Intervention de Christian Manable

Réunion du 27 octobre 2015 à 14h45
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires — Rejet d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Christian ManableChristian Manable :

Au XIIIe siècle, à une époque où il existait une « nation picarde », la langue picarde était fréquemment utilisée par les universitaires du Moyen Âge, à la Sorbonne, à deux pas d’ici.

La langue picarde fait partie intégrante de la richesse culturelle de la France. Le picard est reconnu comme une langue par le ministère de la culture : en 1999, quand la France a signé la Charte européenne des langues régionales, le Premier ministre Lionel Jospin a demandé à Bernard Cerquiglini, linguiste, qui avait été délégué général à la langue française, d’établir la liste des langues de France. Or le picard en fait partie. Il est officiellement reconnu comme étant l’une des soixante-quinze langues de France, qui comprennent aussi les langues d’outre-mer.

Cependant, en 2013, dans la perspective de l’éventuelle ratification alors déjà évoquée et de la mise en œuvre des dispositions de la Charte en faveur des langues régionales et minoritaires, Aurélie Filippetti, ministre de la culture avait installé un comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne avec pour mission « d’éclairer le Gouvernement sur les modalités d’application des trente-neuf engagements pris par la France en signant la Charte européenne, et plus généralement de formuler des recommandations visant à favoriser la pluralité linguistique interne à notre pays ».

Le rapport de ce comité consultatif cite le picard tantôt, correctement, comme une langue – appartenant comme le français au groupe des langues d’oïl –, tantôt en laissant entendre qu’il serait une « variété dialectale du français », niant ainsi le fait que, linguistiquement, historiquement et d’un point de vue littéraire, le picard est une langue proche, mais aussi distincte du français que l’occitan peut l’être du catalan ou le néerlandais de l’allemand. Cette ambiguïté a bien évidemment nourri des inquiétudes chez tous les promoteurs du picard, dont je suis.

Nous avions en effet constaté qu’aucun représentant ni spécialiste de la langue picarde ne figurait parmi les membres de ce comité ou parmi les personnes qualifiées et associations auditionnées par celui-ci.

Enfin, les données mentionnées en annexe du rapport nous semblent inexactes. Le nombre de locuteurs avancé nous apparaît fantaisiste et ne s’appuie sur aucune référence sérieuse. De plus, il globalise l’ensemble des langues dites d’oïl sans distinguer les différences très profondes qui existent entre elles.

Or la réalité du picard recouvre cinq départements – l’Oise, l’Aisne, la Somme, le Pas-de-Calais, le Nord – et même une partie de la Belgique jusqu’à Tournai : le picard se parle entre le nord de Paris et le sud de Bruxelles. On considère que deux millions de personnes sont au moins capables de le comprendre et, je le rappelle, il s’écrit depuis le Moyen Âge.

En effet, la plupart des grands textes du Moyen Âge sont écrits en langue picarde et ce que l’on qualifie d’ancien français est objectivement de l’ancien picard. L’existence d’une littérature originale très importante et millénaire en langue picarde est une réalité, tout comme le fait que le picard dispose d’une orthographe communément acceptée et très largement répandue, ainsi que d’une importante présence en milieu scolaire. Plusieurs méthodes d’enseignement du picard ont déjà été publiées, notamment celle qui a été réalisée par l’Agence pour le picard en 2013.

D’ailleurs, sans faire injure à mes collègues du Nord et du Pas-de-Calais, le ch’ti est du picard, mais du picard qui a réussi, grâce au film ! §Il ne s’agit même pas d’une variante, mais d’une appellation. Le ch’ti n’a pas d’autonomie par rapport au picard, il n’existe que depuis la guerre de 1914-1918, car c’est de l’argot des tranchées. Il s’est formé à partir de sonorités que les soldats entendaient dans la bouche de leurs camarades qui parlaient picard. Comme les soldats du Nord étaient nombreux à parler picard, ils ont été désignés comme étant les Ch’timis.

De nos jours, on publie régulièrement en picard, dans tout le domaine linguistique picard. Astérix en picard, c’est quand même plus de 100 000 exemplaires, beaucoup plus que les traductions dans les autres langues régionales de France !

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