Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de résolution de Jean-Marie Bockel et du groupe UDI-UC constitue à nos yeux une curiosité.
En effet, elle demande au Gouvernement de soutenir une initiative privée favorisant le développement du continent africain ou, plus précisément, d’apporter le concours de l’État à l’association « Énergies pour l’Afrique », lancée par Jean-Louis Borloo, ancien ministre de l’écologie du Président Sarkozy, que je veux ici saluer.
« Énergies pour l’Afrique » se donne pour objectif de faire passer en dix ans le taux d’électrification de ce continent de 25 % à 80 %. Je voudrais citer une phrase tout à fait explicite de la proposition de résolution : s’y exprime le souhait « que le Gouvernement puisse prendre sa juste part de soutien à cette fondation, par toutes mesures utiles, diplomatiques ou financières, afin de rappeler que l’avenir de la France et de l’ensemble de l’Europe se joue autant au sud qu’au nord de la mer Méditerranée ».
L’exposé des motifs part du constat, à vrai dire incontestable, d’un fossé considérable, voire d’une véritable fracture énergétique entre l’Europe et l’Afrique, en particulier dans le domaine de l’électrification. Suivent des considérations tout aussi évidentes, mais qui méritent d’être rappelées, expliquant que cet état de fait maintient dans la pauvreté et la misère plus de 600 millions de personnes en les privant d’accès à des biens essentiels, comme l’électricité, à laquelle seuls 25 % de la population ont accès, ce qui exclut bien des gens des circuits économiques dans leur propre pays.
S’y ajoute l’explosion démographique en cours sur l’ensemble du continent africain, bien que cette réalité soit contestée aujourd’hui par plusieurs démographes, qui nous invitent à fortement la nuancer.
L’une des solutions proposées pour réduire la fracture énergétique dont sont victimes les pays africains consisterait donc à augmenter leurs capacités énergétiques par l’électrification de l’ensemble du continent subsaharien. Cette électrification serait l’une des conditions nécessaires pour assurer le développement de l’Afrique.
Cette analyse est simple et sympathique ; elle est aussi, à mon grand regret, teintée de certaines arrière-pensées. Or c’est d’elle que provient l’idée de changer les choses pour le bien des populations en Afrique.
Je parle d’arrière-pensées, car il est aussi clairement écrit que l’un des objectifs de cette entreprise est de prémunir l’Europe des conséquences néfastes pour nos sociétés que provoquerait la situation actuelle du continent africain, si elle devait perdurer.
Ainsi, au-delà de cette proposition de résolution, certaines motivations affichées par l’association de Jean-Louis Borloo, ainsi que l’outil même de développement qui est proposé, suscitent en moi des interrogations.
Je trouve par exemple très ambigu et contestable un aspect de l’argumentation développée par Jean-Louis Borloo lorsqu’il a pris la parole, le 6 octobre dernier, devant le Parlement panafricain à Johannesburg. Je cite, telle qu’elle a été rapportée par la presse, une phrase de son intervention qui m’a particulièrement interpellé : « C’est la seule façon de prévenir les migrations massives vers le Nord, et ce sera en plus pour l’Europe et le monde un vrai relais de croissance. »
Soit dit en passant, à moins de deux mois du sommet sur le climat de la COP 21, Jean-Louis Borloo sait fort habilement présenter son association en multipliant les voyages et les démarches auprès des gouvernements africains et européens, sans avoir un besoin absolu du soutien du Sénat.
Je trouve également que la structure et le modèle économique de cet outil de développement mériteraient d’être pour le moins précisés dans la proposition de résolution.
J’ai cru comprendre que l’idée, encore assez floue, était de créer une agence spécialisée dédiée à cette question. Elle devrait recevoir quelque 4 milliards de dollars par an sur une dizaine d’années sous forme de subventions non conditionnelles. L’objectif est de réunir au total 250 milliards de dollars, par effet de levier ou grâce à des financements classiques.
Tout cela soulève de nombreuses questions sur la mobilisation des financements et la destination des sommes consacrées à ce plan, mais aussi sur la conception de l’aide au développement de l’association « Énergies pour l’Afrique » : il me semble que « l’intérêt bien compris » et le « gagnant gagnant » l’emportent sur l’humanisme.
Par ailleurs, est-ce bien au Sénat, avec toute son autorité et sa légitimité, de demander au Gouvernement de soutenir, par de tels moyens, cette initiative privée ? N’y a-t-il pas là pour le Gouvernement une incitation à se dédouaner en apportant son soutien à des initiatives mobilisant des fonds privés, et ce dans un contexte de forte diminution des crédits destinés à l’aide publique au développement ?
En effet, c’est bien dans l’essor des politiques publiques d’aide au développement, au niveau tant de la France que de l’Union européenne, et bien au-delà, que réside la solution. Je relève à ce propos que, fort heureusement, les députés de gauche ont adopté, lundi dernier, hélas contre l’avis du Gouvernement, un amendement au projet de loi de finances pour 2016 qui vise à affecter quelque 25 % du produit de la taxe sur les transactions financières aux 233 millions d’euros dédiés à l’aide publique au développement.
Je m’interroge aussi sur le manque d’articulation du plan Électricité-Objectif 2025 avec les recommandations formulées dans le rapport présenté en juin sur cette même question par le groupe de réflexion dirigé par Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU.
De la même façon, quels sont les enseignements tirés du dernier rapport de l’Agence internationale des énergies renouvelables, l’IRENA ? Celle-ci soulignait que, en Afrique, ces énergies ne couvrent aujourd’hui que 5 % des besoins, qui quadrupleraient d’ici à 2030. Par ailleurs, selon cette agence, le développement des capacités et des infrastructures de distribution de courant nécessiterait sur la même période des investissements de 70 milliards de dollars par an, en moyenne.
Au total, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les bonnes intentions, surtout lorsqu’elles sont ambiguës, ne font pas toujours une bonne politique.
Trop de questions sont soulevées par cette proposition de résolution. Pour marquer nos réserves et notre scepticisme sur les modalités et l’efficacité du « plan Électricité–Objectif 2015 », le groupe communiste républicain et citoyen ne votera pas cette proposition de résolution.