Face à cette crise, comme face aux autres, notre diplomatie ne se détermine pas en faveur d’un camp contre un autre. Nous ne choisissons pas les Palestiniens contre les Israéliens, ou l’inverse, pas plus que nous ne soutenons, dans les crises du Moyen-Orient, les sunnites contre les chiites, ou réciproquement. La France est l’amie à la fois du peuple israélien et du peuple palestinien. De même, la France n’a pas à prendre parti entre deux courants de l’islam.
Notre fil rouge, j’y reviens, c’est le souci d’agir en faveur de l’indépendance, pour la sécurité et la paix. Notre politique étrangère se veut donc équilibrée, indépendante et tournée vers l’exigence de paix.
C’est précisément cette exigence qui nous a conduits à nous impliquer depuis des mois dans la résolution du conflit entre la Russie et l’Ukraine.
L’objectif est d’enrayer la spirale de la guerre et de créer les conditions d’un retour à la paix. Pour ce faire, nous avons engagé, en lien avec nos amis allemands, un dialogue singulier avec la Russie et l’Ukraine, dans le cadre de ce que l’on a appelé le « format Normandie ».
Aujourd’hui, nous sommes mobilisés pour la mise en œuvre effective des accords de Minsk 2, notamment pour ce qui concerne le volet politique. Le sommet au format Normandie organisé voilà quelques jours à Paris et auquel j’ai assisté a été utile. Malgré des à-coups, le respect du cessez-le-feu progresse. L’accord sur le retrait des armes de petit calibre est peu à peu mis en place. Fait très important, les élections unilatéralement annoncées par les séparatistes dans le Donbass, qui auraient signé la fin du processus de Minsk 2, ont été reportées.
Il reste évidemment beaucoup de travail. Par expérience, je sais que nous devons être prudents, mais nous avançons, notamment – certains ont considéré que nous ne parlions pas assez avec la Russie ! – grâce à notre dialogue constant avec les Russes.
Notre ligne face à ce pays est la suivante : dialogue et fermeté. Fermeté parce que nous ne pouvons pas accepter des violations du droit international, comme l’annexion de la Crimée. Dialogue parce que l’engagement russe fait partie de la solution.
Sur la question ukrainienne comme sur les autres, nous travaillons donc avec les partenaires clés pour servir la sécurité et la paix.
Si je devais résumer notre position à l’égard de la Russie, à laquelle une longue histoire et une évidente géographie nous lient, je parlerais volontiers de « coopération vigilante ». Nous continuerons à discuter avec les Russes de tous les sujets, mais sans renoncer à notre lucidité ni à nos principes. Je me retrouve à cet égard dans les propos de M. del Picchia, de Mme Durrieu et de tous ceux qui ont évoqué ce sujet.
Selon M. del Picchia, la France devrait affirmer dès maintenant qu’elle souhaite une levée graduelle des sanctions. Mais c’est ce que nous disons ! Et c’est ce que nous voulons dès lors, bien sûr, que les conditions seront remplies. Il ne s’agit pas de maintenir des sanctions perpétuelles ; cela n’aurait pas de sens, d’autant que cela pénaliserait à la fois les Russes et nous-mêmes.
Les autres suggestions qui ont été faites méritent, bien sûr, d’être analysées.
S’agissant toujours de cette première priorité de notre politique étrangère, la paix et la sécurité, je voudrais dire quelques mots de la question des droits de l’homme, que je m’attendais à voir abordée dans cette enceinte de manière critique, puisque c’est dans ce registre qu’elle l’est parfois à l’Assemblée nationale, votre sœur jumelle ou votre petite sœur, si j’ose dire. Mais tel n’a pas été le cas.
Quoi qu'il en soit, les critiques que j’entends à ce sujet passent sous silence la mobilisation de notre réseau diplomatique dans toutes les enceintes multilatérales où se défendent ces droits. Je pense en particulier à l’abolition universelle de la peine de mort, dont j’ai fait une grande cause de notre diplomatie. On ignore nos efforts en faveur de nombreux cas individuels, loin des caméras et des micros, car je me suis forgé avec le temps la conviction selon laquelle cette approche est généralement la plus efficace.
Ces critiques méconnaissent aussi nos positions fortes en faveur de l’État de droit. En témoigne, par exemple, notre soutien à la transition démocratique tunisienne – je recevais il y a quelques instants encore les lauréats tunisiens du Prix Nobel de la paix. C’est oublier que le combat en faveur des droits de l’homme consiste non pas seulement à émettre des protestations, certes indispensables face à telle situation individuelle ou à tel régime, mais aussi à prendre l’engagement que je viens de décrire, un engagement sans faille pour la paix et la sécurité. Car la guerre et le chaos constituent les premières atteintes aux droits de l’homme.
Par nos efforts diplomatiques, par des interventions militaires parfois, nous protégeons le droit des populations à vivre en sécurité et en paix.
La deuxième priorité de notre politique étrangère est l’organisation de la planète et sa préservation.
Pour organiser la planète, il convient de promouvoir une société mieux régulée au niveau international. D’où notre appui constant à l’ONU.
On a rappelé la nécessité de réformer l’ONU ; j’en suis tout à fait d’accord. Soixante-dix ans après sa création, cette institution révèle certaines insuffisances. Elle reste malgré tout un lieu unique, où la communauté internationale s’efforce de résoudre les crises, de faire respecter les droits de l’homme et de s’accorder sur une vision commune en matière de développement et de l’avenir de la planète.
Nous croyons à l’ONU, en dépit de toutes ses limites. Nous plaidons pour des réformes qui la rendraient plus représentative et plus efficace. En la matière, Mme Goulet a, me semble-t-il, proposé quelques pistes.
Nous souhaitons un élargissement des membres permanents du Conseil de sécurité, qui donnerait, notamment, une place accrue aux pays émergents.
Nous proposons – cela a été critiqué, mais à mon avis de manière injustifiée – que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, en cas de crimes de masse – c’est le cas en Syrie –, suspendent volontairement leur utilisation du droit du veto, afin d’éviter la paralysie de cette instance.
Selon nous, le droit de veto n’est pas un privilège, c’est une responsabilité. Vous avez sans doute noté, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Président de la République s’est engagé, lors de la récente assemblée générale des Nations unies, à ce que la France n’utilise plus son droit de veto dans ce cas. Il s’agit là d’une décision forte, mais qu’on ne saurait critiquer en prétendant y voir une renonciation à notre rôle. Non ! Je pense même, en maniant sans excès le paradoxe, que si l’on veut donner au droit de veto toute sa légitimité, il faut éviter les excès, comme on en a connu notamment dans l’affaire syrienne.
Notre décision est au service de la sécurité internationale, de la paix et d’un multilatéralisme rénové et légitimé.
Nous agissons aussi pour une planète préservée. Mme Giraud, Mme Aïchi et M. Perrin sont intervenus sur ce sujet, et je fais miennes les observations qu’ils ont formulées. Mme Aïchi a souligné à quel point on ne pouvait agir dans ce domaine sans avoir une vision à long terme. M. Perrin a soulevé toute une série de questions, parfaitement légitimes, quant à l’incidence des dérèglements climatiques sur les conflits, les migrations, les phénomènes extrêmes, la pauvreté. C’est bien le sujet ! Mme Giraud, quant à elle, a bien voulu relever que je me mobilisais pour le climat.
Je vous le confirme, mesdames, messieurs les sénateurs : je me mobilise à tel point que mes collègues étrangers m’ont même surnommé le « climarathonien » !