Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 27 octobre 2015 à 14h45
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires — Rejet d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je me placerai sur un terrain exclusivement juridique, puisqu’il est question d’un projet de loi constitutionnelle, qui a pour but de permettre l’introduction d’un traité dans l’ordre juridique français.

Mon propos s’articulera autour de trois axes : l’origine de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, tout d’abord, la genèse de ce projet de loi constitutionnelle, ensuite, l’état du droit constitutionnel actuel en matière de langues régionales ou minoritaires, enfin.

Premièrement, d’où vient cette charte ? Vous le savez, le Conseil de l’Europe est une machine à fabriquer des traités – c’est sa mission –, qu’il soumet à la ratification aux États membres qui le veulent. Il n’y a aucune obligation. Les pays signent ou non ces traités. Ainsi, la France en a signé quelques-uns, mais n’en a pas signé un grand nombre d’autres.

Cette charte a été élaborée en une dizaine d’années. Sa rédaction a commencé dans les années quatre-vingt, au moment où certains États unitaires d’Europe occidentale commençaient à craquer sous l’effet de poussées régionales, dont la dimension linguistique était évidemment très importante. C’était le cas de l’Espagne, qui, d’État unitaire, venait d’être transformée en État régional. C’était également le cas de la Belgique, qui venait d’engager les premières révisions constitutionnelles la transformant en État fédéral, à partir de 1973. Voilà le point de départ.

L’élaboration définitive de la charte s’achève en 1992, au lendemain de la chute du communisme dans les États d’Europe centrale, d’Europe orientale et des Balkans. Une fois la chape communiste tombée, l’Europe a assisté au retour d’États comprenant, pour un certain nombre d’entre eux, des minorités nationales et linguistiques. D’aucuns ont évoqué la Roumanie, mais il ne faut pas non plus oublier les États des Balkans ou de l’ex-Yougoslavie.

C’est ce contexte-là qui explique la charte, rien d’autre ! Ce texte n’a pas été fait pour des États unitaires, qui, comme la France, se caractérisent par une unité normative à la fois constitutionnelle, législative et même réglementaire, des États dans lesquels il n’y a pas de minorité nationale ou linguistique bénéficiant d’un statut particulier. Voilà ce qu’est exactement cette convention qui a été élaborée en 1992 et soumise à la signature de qui voulait.

Deuxièmement, qu’en est-il de la France ? Dans notre pays, les autorités de l’État ont commencé à s’intéresser à cette charte à la toute fin des années quatre-vingt-dix. Lorsque la question de la constitutionnalité de cette charte a été posée, deux tendances se sont opposées.

D’un côté se trouvaient les plus hautes autorités juridictionnelles du droit public français. Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont ainsi souligné que la charte était contraire non seulement à la Constitution, mais même à ce que mon ami Guy Carcassonne appelait les « principes supraconstitutionnels » qui fondent l’identité constitutionnelle de la France depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il y avait là une incompatibilité radicale.

D’un autre côté se trouvaient ceux qui cherchaient à ménager la chèvre et le chou au sein du Gouvernement. Ils n’étaient pas nombreux : le Premier ministre de l’époque opinait plutôt dans ce sens, tandis que son ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, y était bien entendu hostile. Pour en avoir été témoin, je puis attester que ce dernier avait même refusé de recevoir les plénipotentiaires du Conseil de l’Europe qui étaient venus vanter les beautés de ce document.

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