Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en 2015, l’humanité a fait le choix de construire un monde sans carbone et sans pauvreté. Tel est le sens des objectifs de développement durable que la communauté internationale a adoptés à New York voilà tout juste un mois. Tel est également le choix que nous devrons faire à Paris dans moins de quarante jours, lors de la COP 21.
Il est loin le temps où l’on opposait le développement économique et la préservation de la planète. En effet, de la Chine, qui parle maintenant de « civilisation écologique », à l’Inde, qui prépare un grand plan solaire, des États-Unis, qui ferment leurs centrales à charbon, à l’Europe, où les énergies renouvelables connaissent un essor impressionnant, la planète se convertit peu à peu à l’énergie durable.
Toute la planète ? Non, bien sûr, et malheureusement. Deux grandes zones aujourd'hui accèdent difficilement à l’énergie moderne et à tout ce qu’elle apporte en termes de développement : l’Inde et l’Afrique.
En Afrique, ce sont plus de 600 millions de personnes qui aujourd'hui n’ont pas accès à l’électricité, soit les deux tiers de la population. Comme vous avez été nombreux à le dire, l’enjeu est non pas seulement l’accès à l’électricité, mais aussi l’accès à l’énergie. L’immense majorité des Africains utilise encore principalement le bois et le charbon de bois pour cuire ses aliments.
C’est un drame sanitaire de premier plan. L’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, estime en effet que, aujourd'hui, quelque 4 millions de personnes dans le monde, principalement des femmes et des enfants, meurent chaque année prématurément de maladies pulmonaires liées à l’utilisation de cette énergie.
C’est aussi une catastrophe écologique. Je rentre tout juste de Turquie, où je présidais la délégation française à la douzième session de la Conférence des Parties à la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification. Nous avons encore une fois constaté que l’utilisation du bois et du charbon de bois pour la cuisson était l’une des causes principales de désertification, notamment au Sahel.
Dans certains pays, l’utilisation de cette énergie est aussi la source de nombreux trafics permettant de financer, malheureusement au détriment des populations et de l’environnement, des activités illicites.
L’absence d’énergie moderne constitue également un frein quotidien à l’éducation, à la santé, par exemple pour faire fonctionner les appareils médicaux ou conserver certains vaccins. C’est enfin un handicap majeur pour l’industrialisation durable du continent. Sans accès à l’énergie, il est impensable d’atteindre des taux de croissance économique élevés et durables, lesquels sont pourtant indispensables pour que l’Afrique sorte de la grande pauvreté.
L’Afrique, qui a pourtant un potentiel de développement majeur, a besoin de notre soutien. Nous devons « énergiser » ce continent.
L’objectif de développement durable n° 7 prévoit d’assurer, d’ici à 2030, un accès universel à l’énergie moderne, durable et abordable. C’est dans ce cadre que la France doit inscrire son action. C’est dans ce cadre que nous devons agir ensemble.
Le système énergétique actuel ne permettra pas de répondre au défi de l’accès à l’énergie en Afrique. Nous n’avons pas d’autres choix que de faire différemment, c'est-à-dire de développer massivement les énergies renouvelables.
Notre chance, face à ce défi considérable, est qu’une quatrième révolution industrielle, enfin compatible avec les limites de notre planète, est en marche. En effet, avec le développement des énergies renouvelables, dont le prix a baissé de manière spectaculaire – on peut s’en réjouir –, et avec les innovations des nouvelles technologies de l’information et de la communication, capables de gérer le stockage des énergies renouvelables, par exemple, nous avons la perspective d’un monde à 100 % d’énergies propres d’ici à la fin du siècle.
L’Afrique, nous le savons, est le continent au plus riche potentiel en énergies renouvelables. Elle est au rendez-vous de la responsabilité, en agissant pour un monde à zéro carbone et à zéro pauvreté, au travers des nombreuses contributions nationales des pays en développement, qui s’élèvent aujourd'hui à plus d’une trentaine. Elle est aussi « l’Afrique des solutions », que je parcours depuis de nombreux mois. Au Kenya, en Éthiopie, au Burkina Faso, j’ai rencontré des femmes et des hommes, des collectivités territoriales, des ONG, des États qui portent des solutions, des initiatives que nous devons soutenir.
Nous n’avons pas – c’est évident, et nous partageons tous cette vision ici – à choisir pour l’Afrique son mix énergétique, mais nous avons la responsabilité d’être lucides sur les solutions que nous devons accompagner. C’est pour cela que nous nous engageons en priorité en faveur du développement des énergies renouvelables.
Cela présente de nombreux avantages pour l’Afrique, notamment pour des pays qui ont encore des budgets nationaux modestes et un fort taux de pauvreté et qui ne peuvent tout simplement pas se mettre à importer massivement, comme nous le faisons, du gaz et du pétrole. Mieux vaut utiliser les ressources locales qui sont heureusement bien souvent renouvelables.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez évoqué le nombre de jeunes qui arrivent tous les ans sur le marché du travail en Afrique. Les ressources locales constituent par ailleurs une réponse en termes d’emplois locaux, donc de formation et de métiers d’avenir pour la jeunesse africaine. La majeure partie des équipements et infrastructures pour le solaire et l’éolien peut être produite par des filières locales africaines ; nous devons également mettre l’accent sur ce point.
Tel est le constat qui est largement partagé, sur l’ensemble de vos travées, mais aussi par Jean-Louis Borloo et sa fondation « Énergies pour l’Afrique ». L’action menée par ce dernier est essentielle. Il agit à nos côtés et aux côtés des pays africains pour trouver des solutions et, surtout, mobiliser, comme il l’a fait ces derniers mois. Je veux l’en remercier.
Nous devons être clairs : le développement des énergies renouvelables en Afrique est un élément clef pour la planète, et le Gouvernement le soutient fortement.
Le Gouvernement agit, premièrement, via son action diplomatique. Nous avons mobilisé le G7 pour qu’il réponde à l’appel de l’Union africaine à soutenir un grand plan sur les énergies renouvelables en Afrique. C’est un travail que j’ai en outre mené à New York, en septembre dernier, d’abord en tant que membre du Conseil exécutif de l’initiative « Énergie durable pour tous », portée par le Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, ensuite avec les chefs d’États africains de l’Éthiopie, du Sénégal et du Nigéria, rassemblés lors d’un déjeuner consacré à l’industrialisation durable du continent, au cours duquel nous avons rappelé combien il importait de soutenir ce projet.
Deuxièmement, la France soutient les énergies renouvelables en Afrique par sa politique de développement. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous rappelle que l’Agence française de développement soutient, chaque année, des projets en matière d’énergies renouvelables pour un montant d’environ 350 millions d'euros, dans le cadre d’un engagement d’un milliard de dollars par an destiné à la lutte contre le dérèglement climatique en Afrique. Le rapprochement entre l’Agence française de développement et la Caisse des Dépôts et consignations permettra d’augmenter sensiblement cette enveloppe, et ce dès 2016.
Cependant, nous ne pouvons, bien sûr, être seuls à agir. La mobilisation de Jean-Louis Borloo est précieuse pour entraîner la communauté internationale à soutenir l’accès à l’énergie durable en Afrique. C’est pourquoi la Fondation « Énergies pour l’Afrique » reçoit le soutien financier de plusieurs ministères. Nous avons de surcroît souhaité, avec Laurent Fabius, mobiliser les réseaux diplomatiques français et l’Agence française de développement autour de cette initiative.
Les missions de Jean-Louis Borloo ont ainsi permis une mobilisation de nombreux acteurs du continent. Il a si bien œuvré que les pays africains veulent s’impliquer en matière d’énergies renouvelables et portent aujourd'hui une initiative lancée par l’Union africaine consistant à soutenir le financement de 10 gigawatts supplémentaires en 2020, et jusqu’à 300 gigawatts supplémentaires à l’horizon 2030, en mobilisant des fonds publics, mais aussi privés.
Cette demande, défendue au plus haut niveau par l’Union africaine – l’Égypte, qui préside la Conférence des ministres africains sur l’environnement, et le Comité des chefs d’État et de gouvernement africains sur le changement climatique, le CAHOSCC - a reçu, grâce à la mobilisation du Président de la République, François Hollande, le soutien du G7 et du G20 Énergie, et sans doute sous peu, comme le laissait entendre la Turquie avant-hier, celui du G20.
Le portage par les pays africains est l’une des conditions du succès de ces initiatives. La demande des pays de ce continent est donc légitime. Elle correspond aux priorités définies par l’Union africaine dans le cadre de leur vision du continent à l’horizon 2050, contenue dans l’Agenda 2063, adopté en 2013.
Cette demande est construite sur la base d’une analyse détaillée des projets existants et en cours de développement qui est réalisée par la Banque africaine de développement, la Banque mondiale, avec l’appui de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, IRENA, et du Programme des Nations unies pour l’environnement, le PNUE. Elle revient à doubler le taux de développement des énergies renouvelables d’ici à 2020 et à utiliser ce vecteur pour développer massivement l’accès à l’énergie moderne en Afrique.
La France y prendra sa part, notamment grâce au rapprochement de l’AFD et de la CDC, qui permettra de financer davantage de projets d’énergies renouvelables en Afrique. Un comité sera créé au sein de la Banque africaine de développement pour assurer la mise en œuvre de ce plan. Il s’agit d’une initiative clef, sur laquelle nous devons mobiliser et apporter une réponse précise d’ici à la COP 21.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais attirer votre attention sur un dernier point. Il serait simpliste de résumer les attentes de l’Afrique pour la COP 21 aux seuls enjeux énergétiques.
L’Afrique, en tant que région vulnérable, a besoin de financements pour l’adaptation : je pense notamment aux digues et aux mangroves qu’il nous faut restaurer. Elle est en train de formuler une demande précise pour que 30 % à 40 % des 100 milliards de dollars par an que nous avons promis lors du sommet de Copenhague d’ici à 2020 soient consacrés à cette cause. Il faut être attentif à cette demande, et le budget de la France pour 2016 en est le reflet.
Par ailleurs, l’Afrique souhaite aussi notre soutien, que nous allons renforcer, à la protection des forêts du bassin du Congo, deuxième forêt tropicale du monde.
De même, il serait trop simple de résumer les enjeux de développement des énergies renouvelables à la seule question des financements. Pour réaliser son potentiel d’énergies renouvelables et pour devenir ce monde à « zéro carbone » et à « zéro pauvreté », d’autres conditions devront être réunies. Afin de mobiliser les financements privés, les cadres réglementaires devront être adaptés, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui. La formation, vous l’avez dit, et le renforcement de capacité sont tout aussi nécessaires si nous voulons former une génération de cadres, d’ingénieurs et de techniciens africains pour les énergies renouvelables.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le plan d’électrification du continent africain « plan Électricité-Objectif 2025 » converge largement avec l’action de la France, dans le cadre de sa politique de développement et de la recherche d’un fort soutien africain à l’accord de Paris sur le climat.
C’est une idée utile, un constat partagé, une mobilisation essentielle menée par Jean-Louis Borloo, une initiative dont les objectifs sont aujourd'hui visés par un grand nombre de soutiens. Toutefois, il est également essentiel que ces projets soient menés avec l’Afrique. Aussi, faisons converger ces initiatives, pour répondre encore mieux et plus fortement aux besoins immenses du continent africain.
À ce stade, néanmoins, et pour l’ensemble des raisons que j’ai exposées, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.