Intervention de Jeanny Lorgeoux

Réunion du 22 octobre 2015 à 14h30
Soutien au plan d'électrification du continent africain — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Jeanny LorgeouxJeanny Lorgeoux :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, est-il besoin de rappeler que, dans ce monde tourneboulé qui, tel un derviche tourneur, accélère son propre vertige, il reste des vérités granitiques qui fondent la vie, donc la survie de l’humanité ?

Ces vérités sont simplement l’eau et la lumière. Dans l’histoire, la marche en avant de l’humanité demeure, avant tout, l’accès à ces deux sources ; or, si l’eau n’est pas duplicable à souhait, la lumière naturelle peut être prolongée par la lumière créée par l’homme, à savoir l’électricité. Et si l’humanité veut encore tendre vers la fraternité pour rompre, un jour peut-être, sa détestable propension à l’autodestruction, alors elle doit se rassembler pour, selon la belle formule de François Mitterrand, « sortir des ténèbres », au propre comme au figuré.

L’Afrique subsaharienne est, à l’évidence, notre horizon géostratégique, doté de surcroît du supplément d’âme que nos liens séculaires ont créé. L’Afrique, comme Jean-Marie Bockel et moi-même l’avons écrit et décrit dans notre rapport d’information, de même que le directeur général d’Expertise France, Sébastien Mosneron Dupin, est une partie de notre avenir. Sur ce continent, l’urgence rejoint l’évidence, qui rejoint le bon sens : il faut électrifier ; il faut éclairer ; il faut illuminer.

Aujourd’hui, en dehors des grandes conurbations, quelque 600 millions d’Africains sont plongés dans l’obscurité dès la nuit tombée ; les transports sont freinés ; la vie des entreprises est étranglée ; la pauvreté, enfin, est désespérément prorogée.

Alors que son sol et son sous-sol regorgent de richesses considérables, inexploitées ou offertes, comme dit si bien Verlaine, « au vent mauvais », l’Afrique ne connaît de développement – certes statistiquement prometteur, comme l’a rappelé Jean-Claude Requier – que dans les zones urbaines qui se concentrent et s’agglutinent autour des capitales. Les zones rurales, quant à elles, en restent à la survie, alors même que leurs femmes et leurs hommes sont ingénieux, travailleurs et respectueux de leurs terres et de leurs cultures traditionnelles. En vérité, il leur manque l’eau et l’électricité.

Ce n’est pas faire injure à notre ami Jean-Louis Borloo que de rappeler que, depuis quarante ans, nous avons été quelques-uns à réclamer – prêchant dans le désert, je le reconnais – l’électrification de l’Afrique. Je pense notamment, après les présidents Senghor, Houphouët-Boigny et, plus récemment, Mandela, à feu notre collègue Jacques Pelletier, à Michel Roussin, à Lionel Zinsou, à Érik Orsenna et à Jean-Michel Severino ; permettez-moi de leur rendre hommage.

Je suis naturellement heureux de souligner, ici, combien nous apprécions la hauteur de vue de Jean-Louis Borloo. Nous soutenons l’idée d’agréger, autour de l’Afrique et de son essor, toutes celles et tous ceux qui considèrent que le progrès matériel n’est pas contradictoire de l’élévation morale ; qui considèrent que la politique est noble ; qui considèrent, enfin, que la cause africaine est, non seulement une grande cause internationale, mais aussi l’intérêt de la France.

Ils relayent d’ailleurs ceux qui s’y sont déjà attelés sur le terrain depuis les proclamations d’indépendance : les ONG, dans le silence de l’anonymat, nos villes, départements et régions, dans le cadre de la coopération décentralisée, des grands groupes, qui ont saisi l’ampleur du marché pour les décennies à venir, et, bien sûr, au premier rang de l’opérationnalité, l’Agence française de développement, l’AFD, qui a tracé le chemin en consacrant d’importants financements – quelque 3 milliards d'euros en 2014 – à des opérations concrètes, à la demande des gouvernements africains.

Pour que mon propos ne soit pas éthéré, je citerai des réalisations et projets d’électrification mis en œuvre en Afrique par l’AFD en 2014 : le raccordement de 150 000 personnes au réseau électrique, l’hybridation solaire et éolienne de vingt-trois centres secondaires et la distribution d’électricité rurale au Kenya, l’aide au redressement des sociétés opératrices d’électricité au Bénin, au Sénégal, au Congo, la production d’électricité dans l’île de Sal au Cap-Vert, l’appui à la géothermie à Djibouti et en Éthiopie, la mise en place de mix énergétique – gaz, solaire – au Sénégal, l’extension de l’électricité rurale en Ouganda, la construction de la ligne à haute tension reliant Keur Pèr, en Mauritanie, à Saint-Louis au Sénégal.

Vous le voyez bien, mes chers collègues, il y a là de formidables ardeurs au travail, des réservoirs inépuisables de générosité et de légitimes ambitions économiques. N’ergotons donc pas. Ne mégotons pas.

L’on nous rebat les oreilles quotidiennement avec la perte des repères, le matérialisme technologique, la fin de la conscience civique. Aussi, emparons-nous, ensemble, de ce plan à grande échelle, qu’on le dénomme ou non « plan Marshall ». Saisissons-nous de ce vaste chantier, source à terme de centaines de milliers d’emplois. Défendons l’humanité avec ferveur et chaleur, car, ici, l’humanisme rejoint le réalisme, d’autant que, en 2050, quand l’Afrique comptera 2 milliards d’habitants, l’énergie électrique, l’énergie créatrice, l’énergie porteuse de richesses et de progrès offrira tout son effet bénéfique à la lutte contre le dérèglement climatique.

On ne peut pas séparer notre ambition du combat contre l’ennemi, l’ennemi volatil, qui corrode, qui réchauffe et qui détruit : je veux parler naturellement du dioxyde de carbone ! Levier économique, levier social, propreté énergétique, ce projet pour l’Afrique devra répondre au scénario le moins improbable, c'est-à-dire une consommation d’énergie multipliée par trois.

Là encore, il faudra faire preuve de réalisme et développer l’hydro-électricité, favoriser la biomasse, poursuivre l’exploitation du charbon – eh oui ! –, notamment en Afrique du Sud, mais en capturant le CO2, utiliser le pétrole pour les carburants, se servir du gaz pour l’industrie et l’électricité. Dans ce scénario, les émissions de CO2 pourraient être au moins stabilisées, voire diminuées ; nous le souhaitons.

N’y a-t-il pas là, mes chers collègues, un moyen d’espérer pour nous-mêmes, une source d’espérance pour les peuples africains, un chemin pour la paix ? Oui, pour la paix, car si l’électricité aide à développer l’Afrique à grands pas, les cohortes de la misère se réduiront et les murs entre très riches et très pauvres en Afrique, entre Nord et Sud, commenceront à s’effriter.

Les Africains eux-mêmes l’ont d’ailleurs bien compris, eux qui, dans le cadre de l’Union africaine, s’activent à redresser une sous-électrification notoire – quelque 25 % d’électricité au sud du Sahara, contre 40 % pour tout le continent –, à rénover des infrastructures vétustes entraînant délestages et coupures, à diminuer les disparités régionales – quelque 70 % d’électrification en République sud-africaine, contre 20 % au Burkina Faso, en République démocratique du Congo, à Madagascar –, à combler un hiatus entre la ville et la campagne, à améliorer les comptes des opérateurs publics ou privés, à susciter des investissements. Si l’on veut bien considérer l’enjeu, l’argent n’est pas un problème en soi : le public et le privé, réunis, pourront mobiliser 200 milliards de dollars d’ici à 2050.

Il n’est qu’à se reporter à la feuille de route de l’Union africaine sur les énergies renouvelables, soutenue par le G7 et le G20 Énergie, que la COP 21 lancera à Paris au mois de décembre 2015, sous l’égide du Président de la République et de Laurent Fabius. Elle vise à soutenir le financement de 10 gigawatts supplémentaires jusqu’en 2020 et jusqu’à 300 gigawatts de plus en 2030, en direction des populations déshéritées et des entreprises. Il faut en effet amorcer le mécanisme pérenne de la création de la richesse : comment distribuer ce que l’on n’a pas produit ?

Il n’est qu’à lire les déclarations volontaristes et, à ce titre, réjouissantes du nouveau président de la Banque africaine de développement, le Nigérian Akinwumi Adesina, qui affirme sans ambages : « Ma priorité, c’est d’allumer l’Afrique. » Naturellement, il s’agit d’allumer non pas le feu, mais les feux...

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