Intervention de Emmanuel Macron

Commission spéciale croissance, activité et égalité des chances économiques — Réunion du 4 mars 2015 à 17h15
Audition de M. Emmanuel Macron ministre de l'économie de l'industrie et du numérique

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

Mon état d'esprit est fait d'ouverture et de confiance dans la co-construction législative. Le texte a fait l'objet à l'Assemblée nationale de 82 heures de débats en commission, 111 heures en séance ; 495 amendements ont été adoptés en commission, 559 en séance, dont plusieurs défendus par l'opposition. Je ne crains pas de dire qu'il est désormais meilleur, et je ne doute pas qu'il sera encore enrichi par vos discussions, guidées par l'intérêt général.

Le statu quo n'est pas une option : nous devons aller au-delà des intérêts acquis, des postures et des caricatures, et nous efforcer concrètement dans chaque secteur de déverrouiller ce qui doit l'être, afin de donner à ceux qui ont la volonté d'entreprendre, d'investir ou de travailler davantage la possibilité de le faire plus rapidement.

Toute simplification est bonne : notre réglementation est parfois si complexe que nous sommes longs à y remédier. Sans doute nos débats pourront-ils améliorer le texte en ce sens. Il doit être possible de l'adapter davantage à la réalité des territoires, tout en préservant leur maillage. J'ai été sensible, lors de nos échanges informels, à vos demandes de solutions économiques nouvelles. Le texte peut être amélioré tout en conservant l'équilibre entre efficacité économique accrue et justice sociale préservée, parfois même renforcée. Il prévoit par exemple des critères de compensation du travail dominical qui n'existaient pas jusqu'ici. Déblocage et suppression des formalismes inutiles n'impliquent pas la réduction des droits. Enfin, évitons collectivement la facilité : si ce texte a porté des dispositions qui n'étaient pas naturelles pour la majorité gouvernementale, il ne doit pas devenir le réceptacle de tout ce que l'on aurait voulu faire et que l'on n'a pas fait...

Ma première ambition est de libérer l'activité et d'ouvrir à nos concitoyens des accès dans les secteurs trop fermés. C'est d'abord le cas des transports : l'ouverture de la circulation des autocars favorisera la mobilité. Elle repose actuellement en France à 83 % sur les véhicules particuliers, bien au-delà de la moyenne européenne. Il est préjudiciable à notre société que l'on ne puisse se rendre de Nantes à Bordeaux autrement qu'en voiture ou en train. L'an dernier en France, seules 110 000 personnes ont voyagé en autocar, contre 30 millions au Royaume-Uni, dont le réseau ferré n'est pas de même ampleur, et 8 millions en Allemagne, contre 3 millions il y a vingt mois, quand ce pays a pris des mesures analogues à celles que je vous propose.

Si le projet de loi pour la croissance et l'activité autorise l'exploitation de lignes d'autocar dans notre pays, il tient compte de l'intérêt des territoires : l'autorité organisatrice des transports pourra interdire les lignes d'autocars qui concurrenceraient les services publics de transport - autocars ou TER - après avis conforme de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.

Nous favoriserons la mobilité en réduisant les disparités qui sévissent sur notre territoire, en particulier pour l'accès de nos concitoyens au permis de conduire. Cette réforme a été largement perfectionnée par l'Assemblée nationale, en réponse à la volonté du Gouvernement de réduire les délais d'attente et de réorganiser le passage de l'examen. Bernard Cazeneuve avait pris plusieurs mesures en ce sens depuis l'été. Nous créons de nouveaux droits pour les candidats en instituant un service universel du permis : le temps d'attente ne devra pas excéder 45 jours, contre une moyenne actuellement observée de 98 jours. L'autorité administrative pourra recourir à cette fin à des agents publics ou contractuels en tant qu'examinateurs autorisés à faire passer les épreuves de conduite. Les délais d'attente excessifs - 200 jours dans certaines zones ! - empêchent certains jeunes d'accéder à l'emploi, faute de pouvoir se déplacer, et tendent à augmenter le coût du permis, en rendant nécessaires des heures de conduite au-delà du forfait : 1 500 euros en moyenne, c'est bien trop cher pour beaucoup de familles. Nous clarifions également les règles d'inscription à l'examen et assurons un traitement plus équitable des candidats libres et de ceux des auto-écoles.

Afin de faciliter la mobilité entre les territoires, nous avons prévu la constitution par ordonnance d'une société chargée de la réalisation d'une infrastructure ferroviaire entre Paris et l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle (CDG-Express), ainsi que la création d'une société de projet pour la construction du canal Seine-Nord.

Pour libérer l'activité, nous régulerons mieux les situations de monopole ou de quasi-monopole : ce texte clarifie le statut de la grande distribution et accroît les compétences des pouvoirs publics en la matière. Il renforce les pouvoirs du Parlement et instaure une régulation plus complète des sociétés concessionnaires d'autoroutes - c'est le débat que nous venons d'avoir dans l'hémicycle. Il libérera corrélativement des activités de travaux.

Ce projet de loi modernise également les professions du droit, afin que les plus jeunes y aient un accès plus facile et bénéficient de conditions d'installation plus équitables. Ces professionnels sont trop peu nombreux dans certains territoires - je sais votre sensibilité aux équilibres territoriaux ; les déserts notariaux se trouvent moins dans le monde rural que dans les périphéries des zones métropolitaines. Loin de vouloir bouleverser tous les équilibres de ces professions, qui fonctionnent, nous ne revenons sur aucune exclusivité d'actes. Nous assurons une meilleure transparence de leurs tarifs, qui seront revus plus régulièrement, nous instaurons une plus grande liberté d'installation dans les zones où le manque de professionnels le justifie ; nous leur donnons, enfin, la possibilité de mieux s'organiser entre eux, grâce à des éléments d'interprofession.

Ce projet de loi développe le logement intermédiaire, parce que faciliter l'accès au logement, c'est faciliter la mobilité entre les territoires et favoriser l'accès au travail de nos concitoyens. Nous corrigeons plusieurs dispositions issues de la loi Alur, afin d'assurer un juste équilibre entre protection des locataires et incitation à l'investissement dans le logement.

Investir passe par trois objectifs : simplification, meilleure association des salariés, clarification de la stratégie de l'État actionnaire. Ce texte favorisera la réalisation des projets en étendant les expérimentations d'autorisation unique et de certificat de projet en cours, qui réduisent les délais en simplifiant les procédures administratives. Cette extension bénéficiera notamment aux grands projets d'Île-de-France.

L'association des salariés au capital de l'entreprise sera favorisée par l'attribution d'actions aux salariés performants, en restaurant l'attractivité fiscale et sociale de cet instrument. Il avait graduellement perdu sa compétitivité par rapport à nos voisins allemands, alors qu'il constitue un élément fondamental pour l'attractivité de nos PME, de nos start-up et de nos grands groupes. Ceux-ci sont une force pour notre économie : sans le CAC 40, nous aurions la structure capitalistique de l'Espagne - ce n'est pas notre choix collectif. Les grands groupes tirent des filières entières vers l'export ; or plusieurs de leurs comités de direction sont déjà partis à l'étranger, parfois pour des raisons fiscalo-sociales, parfois faute d'affectio societatis avec notre pays. Reconnaissons que nous ne les avons pas toujours mis en situation d'être compétitifs par rapport à des implantations voisines d'Europe continentale. C'est l'objectif de cet instrument. Avec la réforme des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprises, jeunes entreprises et start-up dans les secteurs de l'innovation associeront mieux leurs salariés.

L'épargne salariale est renforcée : nous restaurons son attractivité et l'ouvrons largement aux salariés des PME, dont seul un sur dix en bénéficiait jusqu'ici, contre huit sur dix dans les grands groupes. Cette disposition applique les conclusions du Conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié (Copiesas) tenu ces derniers mois.

Nous y ajoutons des dispositions techniques relatives aux retraites chapeau, afin qu'elles soient davantage liées aux performances et soumises à des règles de moralisation et de transparence.

Le droit applicable à l'État actionnaire est rendu plus conforme aux pratiques contemporaines : il pourra se faire représenter par des administrateurs qui ne soient pas des fonctionnaires et mettre en place des actions de souveraineté.

Nous abaissons les seuils au-delà desquels les projets de privatisation doivent être approuvés par le Parlement. Celle de l'aéroport de Toulouse, par exemple, a été initiée par un simple décret de mon prédécesseur. Si ce projet de loi est voté, un débat parlementaire s'imposera dans tout cas semblable.

Nous proposons de donner aux pouvoirs publics la possibilité de faire entrer la Banque publique d'investissement au capital du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) - et non de l'Établissement français du sang. Nous demandons l'autorisation d'ouvrir le capital de Nexter afin d'opérer un rapprochement entre ce groupe et KMW pour constituer un champion européen dans ce secteur. Nous proposons plusieurs privatisations, en particulier de sociétés de gestion aéroportuaires. Il convient également d'ouvrir plusieurs participations de l'État, afin de nous désendetter, conformément à l'objectif fixé dans la loi de finances pour 2015 à hauteur de 4 milliards d'euros, mais aussi pour investir dans nos priorités : entrer au capital d'Alstom et d'autres sociétés stratégiques, comme nous l'avons fait, dans le passé, pour PSA.

Nous réformons enfin les procédures collectives, afin que de nouveaux investisseurs puissent, en dernier recours, avoir le dessus sur les actionnaires en place et porter le projet d'entreprise au-delà de la préservation des intérêts de ceux-ci.

Le troisième volet de ce texte améliore notre droit du travail. L'ouverture des commerces le dimanche a fait l'objet d'un débat intense à l'Assemblée. Il ne s'agit pas de banaliser le travail dominical, quoiqu'il constitue déjà un phénomène courant - 30 % des Français travaillent le dimanche de manière occasionnelle ou régulière -, mais de remédier, en premier lieu, à la situation profondément insatisfaisante de notre commerce de détail : la multiplication des centres commerciaux autorisés à ouvrir 52 dimanches par an a porté préjudice aux centres des villes, même des plus actives, parce que l'ouverture dominicale y restait limitée à cinq dimanches dans l'année. Certaines villes ont d'ailleurs choisi de se placer entièrement en zone touristique afin de s'affranchir de cette limite. Un dimanche par mois leur semble le compromis le plus adapté. Certains secteurs qui, comme le bricolage, bénéficiaient de l'autorisation d'ouvrir 52 dimanches par an y renoncent désormais.

Les règles de compensation appelaient une clarification : dans les périmètres d'usage de consommation exceptionnel (PUCE), les salariés sont payés double en l'absence d'accord ; il en va de même pour les dimanches du maire ; dans les zones touristiques - 640 en France -, où les commerces peuvent ouvrir 52 dimanches par an, aucune règle de compensation n'est prévue par la loi. Elles sont laissées au choix des acteurs. Si le projet pose en principe la compensation du travail du dimanche, parce qu'il n'est pas un jour comme les autres, il n'en fixe pas le montant : les différents secteurs n'ont pas la même capacité de compensation. Il renvoie cette fixation à des accords d'entreprises, de branches ou de territoires. Faute d'accord, il n'y aura pas d'ouvertures. Saint-Malo y est parvenu, Marseille progresse en ce sens. Le pacte de solidarité et de responsabilité incite les branches à y travailler. Les maires auront non plus cinq, mais douze dimanches par an à leur main. C'était la solution de consensus documentée par le rapport Bailly, remis en décembre 2013.

Ce projet de loi réforme également la justice prud'homale afin de la rendre plus simple, plus rapide, plus prévisible et plus efficace. Ses principales difficultés tiennent à ses délais et à ses incertitudes : 27 mois en moyenne en cas de départage, 6 % seulement des procédures closes par conciliation ; 71 % des jugements frappés d'appel sont infirmés.

Sans mettre en doute la qualité du travail accompli par ces juridictions, le texte rend obligatoire la formation initiale des conseillers des prudhommes et promeut leur formation continue. Il renforce leurs obligations déontologiques, refond la procédure disciplinaire et abrège les délais en simplifiant les procédures. Loin d'aller vers un échevinage, il s'agit d'éviter les manoeuvres dilatoires : en l'absence de l'une des parties, le jugement reste possible. Les dossiers seront mis en état dès l'étape de conciliation, afin d'éviter qu'elle se limite à un simple constat de désaccord. La création d'un référentiel de jurisprudence, disponible dès la phase paritaire, donnera aux parties une meilleure visibilité et les incitera à s'entendre rapidement.

Nous devons également lutter contre la concurrence déloyale et renforcer l'attractivité de nos territoires. Des dispositions de ce texte protègent la vitalité de nos régions et de nos départements en combattant le travail illégal, notamment par une réforme de l'inspection du travail. La lutte contre la prestation de service internationale illégale sera facilitée par le renforcement des sanctions et l'instauration de nouveaux moyens de contrôle.

Le dispositif de sécurisation de l'emploi issu de l'accord national interprofessionnel de janvier 2013 et repris dans la loi du 14 juin 2013 a été corrigé sur certains points qui posaient des difficultés d'interprétation jurisprudentielle. Le ministère du travail s'est concerté pour cela avec l'ensemble des syndicats. Ce texte clarifie notamment les procédures de licenciement. Je me tiens à votre entière disposition pour travailler encore à son amélioration.

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