Intervention de Ronan Dantec

Réunion du 27 octobre 2015 à 14h45
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires — Rejet d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Ronan DantecRonan Dantec :

Memez, ar brezonegh zo eur yezh flour ! Depuis maintenant plusieurs décennies, cette phrase m’accompagne et nourrit mes interrogations sur la marche du monde, sur ses mutations culturelles, sur le droit redoutable que s’arrogent ceux qui portent l’action publique de décider pour autrui ce qui sera bon pour lui.

Memez, ar brezonegh zo eur yezh flour ! : « Quand même, la langue bretonne est une bien belle langue ! » Cette traduction littérale appauvrit un peu le sens du mot flour, plus riche et plus précis que « beau » ou « magnifique ». Dans flour, il y a aussi l’idée de douceur.

Cette phrase m’a un jour été adressée par la maîtresse de maison de la ferme où j’effectuais un stage d’étudiant. Sa force ne réside pas dans l’affirmation que la langue bretonne est belle – tout le monde trouve magnifique sa langue maternelle –, mais dans l’adverbe memez, « quand même ».

Pour la génération de mon interlocutrice, ce « quand même » exprime tout le désarroi, toutes les questions que suscite l’abandon de sa langue natale. Pourquoi avoir abandonné sa langue ? Pour se plier à l’injonction de l’instituteur, prompt à vous mettre autour du cou ce morceau de bois, symbole annonçant la punition, quand il vous surprenait à parler breton ? Ou parce qu’on a cédé à la pression des parents et de l’entourage, qui considéraient que le français était le passage obligé vers l’avenir, dans des sociétés marquées par l’exode rural et l’émigration ? Ou bien encore parce que l’on avait intégré les contraintes des modèles économiques libéraux, exigeant de la main-d’œuvre mobile et parlant une langue commune ? Probablement un peu de tout cela…

Ce « quand même » dit l’incompréhension, la culpabilité aussi, la colère parfois, de celles et ceux qui ont brisé la chaîne de la transmission et n’ont pas appris la langue, leur propre langue, à leurs enfants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, chers collègues, adopter enfin la Charte européenne des langues régionales, ce serait dire enfin que notre pays a tourné la page de ce temps d’avant, celui du déracinement et des émigrations massives de Bretons, d’Auvergnats, d’Antillais vers les centres urbains, celui de la condescendance profonde vis-à-vis d’un monde rural si longtemps dépeint sous les traits de Bécassine, auquel s’opposait le lettré de la grande ville.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion