Intervention de Olivier Schrameck

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 20 octobre 2015 à 17h50
Audition de M. Olivier Schrameck président du conseil supérieur de l'audiovisuel

Olivier Schrameck, président du CSA :

Chaque fois que je viens devant vous, je mesure combien il est dans mon rôle de vous rendre compte de l'activité du CSA. Le nombre et la variété des questions que vous souhaitez évoquer montrent de surcroît combien il est utile de venir s'expliquer devant la représentation nationale sur une actualité très riche.

Je commencerai par les deux décisions prises par le CSA le 14 octobre 2015 : celle d'abroger l'autorisation de fréquence accordée à la chaîne Numéro 23 et celle, qui en est corollaire, concluant qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'agrément à la prise de contrôle par le groupe NextRadioTV. Le communiqué du Conseil publié le soir même est de nature à vous éclairer sur le raisonnement qui a sous-tendu ces décisions, de même que le texte de la décision publié ce matin au Journal officiel : bien qu'amputé de certains éléments pour respecter le secret des affaires auquel nous sommes tenus, il est suffisamment éclairant.

Si le Conseil a estimé que la fraude n'était pas établie ab initio, dès l'attribution de la fréquence - période où, je le rappelle, je n'étais pas au CSA -, il a en revanche retenu un ensemble de faits qui, articulés ensemble, démontrent l'existence d'un abus de droit à visée spéculative entaché de fraude.

Parmi ces faits, comptons, en premier lieu, les conditions de présentation de la candidature de Diversité TV, alors assortie d'un engagement de montée en charge jusqu'en 2019 et d'une déclaration selon laquelle la société demanderesse reposait sur un actionnariat stable et durable. De fait, la société se prévalait d'un tour de table associant sept entrepreneurs, et non des moindres, présenté comme la preuve de la solidité de l'assise financière prévisible de son activité. Elle avait également pris des engagements programmatiques sur lesquels le Sénat a mis l'accent, à votre initiative, madame la présidente, par voie d'amendement à la loi Macron, pour en faire une pierre de touche de notre appréciation juridique.

Il est désormais avéré qu'à la suite de l'obtention de l'autorisation, cinq mois après le début de la diffusion de Numéro 23, le 12 décembre 2012, Diversité TV a fait entrer à son capital, à hauteur de 15 %, une société russe, UHT. Nous avons demandé à trois reprises à la société de nous fournir les éléments relatifs à cette cession et notamment le pacte d'actionnaires, sans obtenir aucune réponse - même si la société a fait valoir qu'elle aurait adressé début 2014 par courrier simple, que le CSA n'a jamais reçu, les pièces y afférentes.

La dernière de ces demandes, pressantes, a été formulée le 25 mai 2015, après l'annonce, le 9 avril, du projet de cession à NextRadioTV. C'est alors que le CSA a mesuré l'étendue des opérations effectuées, en contradiction avec les engagements et déclarations de la société au moment de sa candidature.

C'est donc un ensemble de circonstances postérieures à l'attribution de la fréquence - dont le contenu même du pacte d'actionnaires, dans lequel était pris l'engagement d'une cession rapide de la société, au terme de négociations engagées en mai 2013 et conclues le 21 octobre 2014, soit durant la période de deux ans et demi où tout changement capitalistique était interdit - qui nous a éclairés. Je rappelle au passage, afin d'anticiper, madame la présidente, sur une éventuelle question, que le Conseil avait d'abord souhaité que cette interdiction s'étende sur une période de cinq ans mais que finalement, sur l'insistance de l'ensemble des opérateurs susceptibles d'être concernés, cette période a été ramenée à deux ans et demi.

De cet ensemble de circonstances, des stipulations de l'accord avec la société NextRadioTV et du prix d'acquisition, fixé à 88,3 millions d'euros, le CSA a conclu, au regard de ce qu'a été la vie de la société, le contenu de ses programmes et la réalité de ses engagements financiers, que ce qui avait pu être recherché à titre principal était, plus que la valeur intrinsèque de la société en cause, la valorisation financière de la fréquence attribuée à titre privatif sur le domaine public. De là nait la fraude que nous avons dénoncée, en le motivant dûment dans notre décision de douze pages.

Nous y rappelons, en particulier, que l'attribution gratuite de fréquences audiovisuelles a été décidée par le législateur pour assurer la liberté d'expression et de communication, le pluralisme, et encourager la création audiovisuelle et plus généralement culturelle. Elle n'est évidemment pas attribuée pour asseoir la valeur d'un actif. J'ajoute que le Conseil constitutionnel a jugé, dès 1994, que l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui protège le droit de propriété, vaut aussi bien pour le propriétaire public qu'est l'Etat que pour les propriétaires privés, et qu'il a dégagé, en 2003, dans sa jurisprudence, un impératif constitutionnel de protection du domaine public.

Vous m'interrogez, madame la présidente, sur les conditions dans lesquelles cette fréquence a été attribuée à la chaîne Numéro 23. Je vous ai donné les éléments de réponse dont je disposais, mais seul mon prédécesseur, M. Michel Boyon, pourrait vous apporter des éléments précis, notamment sur la teneur de la présentation de sa demande par la société avant l'audition publique, comme le veut le secret des affaires.

Pour notre part, nous avons relevé un certain nombre de fait, qui ne sont pas, en eux-mêmes, constitutifs de fraude, notamment la faiblesse du capital - 10 000 euros - même si cela n'est pas inhabituel en droit des sociétés, assortie de la mise en valeur du tour de table, que j'ai évoquée. Des déclarations ont été faites, en réunion plénière du CSA, tant au sujet de l'attribution des fréquences en raison du basculement de la bande des 700 MHz qu'à l'occasion de l'étude d'impact relative au projet de cession de Numéro 23 à NextRadioTV, évoquant des rendez-vous, des conciliabules. Elles n'ont pas été démenties, mais n'ayant pas connu cette période, je n'ai aucun moyen de leur accorder crédit. Deux livres ont de même été écrits, l'un par M. Rachid Arhab, ancien membre du CSA, sous sa responsabilité, l'autre par M. Didier Maïsto, qui s'était exprimé comme candidat au nom de la société Fiducial Medias. Par ailleurs, j'ai lu comme vous dans la presse que l'un des membres du Conseil, M. Patrice Gélinet, a déclaré qu'il avait eu le sentiment d'avoir été trompé. Je ne saurais en dire plus sur les circonstances d'origine.

Deux ans et demi plus tard, c'est la cession de la chaîne qui a bouclé le processus de valorisation financière engagé, lequel a permis de déceler l'abus de droit entaché d'intention frauduleuse. Car c'est bien la cession elle-même qui atteste de la réalité de l'opération envisagée. Si cette cession n'avait pas eu lieu, la société propriétaire de la chaîne aurait continué à l'exploiter, conformément à ses engagements de montée en charge jusqu'en 2019.

Comment prévenir de tels faits ? Je rappelle qu'à plusieurs reprises, sous ma présidence, le CSA a sollicité du Parlement des pouvoirs de régulation économique lui permettant de mener des investigations, le cas échéant sur pièces et sur place, de déterminer quels sont les marchés pertinents et d'émettre des recommandations préventives et correctrices. Ce souhait reste à l'ordre du jour.

En second lieu, le débat qui a eu lieu, en particulier devant votre haute assemblée, a conduit à s'interroger sur le délai d'interdiction de cession. Je rappelle que c'est le CSA qui avait initialement soulevé cette problématique. Il me semble qu'il y a là, pour le législateur que vous êtes, matière à réflexion, afin de prévenir des opérations si rapides dans leur dénouement qu'elles ne peuvent être qu'a priori suspectes, tout en évitant de corseter à l'excès un marché de l'audiovisuel dont l'actualité de ces derniers mois témoigne assez qu'il est en évolution permanente. Il serait regrettable, en effet, qu'une disposition trop générale ne vienne à empêcher une opération susceptible d'être bénéfique à l'avenir du secteur.

Vous vous interrogez sur les conséquences juridiques que tire le CSA de l'intention frauduleuse retenue. Je rappelle que la sanction prononcée par le Conseil est une sanction ferme. Il ne s'agit ni d'un simple avertissement, ni d'une sanction avec sursis. Il est vrai que sa date d'application est retardée au 30 juin 2016, mais nous n'avons fait là qu'appliquer le principe de sécurité juridique affirmé par la décision « société KPMG » de l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat, de mars 2006. J'ajoute que nous avons pris en compte, au plan économique, la situation des fournisseurs, producteurs et annonceurs, ainsi que celle des téléspectateurs - comme le veut notre mission essentielle et quelque réserve que l'on puisse avoir sur le contenu programmatique de la chaîne.

Pour le reste, aux recours gracieux susceptibles de nous être présentés, nous appliquerons notre jurisprudence constante, en étudiant les considérations de droit et de fait qui nous seront présentées, de même que le Conseil d'Etat, face aux recours contentieux qui pourraient être déposés devant lui, jugera dans un délai de trois mois, conformément à l'article 42-9 de la loi de 1986 modifiée, s'il y a lieu de confirmer ou non la décision du CSA. Je me permets de préciser que le CSA a pris sa décision dans la conviction qu'elle était solidement motivée et justifiée, en droit et en fait.

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