Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 27 octobre 2015 à 14h45
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires — Rejet d'un projet de loi constitutionnelle

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Frédéric Mistral a sans doute fait « chavirer » – terme provençal – tous les cœurs, en 1904, lorsqu’il a reçu le prix Nobel de littérature pour une œuvre en langue régionale.

Les auteurs sont nombreux à faire vivre les langues régionales. Je pense à Anjela Duval pour la Bretagne – je vais vous faire voyager ! –, à André Weckmann pour l’Alsace, à Jean Aritxelha pour le Pays basque, à Alfred Parépou et Élie Stephenson pour la Guyane, à Monchoachi et Jean Bernabé pour la Martinique, à Hector Poullet et Sylviane Telchid pour la Martinique, à Axel Gauvin et Davy Sicard pour la Réunion, à Nassur Attoumani pour Mayotte, parmi beaucoup d’autres…

Il nous revient donc de nous interroger sur l’inégalité des citoyens face à la langue et face aux langues.

Suffisamment de générations de linguistes se sont succédé pour nous éclairer, et nous savons grâce à eux que ce n’est pas la coexistence entre le français et une langue régionale qui crée des problèmes ; c’est au contraire le rapport de domination, lorsqu’il est instauré par la négation, la récusation et, parfois, la situation de diglossie créée par la persécution d’une langue, qui engendre des perturbations, des difficultés d’expression et d’apprentissage, ce que le grand poète Édouard Glissant appelle le tourment de langage, « l’impossible à exprimer ».

Consentir à l’enrichissement réciproque entre les langues, entre le français et les langues régionales, c’est aussi s’ouvrir à l’altérité. Nous savons à quel point la langue peut contribuer à l’épanouissement, grâce à tout ce qu’elle permet d’exprimer, grâce à l’imaginaire dans lequel il est possible de puiser et qui héberge les histoires, les cultures, les savoirs, les mémoires, les arts, les artisanats, les paysages.

Nous savons que la résidence de la langue, ce n’est pas que le sol ; c’est l’être, et l’être transporte la langue dans ses voyages. C’est cet être qui bouge, qui entre en relation, qui recherche la connaissance mutuelle, le partage, c’est cet être qui, par le dialogue et l’offrande, crée la possibilité d’une vie commune.

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