Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 27 octobre 2015 à 14h45
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires — Question préalable

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Par ailleurs, dans le cadre d’un travail qui lui a été confié, le délégué interministériel à la promotion des langues a produit un guide, édité dans la collection Dalloz. §Cette publication rassemble tous les textes et références – essentiellement réglementaires, d’ailleurs – concernant les langues régionales.

Il existe également un programme intitulé « Dis-moi dix mots », que vous devez connaître, mesdames, messieurs les sénateurs, puisqu’il se décline sur tout le territoire, dans tous les établissements scolaires.

S’agissant maintenant du droit des personnes, il a été dit à plusieurs reprises que les locuteurs auraient la possibilité d’imposer leur langue régionale dans leurs relations avec les autorités. Cette disposition, déclinée à l’article 10 de la Charte, ne fait pas partie des 39 mesures retenues par la France. L’affirmation peut être répétée à l’envi, il n’empêche qu’une telle possibilité ne figure pas parmi les 39 mesures !

J’ai également été interpellée sur la question de la justice.

Pardonnez-moi de vous rappeler ce que notre code de procédure pénale prévoit déjà : la possibilité pour un magistrat de ne pas avoir recours à un interprète s’il comprend la langue de la personne jugée et, dans le cas contraire, l’obligation d’y avoir recours, au motif que les personnes doivent être jugées dans la langue qu’elles comprennent. C’est une obligation que nous respectons.

Ni dans la charte, ni dans les mesures qui ont été retenues ne figure une obligation de juger dans les langues régionales ! Cela n’est écrit nulle part ! Par conséquent, n’inventons pas ; constatons cependant que notre droit est suffisamment élaboré pour permettre, déjà, le recours à des interprètes.

Mais ce n’est même pas le sujet… Simplement, ne faisons pas comme si nous allions introduire un bouleversement absolument inconcevable !

J’en termine vraiment, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous remerciant de votre attention et de la très grande qualité de ce débat.

Je rappellerai cette très belle phrase d’Édouard Glissant : « J’écris en présence de toutes les langues du monde ».

L’écrivain voulait ainsi témoigner de l’imprégnation qu’il y avait dans l’attention à l’autre, la curiosité vis-à-vis de l’autre, de l’agilité avec laquelle on peut entendre l’autre et, surtout, réagir et se mouvoir soi-même dans des univers très différents, justement parce que l’on a déjà combiné en soi des langues différentes, des cultures différentes, des expressions différentes. Chacune ou chacun d’entre nous peut donc s’exprimer en présence de toutes les langues du monde.

Vous me pardonnerez de conclure avec Aimé Césaire, qui n’a pas écrit en créole, qui a été un poète de l’universel au sens où il a montré à quel point l’enracinement profond peut permettre à l’individu de se stabiliser, de s’équilibrer et, ainsi, de se hisser à la hauteur de l’ensemble du monde, de se porter jusqu’aux cimes que lui offre le monde.

Aimé Césaire écrivait :

Je veux le seul, le pur trésor,

celui qui fait largesse des autres.

Il me semble qu’en revigorant ces langues régionales, en leur permettant d’être à notre portée à tous, nous avons la possibilité de faire « largesse des autres » !

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