Nous devons désigner les sénateurs appelés à siéger dans la commission mixte paritaire (CMP) relative à la proposition de loi tendant à consolider et clarifier l'organisation de la manutention dans les ports maritimes, excellemment rapportée par notre collègue Michel Vaspart. Cette CMP devrait se tenir le mardi 10 novembre à 14 heures, à l'Assemblée nationale, et ne devrait pas durer très longtemps.
Sont désignés comme titulaires : MM. Hervé Maurey, Michel Vaspart, Didier Mandelli, Michel Raison, Jean-Jacques Filleul, et Mmes Nelly Tocqueville et Evelyne Didier et comme suppléants : Mme Nathacha Bouchart, et MM. Gérard Cornu, Rémy Pointereau, Pierre Médevielle, Jean-Claude Leroy, Hervé Poher et Guillaume Arnell.
La réunion est suspendue à 10 h 05.
La réunion est reprise à 14 h 45.
Madame la ministre, mes chers collègues. Nous souhaitions vous auditionner car nous avons mis en place au mois de mars dernier un groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire, qui doit prochainement remettre son rapport. Nous avons créé ce groupe de travail afin de faire un point sur l'aménagement numérique, deux ans après la publication de la feuille de route du Gouvernement, début 2013.
Le numérique est une dimension essentielle du développement de la France et de ses territoires. Il représente une opportunité à saisir pour résorber les inégalités existantes. Toutefois, il peut également constituer une source de nouvelles fractures territoriales.
Dans la continuité de la précédente majorité, et avec assez peu de changements en termes d'architecture globale, le Gouvernement actuel a présenté sa stratégie numérique début 2013, promettant en particulier une couverture totale de la population en très haut débit fixe d'ici 2022, principalement grâce à la fibre optique jusqu'à l'utilisateur, le fameux FttH.
Le groupe de travail a mené de nombreuses auditions, afin d'examiner la mise en oeuvre concrète des annonces de votre Gouvernement.
Ce que nous avons constaté dans nos travaux nous inquiète pour l'avenir de nos territoires. Bien sûr, le très haut débit progresse, et nous atteindrons sans doute l'objectif de 50% de couverture en 2017. Mais cette situation est trompeuse car elle masque une double hétérogénéité, technologique et géographique.
Le très haut débit a été fixé à un niveau peu ambitieux, 30 mégabits par seconde, alors que l'on considère en général qu'un véritable très haut débit pérenne se situe à 100 mégabits par seconde avec des flux symétriques. Cette couverture en très haut débit sera donc majoritairement assurée par une modernisation du réseau de câble et du réseau de cuivre. La fibre optique de bout en bout restera minoritaire.
Géographiquement, l'accès au très haut débit sera essentiellement offert à la partie la plus dense de la zone réservée à l'initiative privée, c'est-à-dire le centre des grandes agglomérations. Les territoires périurbains et ruraux resteront largement dépourvus de couverture en 2017. Ajoutons que la notion de couverture est trompeuse car elle se fonde sur l'éligibilité au très haut débit, et non sur le raccordement effectif.
Nous craignons donc qu'en 2017, et a fortiori en 2022, les inégalités se soient accrues. Le Gouvernement se prévaudra peut-être en 2017 d'un déploiement atteint à mi-parcours. Il faut garder à l'esprit qu'à cette date, le plus dur restera à faire : les 50% restants seront les plus coûteux et les plus difficiles à couvrir, car à cette date, la couverture concernera essentiellement les zones denses.
Les objectifs fixés en 2022 sont extrêmement fragiles : la couverture à 100% du territoire semble très hypothétique, pour ne pas dire totalement irréaliste. Quant à l'objectif d'une couverture à 80% en FttH, le mix technologique observé dans la zone d'initiative privée, et la difficulté pour les collectivités de viser un niveau élevé de fibre optique, compte tenu notamment de leur situation budgétaire, fragilisent cet objectif.
D'ici 2020, les différents organismes auditionnés considèrent que les ressources des opérateurs privés devraient se concentrer sur la partie câblée de la zone réservée à l'initiative privée. Dans ces zones SFR-Numericable va s'appuyer sur son réseau déjà déployé, et les autres opérateurs, notamment l'opérateur historique, se concentreront sur ces zones, pour faire face à cette concurrence. Tout une partie de l'ancienne zone AMII risque de rester sans couverture, particulièrement dans les territoires périurbains. Dans ces zones, l'intervention des collectivités territoriales est impossible, les gouvernements successifs n'ayant pas envisagé de soutien aux déploiements, sauf défaillance caractérisée. Les opérateurs privés ont préempté ces territoires par des intentions d'investissement le plus souvent nébuleuses, dont l'aboutissement était fixé en 2015, et dont la reprise par des conventions de suivi est encore très incertaine. L'évolution de la structure du marché, suite à la fusion entre Numericable et SFR, a également modifié les incitations des différents opérateurs privés dans cette zone. Nous nous posons donc plusieurs questions Madame la ministre.
Comment le Gouvernement s'assure-t-il que les opérateurs privés déploieront véritablement des réseaux d'ici 2020 dans l'intégralité de la zone AMII ? Le conventionnement permettra-t-il de garantir le respect des engagements pris par les opérateurs privés, dès lors qu'il est loin de couvrir la totalité de la zone et que ses effets sont bien peu contraignants ? La seule perspective d'une perte du monopole des déploiements est-elle suffisante pour inciter les opérateurs à déployer ? Le Gouvernement dispose-t-il d'un « plan B » en cas de défaillance massive sur les déploiements privés dans la zone moins dense ?
Quant à la zone d'initiative publique, les collectivités territoriales ne disposent pas des moyens, ni des assurances nécessaires pour envisager une couverture totale en 2022. Dans un contexte de diminution générale des dotations, et de difficultés économiques, les collectivités ont élaboré des projets ambitieux de déploiement, qui restent exposés à de nombreux risques et incertitudes : qu'il s'agisse de choix technologiques, de modèle économique, ou de commercialisation. Sur bien des sujets, les collectivités territoriales sont livrées à elles-mêmes.
Quelles sont les perspectives de subvention pour les collectivités au-delà de 2020, alors que l'objectif est fixé en 2022 ? Comment lutter contre la stratégie attentiste des opérateurs privés sur la majorité des réseaux d'initiative publique ? Les collectivités doivent, malgré les baisses de dotations, investir pour déployer un réseau que les opérateurs n'ont pas souhaité construire, mais elles ne disposent d'aucune garantie sur la venue des opérateurs pour commercialiser leurs offres de services. Cette situation risque de créer un véritable scandale en termes d'argent public, avec des réseaux onéreux déployés par les collectivités, et des opérateurs choisissant de ne pas les utiliser. Il s'agit d'une inquiétude très forte pour les élus locaux.
Quel est l'avenir de la solution de montée en débit, alors même que la Commission européenne a mis en cause le subventionnement public à l'offre proposée par Orange ? Hier, notre collègue Patrick Chaize a posé une question au Gouvernement, mais n'a pas obtenu de réponse. Par ailleurs, les règles de transition du cuivre vers la fibre optique permettront-elles de mettre un terme à la rente du cuivre qui fragilise les nouveaux réseaux en fibre optique ?
À ces craintes sur le très haut débit, s'ajoute une exclusion persistante sur le haut débit fixe. Près de 15 % de la population reste privée d'un accès à un haut débit satisfaisant. Or l'objectif du Gouvernement est de garantir à tous un tel accès d'ici 2017. Pouvez-vous nous expliquer comment le Gouvernement compte résorber d'ici cette échéance une fracture numérique aussi élémentaire ?
Quant au mobile, je me réjouis que le Gouvernement ait repris ce dossier, qui était bloqué depuis plusieurs années. Toutefois, de nombreuses interrogations subsistent sur la relance de la couverture mobile. Les zones non-couvertes vont-elles être recensées de façon exhaustive ? Dans le département dont je suis élu, la préfecture a identifié une dizaine de sites, quand le conseil départemental en a recensé deux cents ! Si l'identification des difficultés est aussi limitée, le problème ne sera pas réglé. Des questions demeurent également sur le soutien réel de l'État aux collectivités dans la mise en place de points hauts, et sur l'utilisation par les opérateurs d'infrastructures créées sur fonds publics. Enfin, pour les 800 sites prioritaires hors centre-bourg, ni les critères de sélection ni les modalités de financement ne sont fixés.
Enfin, le déploiement de la 4G reste extrêmement limité en zone de déploiement prioritaire... qui n'a jusqu'à présent de prioritaire que le nom. Cette dernière regroupe pourtant 63 % du territoire et 18 % de la population. La lenteur des déploiements dans nos territoires ruraux est d'autant plus regrettable que la 4G à usage fixe représente une chance pour permettre aux zones qui ne bénéficieront pas à moyen terme d'un accès filaire au très haut débit de disposer d'une alternative technologique. Patrick Chaize avait mis en évidence la possibilité d'accélérer ces déploiements lors de l'attribution des licences sur la bande 700, opportunité manquée par le Gouvernement et le régulateur en juillet dernier.
Vous l'aurez compris, Madame la ministre, nous sommes tous convaincus de l'importance du numérique pour nos territoires. Mais nous sommes très inquiets face à la trajectoire que prennent les infrastructures de communications électroniques : le cadre du très haut débit risque de créer une nouvelle fracture territoriale, plus d'un Français sur dix ne bénéficie toujours pas d'un haut débit fixe correct, et des milliers de communes restent privées d'une couverture mobile satisfaisante.
Cette exclusion numérique crée une précarité nouvelle, et alimente un sentiment d'abandon dans de nombreux territoires ruraux.
Au-delà des grands chiffres nationaux, nous souhaitons donc vous entendre sur les fragilités que nous avons pu identifier lors de nos travaux, et sur les solutions que le Gouvernement entend apporter afin d'assurer, à une échéance raisonnable, l'accès de tous les citoyens aux différents réseaux de communications électroniques. Je vous remercie.