Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 15 octobre 2015 à 15h00
Débat sur le thème « la politique étrangère de la france : quelle autonomie pour quelle ambition ? »

Laurent Fabius, ministre :

L’intéressant rapport d’information de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées intitulé « Chine : saisir les opportunités de la nouvelle croissance » m’inspire quelques observations relatives à ce géant d’aujourd’hui et de demain, mais aussi d’hier, avec lequel nos relations sont excellentes.

Les auteurs du rapport d’information soulignent à juste titre que le nouveau modèle de croissance chinois aura des incidences importantes sur nos relations économiques. En passant d’un rythme annuel de croissance à deux chiffres il y a quelques années à l’objectif officiel de 7 % pour 2015, les autorités chinoises ont pris acte des transformations majeures à l’œuvre dans leur économie. Pour en discuter périodiquement avec elles, je puis vous dire qu’elles avaient anticipé cette mutation, que le président chinois a qualifiée de « nouvelle normalité » : schématiquement, la Chine passe d’un modèle tiré par les exportations et par l’investissement à un modèle d’économie développée reposant davantage sur la consommation intérieure.

Quoi qu’il en semble, cette évolution est une bonne nouvelle pour la Chine, dans la mesure où le modèle précédent était à l’origine, entre autres conséquences, de mouvements spéculatifs sur les marchés boursiers. Même si ces mouvements n’ont pas en Chine la même incidence que chez nous, les entreprises chinoises étant financées non par la bourse mais essentiellement par les banques, il existait un danger d’effets systémiques, ainsi qu’on l’a constaté l’été dernier.

Cette évolution est également une bonne nouvelle pour le monde, même si je me suis permis de dire aux plus hautes autorités chinoises que les explications qu’elles avaient fournies n’avaient sans doute pas été exactement ce qu’elles auraient dû être, la mutation, pourtant prévue, ayant été ressentie comme une rupture par ce qu’on appelle « les marchés ».

Le rythme effréné de la croissance chinoise était porteur de conséquences ingrates pour l’environnement, sur le plan de la pollution comme sur celui de l’épuisement des ressources mondiales. À cet égard, la « nouvelle normalité », qui représente un défi historique pour la Chine, laquelle va devoir en quelques années repenser des pans entiers de son économie et développer une industrie aux fondements plus « verts », est assumée par les autorités. De fait, ce n’est pas un hasard si le cinquième plénum du comité central du parti communiste chinois, qui se tiendra du 26 au 28 octobre, insistera sur la nécessité de poursuivre les réformes structurelles. Les entreprises d’État, qui réalisent la moitié du PIB chinois, seront particulièrement concernées.

Dans ce contexte, fort bien analysé par les auteurs du rapport d’information, nous devons tirer le meilleur parti de nos relations avec la Chine, en particulier de la prochaine visite présidentielle française, dont l’axe majeur sera précisément le développement durable, l’approfondissement de notre dialogue dans ce domaine et la préparation de la Conférence de Paris.

Le Président de la République sera accompagné d’industriels issus de grands groupes et de PME. Il se rendra en province, ainsi que les autorités chinoises en ont émis le souhait.

Nous nouerons de nouveaux partenariats, y compris sur des marchés tiers, conformément au vœu de plusieurs d’entre vous. D’autres secteurs, également représentés, pourront naturellement bénéficier de l’attention renouvelée des autorités à l’égard des besoins des consommateurs chinois : l’agriculture, l’agroalimentaire, l’industrie pharmaceutique et, bien entendu, les nouvelles technologies.

Être présent dans cette nouvelle économie chinoise constitue pour nous une priorité. En agissant ainsi, la France – qui, avant tous les autres pays et en toute indépendance, a fait le pari de la Chine – est dans son rôle : accompagner ce pays dans son émergence.

Plusieurs résultats – j’espère qu’ils se confirmeront ! –sont déjà au rendez-vous. Pour le moment, ils n’ont pas bénéficié d’un large écho. Pourtant, en dépit du ralentissement de la croissance de la Chine, et plus encore de la contraction notable de ses importations, dont le volume a décru de 15 % au premier semestre 2015, les entreprises françaises ont vu leurs ventes progresser de 14 % sur la même période. Il faut y voir la contribution positive de ces nouveaux secteurs de coopération qui répondent aux besoins d’une classe moyenne de plus de 500 millions d’individus.

Nos entrepreneurs, eux aussi, ont compris comment aborder plus efficacement cette évolution décisive de l’économie chinoise. À nous de continuer à nous mobiliser aux niveaux politique, économique et administratif pour les accompagner dans cette voie.

Monsieur le président Raffarin, vous soulignez souvent que la qualité de nos relations économiques avec la Chine s’explique, en particulier, par l’indépendance de notre politique étrangère. §Je partage tout à fait cette analyse. Je disais au début de mon propos que notre indépendance était l’une des clés de notre influence, non seulement diplomatique mais aussi économique : c’est ce que l’on observe en Chine comme dans les autres pays.

Au-delà de cette dimension économique, j’ai souhaité que notre diplomatie investisse l’ensemble des champs de l’action extérieure de l’État : la culture, l’éducation, les valeurs, la francophonie – dans quelques décennies, il y aura 750 millions de francophones, grâce à la croissance démographique de l’Afrique –, qui représente un réservoir d’influence en même temps qu’un potentiel économique, ainsi que le tourisme, qui constitue un trésor national, à la fois pour notre économie et pour notre image dans le monde.

Je réitérerai ici les propos que j’ai tenus hier devant la commission des affaires étrangères, car ils pourront ainsi figurer au compte rendu officiel. Il faut s’habituer à une idée simple qui n’est, malheureusement, pas souvent présentée comme telle : quel est le secteur économique qui, en France, fournit deux millions d’emplois non délocalisables, représente 7, 5 % du produit intérieur brut, donne à notre pays le premier rang mondial, dégage un excédent de plus de 10 milliards d’euros chaque année, et dont nous savons qu’il est un secteur d’avenir ? Le tourisme !

On ne peut plus considérer ce secteur comme marginal : il est désormais central pour notre développement et pour notre rayonnement ! C’est le sens des annonces très importantes que les dirigeants de la Caisse des dépôts et consignations – je les en remercie – ont récemment faites en acceptant que plus d’un milliard d’euros soient investis dans le secteur touristique.

Bref, j’ai le souci constant de mener une diplomatie globale, avec des moyens financiers qui sont certes contraints, mais qui permettent d’avancer. Puisque l’influence de la France dans le monde est multiforme, notre diplomatie doit l’être aussi.

J’ai promis d’adresser à chacun d’entre vous le projet « Ministère des affaires étrangères et du développement international du XXIe siècle », dit « MAEDI 21 ». Arrêté il y a quelques semaines, ce projet tire les conséquences en termes organisationnels, pour les années à venir, de cette ambition pour le ministère des affaires étrangères.

Toute une série de réformes est prévue. L’une d’entre elles est à la fois symbolique et réelle : en 2025, 25 % de nos effectifs diplomatiques se situeront dans les pays émergents du G20 et, en 2017, l’ambassade de France en Chine sera notre principale ambassade dans le monde.

Parallèlement, nous développerons les colocalisations d’ambassades avec nos partenaires européens. Nous renforcerons les plans de sécurité de la communauté française à l’étranger. Nous affecterons également – cela vous intéressera tout particulièrement – un conseiller diplomatique auprès de chaque préfet de région, afin de renforcer les liens entre notre diplomatie et nos territoires. En outre, nous mettrons en place de véritables consulats numériques : ainsi, en 2020, tous les Français de l’étranger devront pouvoir effectuer l’essentiel de leurs démarches consulaires en ligne, 24 heures sur 24. Enfin, le Quai d’Orsay atteindra l’objectif d’une neutralité carbone totale en 2020.

Voici quelques exemples de décisions en matière d’organisation qui sont en ligne avec notre perspective générale.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir m’excuser si mon intervention vous a paru trop longue, mais les occasions ne sont pas si nombreuses de dresser un panorama d’ensemble de notre politique étrangère. De fait, j’ai pu ainsi vous montrer la cohérence de celle-ci.

Je viens ainsi de vous résumer les quatre priorités de notre diplomatie. Je tiens à dire que ces priorités sont servies par une administration d’une très grande compétence, à laquelle je veux exprimer ici ma gratitude, mais aussi, vous connaissant, la vôtre.

Gardons-nous d’être arrogants : la France seule ne dicte évidemment pas leur conduite à tous les États du monde. Toutefois, partout où je me rends, je constate que – pour reprendre une expression qui a été employée – notre voix est attendue et entendue !

Sur tous les sujets que je viens d’évoquer, je crois pouvoir dire que notre diplomatie tient son rang. D’ailleurs, une majorité de Français semble le percevoir et en tirer satisfaction, voire, parfois, une certaine fierté.

Pour autant, soyons lucides ! La France dispose de beaucoup d’atouts, mais les dynamiques spontanées du XXIe siècle ne seront pas toutes en notre faveur. Notre poids démographique et économique est appelé mécaniquement à se réduire en termes relatifs. La concurrence des pays émergents va s’accentuer, l’Europe fait et fera face à des défis considérables, à commencer par les tendances à la division.

Ce constat ne doit nullement nous décourager, il doit nous inciter à redoubler d’efforts en conciliant – je fais ainsi écho à des propos de Mme Aïchi – la gestion du temps court, celui des crises immédiates, et la préparation du temps long, à échéance de dix ou vingt ans.

Dans l’accomplissement de cette mission, je sais pouvoir compter sur le travail des parlementaires, singulièrement le vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs, qui nous accompagnez dans notre action et nous honorez en général de votre soutien et de votre confiance.

Pour votre contribution importante à la qualité de notre politique étrangère, je vous adresse donc mes remerciements. Au-delà des clivages partisans, il existe en effet ce bien précieux qui s’appelle l’intérêt de la France ! Je sais que, toutes et tous ici, nous en sommes les défenseurs !

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