Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je débuterai mon propos en présentant la situation d'Arianespace. J'ai en effet la chance d'être en responsabilité dans un secteur et une société qui connaissent de grandes mutations.
Arianespace est le leader du marché mondial de lancement de satellites, au service des intérêts français et européens. Créée en 1980, Arianespace est la première société mondiale de lancements de satellites, avec plus de 50 % de parts de marché. Notre société compte environ 330 collaborateurs directs, répartis entre son siège à Evry, son établissement de Guyane et ses trois bureaux à Washington, Tokyo et Singapour. Arianespace est donc, par ses effectifs, une petite et moyenne entreprise (PME), mais son chiffre d'affaires, de l'ordre de 1,4 milliard d'euros pour l'année 2015, demeure celui d'une entreprise de taille intermédiaire (ETI). En raison de notre coeur de mission et de l'attachement des Français à ce projet européen, notre renommée s'avère égale à celle d'une entreprise du CAC 40 !
Arianespace a trois missions principales, dans le cadre du mandat confié à la société par l'Agence Spatiale Européenne, qui est de garantir un accès indépendant de l'Europe à l'espace. Notre première mission consiste à acheter des lanceurs par lots aux industriels, en l'occurrence à Airbus Safran Launchers s'agissant d'Ariane, aux sociétés italiennes Avio et ELV s'agissant de Vega, à l'agence russe Roscosmos s'agissant de Soyouz. Nous revendons ensuite ces lanceurs sur le marché et nous assumons ainsi le risque commercial de ces transactions. Nos clients sont d'ailleurs davantage issus du secteur privé qu'institutionnels ; ce qui distingue notre groupe de ses concurrents.
Notre deuxième mission consiste à conduire les opérations de lancement en Guyane. Nous sommes ainsi comptables du dernier mois de vie du lanceur. À cette fin, nous disposons d'un établissement à Kourou en Guyane, qui emploie une soixantaine de personnes et fait travailler directement plus de 500 sous-traitants. Nous injectons chaque année plus de 180 millions d'euros sur la base, ce qui fait de nous, et de loin, le premier donneur d'ordre de ce site.
Notre troisième mission fait enfin de nous des comptables de l'autorisation du lancement. Nous présidons, avec nos partenaires - le Centre national des études spatiales (CNES) et les industriels -, à toutes les revues qui nous permettent de conclure que nous pouvons procéder au lancement. En outre, nous préparons les analyses de mission, qui visent notamment à s'assurer que le lanceur est adapté au satellite qu'il devra mettre en orbite.
Ainsi, Arianespace déploie une activité commerciale, une activité industrielle en Guyane et une activité d'expertise sur ses différents systèmes de lancement.
Arianespace est également un acteur majeur de la filière des lanceurs qui représente une source d'emploi et de développement économique en France et en Europe. Ainsi, les lanceurs Ariane et Vega représentent 15.000 emplois en Europe, dont plus de la moitié en France. Et en Guyane, la base spatiale emploie 1700 personnes réparties dans 40 sociétés différentes, pour un total de 9.000 emplois, soit 16 % de la population active du département.
Arianespace apporte également une contribution significative au commerce extérieur de la France et de l'Europe puisque plus de 90 % de son chiffre d'affaires est réalisé à l'export hors de France et qu'entre 30 et 60 % de celui-ci est réalisé, selon les années, hors d'Europe. Forte de ces succès à l'export, la société affiche un carnet de commandes record de l'ordre de 5 milliards d'euros et un chiffre d'affaires de 1,4 milliard d'euros en 2014.
Forte de la fiabilité et de sa gamme, Arianespace est sur le point de battre un double record opérationnel et commercial. Ainsi, au plan opérationnel, ce sont 68 lancements qui ont été réussis d'affilée pour Ariane 5, ce qui en fait le seul lanceur commercial n'ayant connu aucun échec depuis 12 ans. Vega a, quant à lui, enregistré de réels succès avec 5 lancements réussis sur 5, ainsi qu'avec un lot de 10 lanceurs commandé en 2014 et déjà quasiment vendu. Enfin, l'évolution de Soyouz est marquée par un nouveau relais de croissance avec les constellations en orbite basse, comme l'illustre la signature récente du contrat OneWeb, le plus important dans toute l'histoire de l'espace commercial, qui concerne 21 lancements.
Au total, sur les 12 lancements visés en 2015, 9 lancements ont déjà été réalisés depuis le Centre Spatial Guyanais, à savoir : 5 pour Ariane 5 et 2 respectivement pour Soyouz et Vega. D'ici à la fin de l'année, 3 autres lancements sont également prévus : un d'Ariane 5 pour Arabsat et l'Organisation indienne pour la recherche spatiale (ISRO), un de Vega pour l'Agence spatiale européenne dans le cadre du programme Lisa Pathfinder, ainsi qu'un autre de Soyuz afin d'accomplir un troisième lancement pour la constellation Galileo en 2015.
Au plan commercial, Arianespace a déjà réalisé une année record marquée par 10 contrats de lancement signés avec Ariane 5, 21 lancements sur Soyouz contractualisés pour le déploiement de la constellation OneWeb et trois lancements de Vega ont été signés, dont un avec Google. Arianespace dispose désormais d'un carnet de commandes de l'ordre de cinq milliards d'euros. Celles-ci devraient ainsi se décliner en 21 lancements d'Ariane 5 avec 33 satellites à lancer en orbite de transfert géostationnaire (17 lancements) et quatre lancements dédiés (dont 3 pour Galileo), 25 lancements de Soyouz et enfin 10 lancements de Vega.
Au global, le carnet de commandes est constitué en valeur de près de 80 % de missions commerciales et de 20 % de missions institutionnelles ; la Commission européenne étant devenue, à travers les programmes Galileo et Copernicus, un client de premier ordre pour Arianespace.
J'en viens à présent à l'évolution de notre secteur d'activités. Celui-ci a, en effet, connu trois révolutions majeures. D'une part, une révolution dans les services de lancement que caractérisent d'une part, les difficultés récurrentes du lanceur russe Proton, qui n'a toutefois pas dit son dernier mot, avec un retour en vol réussi et des prix extrêmement agressifs grâce notamment à la faiblesse du rouble et, d'autre part, le succès de l'américain SpaceX. Celui-ci conduit une politique commerciale très agressive, que caractérisent des prix à la baisse sur le marché et à la hausse pour les institutions américaines. Pour Arianespace, ce concurrent demeure sérieux, malgré son échec le 28 juin dernier et le fait qu'il en soit toujours à une phase de préparation de retour en vol.
Une seconde révolution concerne les technologies satellitaires. En effet, le succès de la propulsion électrique va générer une baisse globale de la masse qui sera lancée en orbite géostationnaire, ce qui impose d'adapter la performance et le coût des lanceurs. En effet, ceux-ci devront être à la fois plus compétitifs, pour faire face à la baisse de revenu générée par le lancement de deux petits satellites au lieu d'un petit et d'un gros satellite avec l'actuelle Ariane 5 ECA, et plus flexibles pour s'adapter à des nouvelles technologies, comme celle des moteurs ré-allumables contribuant à la réduction du temps de mise en orbite.
Une troisième révolution, enfin, se déroule dans le domaine des applications. Elle se manifeste par l'essor des constellations en orbite basse. Cette mutation intervient sur deux segments de marché : d'une part, sur la connectivité globale, destinée à fournir un accès à internet au plus grand nombre et à répondre à la demande accrue de connectivité dans le monde développé. Les acteurs du secteur de la communication internet iront-ils vers des solutions spatiales ? Si l'espace apporte ce soutien à la connectivité globale, quelles en seront les solutions ? Les satellites que nous mettons en service répondent à la demande de connectivité qui explose pour deux raisons. D'une part, le monde émergé éprouvera un besoin croissant de connectique et le monde émergent, devenu un acteur économique majeur, va accéder à la connexion internet dans des zones, comme en Asie ou en Afrique, où la fibre ne pourra fournir de réponse efficace. Il va falloir trouver un nouveau modèle économique. Ce contexte de changements nous impose de changer nous-mêmes. Aussi ne pouvons-nous nous contenter de demeurer un point fixe dans ce paysage en pleine mutation. Dès lors, le projet OneWeb, que va déployer Arianespace à partir de l'année prochaine et la constellation O3b, en cours de déploiement, s'inscrivent dans cette dynamique, tout comme d'ailleurs les projets menés par Google, Facebook et SpaceX. Cette mutation concerne, d'autre part, l'observation de la Terre. En effet, un grand nombre de projets impliquant des acteurs privés issus de la Silicon Valley a vu le jour récemment et Arianespace a notamment remporté le contrat de services de lancement de la constellation Skybox, acquise par Google.
Dans un tel contexte, Arianespace s'inscrit pleinement dans la préparation de l'avenir et est activement soutenue par les pouvoirs publics français et européens. Des décisions structurantes ont été prises en ce sens lors de la Conférence ministérielle de Luxembourg en décembre 2014. Elles ont été déclinées depuis en trois axes. D'une part, la décision de développer les deux nouveaux lanceurs que sont le Vega-C, dont la mise en service est prévue pour 2018, et Ariane 6 prévu en 2020. Ainsi, Arianespace considère qu'Ariane 6 est le meilleur lanceur possible accessible dès 2020. À l'unisson de ses clients, elle soutient pleinement ce lanceur et pense que ce serait une faute stratégique de le remettre en cause pour copier les choix opérés par certains de nos compétiteurs. Ariane 6 répondra à la fois aux besoins des clients institutionnels et du marché commercial. Elle sera modulable, avec deux versions, soit Ariane 62 qui, avec deux boosters répondra aux exigences du marché institutionnel, et Ariane 64 lequel, avec quatre boosters, sera destiné au marché commercial.
Ainsi, Ariane 6 va générer de multiples effets positifs en termes d'emplois et d'activité pour l'Europe. La construction d'un nouveau pas de tir pour Ariane 6 engagera de nombreux industriels au Centre Spatial Guyanais et permettra d'opérer les deux systèmes en parallèle. La complémentarité avec Vega, qui utilisera les mêmes boosters qu'Ariane 6, va permettre de générer d'importantes économies d'échelle et ainsi permettre la production de 35 boosters par an. Cette évolution intervient alors que la gouvernance de la filière est en cours de redéfinition. En effet, Airbus et Safran ont constitué une co-entreprise dédiée aux lanceurs civils et militaires et baptisée Airbus Safran Launchers (ASL). Cette co-entreprise sera responsable de la conception du lanceur tandis que cette mission était jusqu'alors dévolue au centre national des études spatiales (CNES). Elle aura le contrôle de son exploitation commerciale, à travers le rachat des parts du CNES dans Arianespace. Ce projet a d'ailleurs fait l'objet d'un accord tripartite en juin dernier donnant actuellement lieu à un processus social et réglementaire destiné à valider l'évolution de l'actionnariat, en particulier auprès des autorités anti-trust de la Commission Européenne.
Dans ce nouveau contexte, Arianespace, qui reste une entité légale autonome, devra conserver les facteurs clés de succès qui ont assuré sa domination commerciale et la fiabilité de ses systèmes de lancement depuis plus de trois décennies. Dans un marché très évolutif, notre groupe doit d'abord garder sa souplesse, sa réactivité ainsi que sa capacité de décision forte et rapide.
Ainsi, la réactivité spécifique d'Arianespace, sorte de gazelle de l'espace, a été essentielle à cette mutation.
L'Arianespace de demain sera à 75 % détenue par Airbus ; les 25 % restants étant détenus par d'autres acteurs minoritaires qui doivent recevoir des garanties car ils représentent un lien avec les Gouvernements et les industries nationales. Dans ce contexte, le deuxième facteur clé de succès réside dans une gouvernance équilibrée dans l'exploitation d'Ariane, qui dépend d'ASL, et de Vega, qui dépend d'ELV.
La neutralité absolue vis-à-vis de tous les constructeurs de satellites, qu'il s'agisse d'Airbus Defence and Space, de Thales Alenia Space ou des sociétés américaines du secteur, constitue un troisième facteur de succès. Il nous faudra définir de nouvelles règles de gouvernance vis-à-vis des constructeurs de satellites avec lesquels Arianespace continuera de travailler en équité.
Enfin, la crédibilité vis-à-vis du client qu'Arianespace a acquise du fait de sa connaissance réelle des lanceurs dont elle assure la commercialisation, constitue un quatrième facteur clé de succès. Cela tient notamment au fait qu'elle est garante de leur fiabilité ultime, dans la mesure où elle procède elle-même aux opérations de lancement et préside à toutes les revues préalables. Dès lors qu'Arianespace reste l'opérateur de lancement au sens de la Loi sur les opérations spatiales et l'interlocuteur unique du client, elle doit garder cette crédibilité, ce qui, naturellement, n'exclut pas de dégager des synergies accrues avec ses principaux partenaires industriels. Nos clients doivent garder cette qualité du dialogue, mais Arianespace ne saurait devenir qu'une entité commerciale.
Je suis confiant quant à la réunion de ces facteurs de succès. J'ajoute que nos relations avec l'actionnariat, les agences, voire la Commission européenne, sont essentielles, et il est très important que ces acteurs continuent de nous faire confiance.
Aussi, avons-nous décidé de gagner en compétitivité-prix dans le cadre de l'exploitation d'Ariane 5, c'est à dire avant même l'arrivée d'Ariane 6. En effet, nous avons dû ajuster nos prix dès 2014 pour les petits satellites destinés à la position basse d'Ariane 5 et ce, afin de faire face à la concurrence de SpaceX sur ce segment. Il nous faut ainsi gagner en compétitivité-coût dès maintenant sur Ariane 5 et réduire d'environ 5 à 6 % les coûts de la filière d'ici 2017. Si cet effort n'est pas accompli, la filière entrera en crise avant même le lancement d'Ariane 6. Tous les acteurs de l'ensemble de la chaine de production et d'exploitation doivent se mobiliser pour aller chercher ces économies.
Par ailleurs, la hausse du dollar est un facteur de compétitivité majeur pour notre industrie : un euro à 1,35 dollar nous pose des difficultés massives, alors qu'un euro à 1,10 dollar nous permet de combler une très grande partie de notre écart de compétitivité avec SpaceX. Cependant, la stratégie de long-terme d'Arianespace ne peut se fonder sur un taux de change, fluctuant par principe.
En conclusion, je souhaite rappeler à quel point les pouvoirs publics, que vous représentez, ont été moteurs dans cette dynamique et les succès qu'ils ont permis d'enregistrer. Les États européens ont pris des engagements que je considère comme absolument majeurs : huit milliards d'euros vont être investis sur dix ans dans le secteur des lanceurs en Europe. Un euro investi dans cette filière est un euro utile pour l'emploi et, plus largement, pour le rayonnement de la France et de l'Europe. Des engagements ont également été souscrits pour garantir un volume de lancements institutionnels attribués à Ariane 6 : c'est enfin l'ébauche d'une « préférence européenne », à l'image de ce que pratiquent les autres puissances spatiales. Dans un tel cadre, le dialogue avec la représentation nationale est essentiel, car nos systèmes de lancements, en particulier Ariane, ne peuvent vivre sans l'intérêt public ni la volonté politique. Je tiens, à cette occasion, à saluer le travail accompli par Mme Geneviève Fioraso, comme ministre de la Recherche. En outre, l'intérêt des parlementaires est l'une des clés de notre avenir. Nous avons en face de nous des concurrents qui bénéficient de lancements garantis par la puissance publique et d'un soutien législatif réel, à l'instar du « Buy American Act » de 1983. La première fusée Ariane a été tirée le 24 décembre 1979 et cette aventure continue grâce à la qualité de nos ingénieurs et de nos personnels, mais aussi au soutien des pouvoirs publics.