Intervention de Alain Gournac

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 octobre 2015 à 9h30
Accord d'association entre l'union européenne et la communauté européenne de l'énergie atomique et leurs états membres d'une part et la géorgie d'autre part — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain GournacAlain Gournac, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, après l'accord d'association avec la Moldavie et l'Ukraine, nous examinons ce matin l'accord d'association entre l'Union européenne et la Géorgie. C'est le dernier des trois accords d'association signés en 2014.

Il s'inscrit dans le cadre du « Partenariat oriental », initiative datant de 2009, qui concernait à l'origine, outre la Géorgie, l'Ukraine et la Moldavie, avec lesquelles ces accords ont été conclus, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Biélorussie. Nous avons déjà longuement échangé à ce sujet, notamment dans le cadre de l'examen du rapport d'information sur la Russie qui a évoqué la question du partenariat oriental.

Il s'agit d'un accord mixte parce qu'il comprend des domaines relevant de la compétence de l'Union européenne et d'autres dispositions relevant de celle des Etats, raison pour laquelle il doit être ratifié par l'ensemble des Etats membres.

L'accord d'association est un accord ambitieux qui demandera des réformes et des investissements conséquents aux Géorgiens qui en prennent peu à peu conscience. Selon moi, cet accord est une chance, pour la Géorgie, mais aussi pour l'Union européenne et la France, qui ont tout à gagner de l'instauration d'un Caucase stable.

Dans cette perspective, cet accord vise à mettre en place une association politique et une intégration économique mutuellement bénéfiques. Il comprend à la fois un volet politique, un volet commercial visant à une libéralisation quasi-totale des échanges et un volet dit « de coopération », dont l'objectif est la reprise par la Géorgie de l'acquis normatif communautaire dans un grand nombre de domaines.

L'existence de « conflits gelés » en Géorgie donne évidemment une dimension particulière à l'examen de ce texte, mais ne doit pas non plus être surévaluée. Comme dans le cas de la Moldavie, conclu avec un pays ne contrôlant pas l'intégralité de son territoire, cet accord ne s'appliquera pas aux régions de l'Abkhasie et de l'Ossétie du Sud, avant que le conseil d'association, composé de représentants européens et géorgiens, n'adopte, par consensus, une décision reconnaissant que l'accord peut être étendu à l'intégralité du territoire géorgien.

S'agissant du contenu de cet accord, le volet politique prévoit le développement d'un dialogue sur les réformes intérieures et une convergence progressive dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité. Ce dialogue vise à promouvoir la paix et sécurité internationales et à renforcer le respect des principes démocratiques, de l'état de droit, de la bonne gouvernance, des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il prend place dans des instances spécifiques, notamment un conseil d'association composé de représentants des parties au niveau ministériel, et un comité d'association, composé de hauts fonctionnaires qui est chargé de préparer les réunions du conseil d'association.

L'accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA), qui constitue le noyau dur de l'accord et son deuxième volet, prévoit la libéralisation complète des échanges grâce à la suppression des droits de douane sur la quasi-totalité des lignes tarifaires pour chacune des parties et à des mesures non tarifaires visant à faciliter l'accès aux marchés, comme la transparence des marchés publics, l'harmonisation des procédures douanières, la libéralisation des services, etc.

Enfin, le troisième volet, qui apparaît comme la contrepartie de la libéralisation des échanges, vise à l'adoption par la Géorgie d'une grande partie de la réglementation et des normes communautaires applicables dans vingt-sept domaines allant de l'énergie à l'agriculture et aux transports, de la politique industrielle à celle en faveur des PME, ou encore l'environnement, la protection des consommateurs, la culture et l'éducation. Ce rapprochement réglementaire et normatif, qui va demander de gros efforts aux Géorgiens, doit être réalisé avec l'assistance de l'UE.

Pour la Géorgie, il s'agit d'accélérer son rapprochement économique avec l'Union européenne. L'Union représente déjà 20 % des exportations de la Géorgie et 30 % de ses importations.

L'étude préalable d'impact commanditée par la Commission européenne estimait que l'application du volet commercial devrait permettre un gain supplémentaire de croissance de 4,3 % à long terme pour la Géorgie, grâce à une augmentation des exportations géorgiennes évaluée à 12 % contre 7,5 % de hausse des importations provenant de l'Union européenne. Les secteurs de la chimie et des matières plastiques pourraient espérer des gains de production substantiels, la croissance dans ce domaine pourrait atteindre 60 %. L'accord représente également un puissant levier pour moderniser l'économie géorgienne, par l'adoption de standards propres à instaurer un environnement favorable à la concurrence et aux investissements, caractérisé par le renforcement du droit des affaires et des méthodes de bonne gouvernance, dans un pays où la corruption et l'économie informelle ont déjà reculé, même si des efforts restent encore à poursuivre. Ainsi les importantes mesures anti-corruption prises sous la présidence de Mikheïl Saakachvili ont eu pour conséquence de porter la Géorgie à la 15ème place mondiale dans le classement « Doing Business » 2014 de la Banque mondiale, soit une amélioration de 6 places par rapport à 2013.

Consciente que l'application de l'accord pourra, dans un premier temps, provoquer des ajustements difficiles, notamment pour la production industrielle et les biens de consommation courante, la Géorgie devrait pouvoir valoriser son potentiel dans le domaine chimique, les matières plastiques et dans le secteur agro-alimentaire. L'agriculture en 2012 représentait 9 % du PIB et occupait 50 % de la population active. Je vous rappelle mes chers collègues qu'il n'existe ni services déconcentrés ni politique agricole en Géorgie. Un réel potentiel existe, délaissé par l'approche volontairement moderniste du Président Saakachvili. La France finance désormais un poste d'expert au sein du ministère de l'agriculture géorgien, et l'Agence française de développement prévoit une intervention accrue, sous forme d'un prêt de 20 millions d'euros consenti à la Banque de Géorgie pour soutenir des entreprises et coopératives agricoles.

Il faut également mentionner l'aide financière conséquente que l'Union européenne accorde à la Géorgie, qui en fait le quatrième pays le plus aidé au titre de la politique de voisinage et le deuxième pays le plus aidé du Caucase, juste après la Moldavie. Ce sont entre 335 et 410 millions d'euros qui seront alloués sur la période 2014-2020 dans le cadre de l'Instrument européen de voisinage, en vue de mettre en oeuvre les réformes prévues par l'accord.

Pour les produits industriels, la libéralisation tarifaire sera immédiate pour la Géorgie comme pour l'Union européenne. Le commerce des produits agricoles sera également immédiatement et intégralement libéralisé mais certains produits identifiés comme sensibles bénéficieront d'un mécanisme dit « anti-contournement », pour éviter que la Géorgie ne devienne une plate-forme de transit et de réexportation. Seront concernés par exemple les viandes, les produits laitiers, certaines céréales et le sucre.

En ce qui concerne l'Union européenne, le premier avantage de l'accord est de favoriser le développement économique et la stabilité d'un pays du voisinage, tout en étendant son influence par l'extension du champ d'application de son corpus normatif.

Les pays européens y gagnent également des perspectives en matière d'investissements directs et de commerce, même si la Géorgie ne représente que 0,1% des échanges de l'Union européenne, soit le 76ème rang des partenaires commerciaux de l'Union. Les entreprises françaises attendent une amélioration du climat des affaires, elles disposent d'ores et déjà de 29 implantations d'investisseurs importants en Géorgie, positionnés dans des secteurs tels que le secteur financier, avec la Société Générale, et celui de la distribution, avec notamment Carrefour.

Enfin, l'accord permet des avancées au bénéfice de l'Union européenne, notamment en matière de protection de la propriété intellectuelle : lutte contre la contrefaçon, respect des indications géographiques protégées. Ainsi, moyennant une période de transition, la Géorgie ne pourra plus utiliser les dénominations de Cognac, Champagne ou encore Cahors pour des vins produits sur son territoire, ce qui était un sujet sensible pour la France et parfois l'objet de surprise lors de déplacement en Géorgie. Il faut également souligner le progrès que représentera l'application par la Géorgie des normes sanitaires et phytosanitaires pour égaliser les conditions de concurrence et améliorer la sécurité sanitaire.

La France a été un moteur pour l'apaisement du conflit en Géorgie en 2008. Elle bénéficie en Géorgie d'une image positive dont il faut tirer profit.

Il s'agit de répondre à l'attente de la Géorgie qui s'investit dans l'application de cet accord ; elle a en effet lancé tout un train de réformes : libéralisation de nombreux secteurs, stabilisation du marché des changes, mesures visant à la limitation de sa dépendance énergétique, lutte contre la corruption, réduction des maltraitances dans le système pénitentiaire... Même s'il ne faut pas sous-estimer les difficultés rencontrées au nombre desquelles je peux compter : la lenteur du rythme des réformes, notamment s'agissant de la justice, ainsi que les incertitudes liées aux résultats des prochaines élections législatives prévues en octobre 2016, il existe une volonté réformatrice en relation avec l'accord d'association.

Enfin, il s'agit d'honorer un engagement pris par l'Union européenne, qui vise à développer, je cite, une « association politique et une intégration économique » avec la Géorgie. Précisons bien à ce stade que l'accord ne donne aucune « perspective européenne », c'est-à-dire aucune perspective d'adhésion à ce pays, même s'il prend acte de ses « aspirations européennes ». C'est un point crucial car nous connaissons bien la façon ambiguë avec laquelle a été reçue la politique de voisinage. Sur ce point, la position du gouvernement français, mais aussi d'autres pays comme l'Allemagne et la Belgique, est très claire : nous sommes opposés à un élargissement de l'Union européenne aux pays du Partenariat oriental.

Pour toutes ces raisons, je vous propose donc d'adopter le projet de loi ratifiant l'accord d'association entre l'UE et la Géorgie.

Il sera examiné en séance publique le jeudi 29 octobre à 10h30. La Conférence des Présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée, choix que j'approuve car malgré l'importance du sujet, si nous demandons un débat normal, à cause de l'embouteillage en séance en période budgétaire, l'adoption sera repoussée. Il ne reste que cinq Etats membres à ne pas avoir encore ratifié cet accord, dont la France, il serait souhaitable que nous y remédions avant la fin de l'année.

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