Intervention de Stéphane Israël

Commission des affaires économiques — Réunion du 21 octobre 2015 à 9h30
Audition de M. Stéphane Israël président-directeur général d'arianespace

Stéphane Israël, président-directeur-général d'Arianespace :

Il ne m'appartient pas de me prononcer sur ce point. Il est en revanche certain que les prix diffèrent selon les clients. Le fait d'avoir cette base domestique américaine engagée représente un atout, du fait de la visibilité en matière de garanties de lancement qu'elle procure. Les lancements de l'US Air Force représentent un grand enjeu pour SpaceX ! Certes, si la concurrence entre cette société et Arianespace est souvent évoquée, en revanche, la compétition entre SpaceX et United Launch Alliance s'avère plus farouche encore! Participer aux lancements de l'US Air Force garantit également une avance de trésorerie considérable en avance de phase, conformément au système d'acquisition des institutions américaines, ce qui permet d'optimiser sa gestion économique globale. En outre, SpaceX ne publie pas ses comptes, ce qui interdit d'en comprendre la rentabilité ultime. On a d'ailleurs l'impression qu'un grand nombre d'entreprises de la Silicon Valley travaille davantage sur des cash-flow que sur des résultats économiques, comme l'illustre la société Amazon. Nous n'avons pas toutes les informations sur les coûts de notre concurrent, mais nous savons que celui-ci dispose de trois atouts, à savoir des contrats de plus en plus importants sur le marché domestique américain qui présente à la fois des flux de trésorerie conséquents et des prix très positifs. A ces avantages, s'ajoute le financement des bases spatiales américaines qui est davantage pris en charge par des pouvoirs publics. Cette politique d'acquisition représente une grande différence, puisque le marché domestique est à la fois énorme et garanti pour les lanceurs américains.

Enfin, Arianespace perçoit des revenus en dollars et s'acquitte de coûts en euros. Lorsque le dollar monte, nous retrouvons des marges de compétitivité. En revanche, lorsque le dollar franchit la barre de 1,40 euro, nous entrons dans une zone très dangereuse. Lorsque le dollar baisse à 1,13 euro, notre entreprise commence à respirer ! Il faut, en ce sens, saluer la politique monétaire conduite par M. Mario Draghi qui nous a redonné des marges de compétitivité. Les bienfaits de cette dernière s'ajoutent ainsi à la politique des coûts que nous conduisons de notre côté. En effet, le taux de change représentait le plus grand écart de compétitivité avec notre concurrent. Le problème cependant, c'est qu'il est impossible de fonder une politique de compétitivité sur des marges monétaires et il faut ainsi demeurer résilient. En outre, SpaceX dispose de davantage de marges de manoeuvre pour s'organiser et je pense que la nouvelle gouvernance vers laquelle s'engage l'Europe et qui repose sur une confiance renouvelée envers les industriels est, à cet égard, une bonne chose. La question du retour géographique se pose également et je pense que le système actuel présente de nombreuses vertus. Lorsqu'un État investit durablement dans le développement d'Ariane, il reçoit l'assurance que les emplois induits par nos programmes se trouveront sur son territoire. Cette règle du retour géographique mise en oeuvre par l'Agence spatiale européenne permet de susciter l'intérêt des États. Faut-il l'assouplir au moment de la production ? Ce sujet sera certainement débattu par Airbus Safran Launchers avec ses sous-traitants, mais on peut imaginer que pour la réalisation du second lot d'Ariane 6, cette contrainte soit quelque peu desserrée. Si la loi du retour est très vertueuse pour attraire les financements publics, il faut que celle-ci renforce notre compétitivité de manière durable. Notre concurrent n'a pas à assumer, quant à lui, une telle contrainte !

SpaceX est en phase d'apprentissage et connaît actuellement un échec. Il faut se garder de tout jugement hâtif en la matière car un échec est toujours possible. SpaceX a ainsi essuyé un échec le 28 juin dernier lors d'une mission effectuée pour le compte de la NASA. Un retour en vol est annoncé d'ici la fin de l'année. Il va lui falloir assurer un nombre conséquent de lancements, continuer d'innover afin d'être en phase avec son ambitieuse feuille de route technologique et éviter un nouvel échec. C'est ambitieux. Certes, nous allons avoir comme nouveau lanceur Ariane 6, mais d'ici là il ne faut pas toucher à Ariane 5 ! Nous sommes dans une série de 68 tirs réussis d'affilée et la base du succès demeure la stabilité du lanceur. Arianespace ne souhaite guère à chaque lancement conduire une expérience nouvelle. Mon ingénieur en chef, qui est à mes côtés lors de chaque lancement, veille à ce que nous demeurions dans ce qu'il nomme « le domaine exploré ». Nous ne partageons pas la même philosophie avec notre concurrent et si nous allons innover avec Ariane 6, nous ne souhaitons pas changer de configuration de lanceur à chaque lancement ! J'assume ainsi nos différences avec ce concurrent. Nous sommes le leader sur le marché et rien ne serait pire que de nous cantonner dans une sorte d'imitation ! Cette démarche n'empêche certes pas des remises en cause profondes, mais implique d'évoluer avec nos atouts et dans notre contexte européen !

La France, grâce au CNES et à la loi sur les opérations spatiales, est très attentive aux questions de sécurité dans l'espace de manière globale. Il sera ainsi possible de désorbiter l'étage supérieur du nouveau lanceur Ariane 6, ce qui contribuera à la propreté de l'espace. S'agissant des satellites, qui ne relèvent pas directement de notre responsabilité, le sujet des débris se pose et motive l'élaboration de programmes européens idoines. En ce qui concerne les orbites basses où se fait jour un certain encombrement - OneWeb évoquant près de 900 satellites, SpaceX 4 000 et Samsung disposant d'une constellation satellitaire spécifique -, il incombera à ces opérateurs de régler cette situation. Lors du dernier forum de la communauté spatiale internationale, qui s'est déroulé la semaine passée, OneWeb a annoncé qu'il dépasserait les objectifs fixés par la législation en matière de désorbitation de ses satellites dont la durée de vie n'excède pas cinq ans. Le sujet des débris est bien identifié par tous les acteurs et doit conjuguer, à mon sens, l'investissement public, puisque le nettoyage de l'espace ne va pas de soi, avec la responsabilité privée.

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