Intervention de Ronan Dantec

Réunion du 27 octobre 2015 à 14h45
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires — Rejet d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Ronan DantecRonan Dantec :

Je cite Bruno Retailleau, expert en identité locale, ou du moins vendéenne : « La Vendée a développé une identité très puissante à partir d’une tragédie. » Voir disparaître sa langue dans l’indifférence, voire l’hostilité du pouvoir central est aussi une tragédie. Évitons donc de nourrir les colères identitaires !

Dès lors, voter contre la Charte constitue bien une attaque sournoise contre l’unicité de la République, une incitation au repli identitaire, et je vous exhorte, chers collègues, à vous y opposer fermement !

Regardons le monde et sortons de nos archaïsmes : la plupart des États de cette planète n’ont pas la même peur panique de leur propre diversité. Les exemples foisonnent !

Sortant des ténèbres de l’apartheid, l’Afrique du Sud, dans sa Constitution de 1996, a donné un statut officiel à onze langues sur son territoire, le xhosa à égalité avec l’afrikaans, le zoulou à côté de l’anglais, le ndébélé respecté comme le sotho. Beau symbole d’une nation vivante, s’ouvrant à un nouvel avenir !

Pourtant patrie des Lumières, la France frémit encore à l’idée de signer une Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ! C’est dire à quel point nous sommes encore loin d’un statut officiel d’égalité entre les langues, statut qui est pourtant la norme dans la plupart des grands pays de culture ancienne. Le Maroc en reconnaît deux, l’arabe et l’amazighe berbère ; mais c’est également le cas du Canada où nous, Français, veillons à ce que notre langue reste l’égale de l’anglais ; et je ne parle pas de l’Inde, où vingt-deux langues – un cauchemar, sans doute, pour certains d’entre nous ! – sont officiellement reconnues dans la Constitution…

À contre-courant et surtout à contretemps du monde, nous affichons toujours notre logique tatillonne de l’égalité, mais, pour reprendre les mots de l’historienne Mona Ozouf, il s’agit d’une logique égarée, qui confond l’égalité avec la ressemblance, voire la similitude. Or cet égarement nous coûte cher, car il est empreint de beaucoup de mépris envers ceux qui ne sont pas dans la norme et les cadres culturels fixés. Un sénateur n’a-t-il pas déclaré en commission des lois, concernant la ratification de cette charte et la manière dont elle est ressentie, selon lui, « par le plus grand nombre de nos concitoyens » : « Il n’y a pas que des lettrés en France [...] et ce sera une catastrophe. » Que de mépris dans cette phrase ! Ces « ploucs » qui se contentent de baragouiner quelques mots de français vous remercient, monsieur le sénateur !

Chers collègues, si je vous demande de voter cette charte, c’est justement pour en finir avec ce mépris-là, avec cette arrogance des « sachants » et des élites éclairées conduisant le peuple. C’est au nom de tous ceux qui ont vécu la violence de l’abandon de leur langue. C’est pour ceux qui aujourd’hui les parlent toujours, les apprennent même, s’investissent pour sauver une parcelle de la diversité du monde, et qui n’en peuvent plus de cette injustice.

Cette charte est un message fraternel adressé à tous ceux qui, par leur origine ou leurs choix de vie, ne sont pas tout à fait à l’image de « nos ancêtres les Gaulois », ce peuple qui, vous le savez bien, n’a jamais vraiment existé au-delà des images d’Épinal et des cartes Rossignol, mythe facile pour ceux qui refusent la complexité du monde, sa « créolisation », pour reprendre l’expression magnifique d’Édouard Glissant.

Ratifier cette charte, c’est adresser un message de respect autant à mes grands-parents bretonnants disparus qu’aux jeunes élèves des écoles bilingues, c’est construire une société plus solide, car la Nation, c’est bien la volonté de vivre ensemble. Or ce « vivre ensemble » ne peut se construire sur la négation de nos diversités !

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