Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons vise à transposer plusieurs directives européennes dans le domaine de la prévention des risques.
La première de ces directives, dite « directive offshore », concerne la sécurité des opérations pétrolières et gazières en mer. Son adoption date de 2013 et fait suite à l’accident de la plateforme mobile Deepwater Horizon survenu lors du forage du puits de Macondo et à la plus importante marée noire de l’histoire du golfe du Mexique.
Cet événement dramatique a mis en lumière l’insuffisance d’encadrement des conditions de forage et d’extraction, les lacunes du système de contrôles nationaux et de l’industrie pétrolière et gazière dans son ensemble, et l’inadaptation des moyens d’intervention dans ce type de situation accidentelle. La directive tend donc à augmenter la sécurité de ces opérations et à s’assurer que l’exploitant dispose des capacités techniques et financières nécessaires pour faire face aux différents effets et dangers induits par son activité.
Au cours de la période récente, l’activité offshore de la France a été principalement marquée par les explorations menées au large de la Guyane française par les sociétés Tullow, Shell, puis Total. Des permis de recherche sont également en cours de validité dans le canal du Mozambique. Les autorisations délivrées sont déjà très encadrées sur le plan législatif et réglementaire, et nous ne pouvons que saluer la transposition stricte de la directive dans notre droit interne.
Néanmoins, nos interrogations portent sur l’opportunité de poursuivre ces opérations ou, plus exactement, sur la nécessité de les inscrire dans la perspective d’une transition énergétique dont l’un des objectifs essentiels est de tourner la page des énergies carbonées. En effet, cette directive ne remet jamais en cause la pertinence de l’exploration et de l’exploitation offshore d’hydrocarbures.
En outre, son objet spécifique est la prévention, la réaction et la mise en jeu de la responsabilité environnementale dans le cas extraordinaire d’un accident majeur. Ce texte ne vise donc pas directement la prévention de la pollution ordinaire résultant de ces activités en mer ; la logique industrielle reste la même.
De surcroît, un incident environnemental majeur ne tombe dans le champ d’application de la directive qu’à une double condition : premièrement, qu’il cause ou soit susceptible de causer des dommages qui affectent gravement l’environnement et, deuxièmement, qu’il résulte d’un fait générateur causant ou risquant très probablement de causer des décès ou des dommages corporels graves.
On a du mal à comprendre pourquoi un incident affectant gravement l’environnement n’est considéré comme majeur que lorsqu’il cause ou risque très probablement de causer des décès ou des dommages corporels nombreux. Avec un tel critère, des catastrophes environnementales très graves, comme celles qu’ont provoquées le navire Erika au large de la Bretagne en 1999, Le Prestige en 2001 ou, si l’on remonte plus loin dans le temps, l’Amoco Cadiz en 1978 au large de Portsall dans le Finistère – la Bretagne a beaucoup souffert –, n’auraient pas été considérées comme des accidents majeurs.
Enfin, la limitation de la directive à la prévention et à la réaction aux seuls accidents qualifiés de « majeurs » n’est pas sans poser de problème, car il est impossible de savoir a priori si des accidents auront des effets majeurs dans le futur. Il aurait été plus logique d’adopter une directive visant à prévenir tous les accidents survenus lors d’opérations pétrolières et gazières en mer et à en limiter les conséquences.
La transposition de plusieurs autres directives nous est proposée, comme celle qui concerne les produits biocides ; toutefois, je ne m’attarderai que sur les dispositions relatives à l’encadrement de la mise en culture des organismes génétiquement modifiés.
Une première directive à ce sujet a été adoptée au mois de mars 2001, mais elle n’était pas satisfaisante : aucune majorité qualifiée au Conseil de l’Union ne se dégageait lors des processus d’autorisations de mise sur le marché, ce qui revenait donc à donner le dernier mot à la Commission européenne. Les gouvernements ne pouvaient alors déroger à ces autorisations que dans le cadre des mesures d’urgence ou des clauses de sauvegarde prévues par la réglementation. Il ne pouvait en outre s’agir que de mesures temporaires fondées sur la démonstration d’un risque grave mettant en danger de façon manifeste la santé ou l’environnement.
Il convenait par conséquent de donner aux États de nouveaux moyens pour interdire la culture d’OGM dès lors qu’ils en avaient la volonté. Avec la directive qu’il est question de transposer, un État membre peut désormais demander, lors d’une sollicitation de mise sur le marché d’un OGM ou d’un groupe d’OGM, que son territoire national en soit exclu selon des modalités que définit le projet de loi dans ses articles 18 et 19. Il pourra le faire en se fondant sur des critères d’intérêt général, liés notamment à la politique environnementale, à l’aménagement du territoire, à l’affectation des sols, aux incidences socio-économiques, à la volonté d’éviter la présence d’OGM dans d’autres produits, à la politique agricole, ou encore à l’ordre public. Il s’agit là d’une évolution considérable dans la mesure où chaque État membre a ainsi la possibilité de tenir compte du contexte national, dans lequel peuvent exister des raisons légitimes, mais non liées à la santé ou à l’environnement, de restreindre ou d’interdire la culture d’un OGM.
Enfin, dans le cadre de ce nouveau dispositif, les États membres ont désormais l’obligation de lutter contre la dispersion transfrontalière d’OGM.
Incontestablement, il s’agit d’une avancée en matière de respect des souverainetés nationales, et nous ne pouvons que nous en féliciter. Toutefois, cet équilibre pourrait être remis en cause dans le cadre du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, négocié entre l’Union européenne et les États-Unis, à travers, d’une part, le mécanisme de la coopération réglementaire qui vise à harmoniser les procédures en dehors de tout contrôle politique et, d’autre part, le règlement des différends.
La coopération réglementaire permettrait en effet à des administrateurs américains et européens d’avoir un droit de regard sur les normes passées et à venir et de les évaluer au regard de leurs incidences sur le commerce. Rien ne nous garantit que les législations restreignant les cultures d’OGM ne soient pas dénaturées par cette coopération.
Le système d’arbitrage privé, quant à lui, permettra aux multinationales de porter plainte contre les réglementations d’État jugées abusives. Déjà présent dans plusieurs traités bilatéraux ou multilatéraux de libre-échange, ce mécanisme vise à donner aux entreprises le droit d’attaquer un État devant un tribunal arbitral. Ainsi, une multinationale dont l’accès des OGM au territoire national d’un État membre de l’Union européenne serait interdit par une décision souveraine de cet État pourrait demander à celui-ci des compensations susceptibles de s’élever à plusieurs millions de dollars ; ces dernières seraient alors prises dans la poche des contribuables, par l’intermédiaire du Trésor public.
Ainsi, l’encadrement de la mise en culture des OGM et la liberté des États seraient menacés. C’est pourquoi, bien que ce texte aille dans le bon sens, nous devons rester vigilants, et ce pendant encore très longtemps sans doute. §