à condition, comme je l’ai dit à la tribune des Nations unies, que leurs frappes soient effectivement dirigées contre les terroristes. Nous condamnons celles qui touchent les civils, ainsi que celles qui touchent les opposants modérés qui, courageusement, défendent une vision de la Syrie qui est la nôtre : une Syrie unie, démocratique et respectueuse de toutes les communautés.

La Russie est intervenue. J’observe que, jusqu’à présent, elle n’a ciblé que marginalement Daech et les groupes terroristes, centrant ses raids sur l’opposition à Assad. Au point que cette intervention peut déstabiliser des opposants modérés et favoriser, comme on l’a vu ces derniers jours, la progression de Daech, notamment vers Alep.

Une autre condition parmi les trois que pose la France est l’arrêt des bombardements des civils à l’explosif, ce que les Anglo-Saxons appellent le barrel bombing. Ces violences, qui sont commanditées – nul ne peut le contester – par M. Bachar al-Assad, alimentent à la fois l’essentiel du flux de réfugiés et l’extrémisme. Vous m’avez demandé quelles étaient nos initiatives : eh bien, nous envisageons de déposer une résolution sur ce sujet aux Nations unies.

Enfin, nous voulons favoriser une transition politique – elle est indispensable – qui montre au peuple syrien que le responsable de 80 % des 250 000 morts de Syrie et des millions de réfugiés ne sera pas son avenir.

J’entends l’argument développé par certains, pas très longuement dans cet hémicycle, mais qui tend à se faire de plus en plus insistant, selon lequel Bachar serait un antidote au chaos.

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