Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à quelques semaines de la COP 21 et dans un contexte de crise migratoire, ce débat est tout à fait opportun. Je remercie Jean-Louis Borloo, d’avoir lancé cette initiative et Jean-Marie Bockel d’avoir proposé cette résolution ! Il est assez émouvant, d'ailleurs, de nous retrouver ensemble, dans cet hémicycle…
Le Sénat a ainsi l’occasion de poser sereinement ce débat. Il est, à mon sens, de notre responsabilité d’en replacer les enjeux et d’ouvrir les consciences sur le fait que le dynamisme économique de l’Afrique est très éloigné des clichés largement répandus sur le sous-développement. Lors de la dernière décennie, ce continent a connu une croissance moyenne de 7 %. Si elle s’est légèrement ralentie ces derniers temps, celle-ci est encore aujourd'hui proche de 5 %.
Certes, cette croissance économique est toujours insuffisante et, surtout, inégale.
Elle est insuffisante pour faire face au défi démographique de l’Afrique, qui comptera deux milliards d’habitants en 2030, dont un milliard de jeunes en quête d’avenir.
Surtout, elle est inégale : aujourd'hui, quelque 600 millions de personnes n’ont pas d’accès à d’autres formes d’énergie que leur propre force ou celle de leurs animaux domestiques. Ces 600 millions de personnes sont souvent des femmes : des femmes qui cultivent, des femmes qui nourrissent, des femmes qui sont de corvée d’eau – elles passent, chaque année, quelque 400 milliards d’heures à marcher – et des jeunes filles privées d’école.
Il s’agit donc d’un immense défi pour notre voisin qui, je le rappelle, est à douze kilomètres de l’Europe et qui sera aussi le plus touché par les changements climatiques.
Face à ce défi, la rhétorique de la peur, qui y voit l’annonce d’une invasion de l’Europe, est évidemment reine. La réalité, pourtant, c’est que ce défi est un espoir, celui de défendre un nouveau modèle de développement.
Le mérite premier de la fondation de Jean-Louis Borloo a été justement d’ouvrir les yeux de l’Europe et de lui démontrer que l’Afrique est non une menace, mais un partenaire, pour elle et pour la France. L’Afrique est un territoire d’opportunités. Elle peut se développer en enjambant l’étape des énergies fossiles et en se tournant directement vers les nouvelles formes d’énergies renouvelables, celles du XXIe siècle.
En effet, électrifier l’Afrique, cela veut dire investir dans des réseaux non câblés, miser sur le photovoltaïque, sur l’éolien, sur l’énergie solaire, sur l’hydraulique, bref, sur tout ce qui nous permet d’anticiper l’avenir. C’est aussi l’occasion de porter la croissance du continent de 5 % à 15 % par an, donc de faire de l’Afrique le grand partenaire économique de l’Europe.
Je veux donc souligner le caractère proprement historique de l’initiative prise par cette fondation. C’est en effet la première fois qu’une telle structure mise, d’une part, sur le développement d’un autre continent, et, d’autre part, sur un partenariat entre les secteurs public et privé. Jamais aucune fondation n’avait pris une telle initiative !
De fait, aujourd’hui, les médias nous incitent plutôt, en général, à débattre des murs qu’il faudrait construire contre l’immigration. On veut nous encourager à l’égoïsme des nations. Néanmoins, l’avenir n’est pas dans ces agitations. Il réside – c’est à nous, responsables politiques, de le rappeler – dans des projets à vingt ans, qui permettront effectivement d’apporter une réponse à ces défis.
L’initiative dont nous débattons aujourd’hui est très ambitieuse ; elle l’est même trop pour certains sceptiques, qui sont toujours un peu les mêmes, d’ailleurs.
Pourtant, l’objectif d’électrification de l’Afrique à l’horizon 2025 n’est pas colossal sur le plan technique. L’électrification des pays européens a été globalement effectuée en moins de vingt ans, et cela dès les années 1920, avec des techniques bien inférieures à celles dont nous disposons aujourd’hui.
Même sur le plan financier, la démarche est assez proche du plan de soutien à l’investissement proposé à l’échelle de l’Union européenne par Jean-Claude Juncker. Ce dernier, qui est par ailleurs loin d’être notre idole, propose bien un partenariat entre fonds publics et privés.
Comme Jean-Marie Bockel l’a rappelé, la fondation « Énergies pour l’Afrique » évoque pour son plan d’action, un coût global de 200 milliards d’euros sur dix ans. Les finances publiques des États contributeurs n’en seraient que peu affectées, puisque leur contribution ne serait que de 50 milliards d’euros sur cette même période, soit 5 milliards d’euros par an. Cela équivaut à la moitié du budget de la région d’Île-de-France ! Rappelons en outre que cette somme serait répartie entre l’ensemble des pays européens, auxquels s’ajouteront peut-être les États-Unis, s’ils souhaitent contribuer à cette entreprise.
La France a bien évidemment un rôle stratégique à jouer dans la promotion de cette initiative. C’est en France que celle-ci a été pensée et engagée. C’est la France qui a une histoire commune avec bien des grands pays africains. C’est encore la France qui se veut porteuse d’un nouveau modèle de développement d’avenir.
C’est alors qu’intervient ce projet de résolution. En effet, la fondation de Jean-Louis Borloo mérite le soutien le plus large possible ; nous partageons tous cet objectif d’intérêt général. Elle mérite que l’on convainque les autres gouvernements européens. Enfin, elle mérite que l’on engage, en même temps que nous, les entreprises et les investisseurs privés.
N’est-ce pas le rôle du Sénat que de penser à ces questions d’avenir et d’être la chambre du long terme, celle qui est capable de penser la soutenabilité de notre modèle de développement ?
Ce Sénat, que certains voudraient voir disparaître…