La première recommandation que nous formulons est bien évidemment de prendre en compte le retour d'une « menace de la force » en Europe
La Russie a une conception classique des relations internationales, fondée sur l'idée de puissance et de rapports de force. Si elle ne rencontre pas de résistance, elle continuera à pousser ses pions dans un sens conforme à ses objectifs, qui sont de reconquérir son rang et sa puissance.
Ce constat doit d'abord nous inciter à faire preuve de fermeté pour être crédibles. En Ukraine, les sanctions sont le principal instrument dont nous disposons pour créer ce rapport de force car nous devons, raisonnablement, privilégier dans cette crise un règlement diplomatique et politique, qui est engagé.
Le renforcement de nos capacités militaires n'en est pas moins nécessaire. Nous nous y employons notamment avec la loi de programmation militaire et dans le cadre de l'OTAN. Mais au-delà, la stratégie européenne de défense et de sécurité, en cours de révision, doit prendre en compte la question de nos relations avec la Russie.
Notre deuxième recommandation est que la France se dote d'une stratégie globale à l'égard de la Russie, reconnaissant sa place dans l'ordre international, mais dans le respect du droit. Pour cela notre diplomatie doit s'efforcer de tester la bonne volonté russe en acceptant un dialogue approfondi sur les dossiers en cours. Il en est ainsi de la question syrienne, même si le rapide et dangereux passage à l'acte de la Russie, peu de temps après sa proposition de nouvelle coalition, rend cet exercice très difficile. Mais comme l'a rappelé notre président en séance l'autre jour lors du débat sur les BPC, nous ne pouvons laisser les Etats-Unis discuter seuls avec la Russie de l'avenir de la Syrie !
La France a pour cela une carte particulière à jouer en ce moment. D'abord, parce qu'il nous semble qu'elle a retrouvé son crédit aux yeux des Russes. Sa participation certes tardive mais décisive à la gestion de la crise en Ukraine à travers le format de Normandie et les accords de Minsk fait d'elle un interlocuteur reconnu. Ensuite, parce que du fait d'un certain refroidissement des liens entre la Russie et l'Allemagne depuis cette crise, il y a pour elle une responsabilité spécifique à jouer auprès de la Russie, notamment pour faciliter les relations de celle-ci avec l'Union européenne. Nous venons, par ailleurs, de solder l'affaire des BPC qui compliquait depuis un an nos relations bilatérales.
Enfin, outre l'héritage historique de notre relation spéciale, qu'il nous est possible de réactiver, nous pouvons nous fonder sur des points communs et des convergences de vues en matière de politique étrangère.
Cette stratégie trouverait également à s'appliquer à deux niveaux. D'abord, dans la poursuite des efforts que la France mène, au sein du « format Normandie », pour faire appliquer les accords de Minsk et obtenir le règlement de la crise en Ukraine. Ce n'est pas une chose aisée. Certes, depuis septembre dernier, la situation s'est améliorée sur le terrain et le cessez-le-feu est enfin respecté. La révision constitutionnelle ukrainienne est en cours, mais nécessite encore d'être votée en deuxième lecture à la majorité qualifiée. Il nous faut maintenir la pression sur l'application de ce volet institutionnel afin que le cessez-le-feu ne vole pas en éclats. La prolongation de la mise en oeuvre des accords vient d'être actée lors du récent sommet en format de Normandie. Aussi la France devrait-elle faire savoir dès à présent qu'elle souhaite une levée graduelle des sanctions si le cessez-le-feu est respecté et si les élections se déroulent conformément aux engagements.
D'autre part, et ce serait notre deuxième volet, la France doit prendre l'initiative d'un dialogue renouvelé avec la Russie sur les questions de sécurité et de développement économique en Europe. Ce dialogue serait l'occasion d'aborder un certain nombre de préoccupations communes et nous permettrait de renouer avec une approche pan-européenne que nous partageons de longue date avec la Russie. Ce dialogue, qui pourrait prendre la forme d'une conférence internationale sur le modèle de celle qui avait débouché en 1975 sur la signature de l'Acte final d'Helsinki, serait une façon de nous redonner une perspective politique commune, à l'heure où le dialogue Russie-UE est difficile.
Dans ce cadre pourraient être abordés avec la Russie des sujets d'intérêt commun en Europe tels que le désarmement et le rétablissement de mesures de confiance, ainsi que l'opportunité de conférer, notamment à l'Ukraine, un statut de neutralité à l'égard des organisations militaires. Cette conférence pourrait aussi se donner comme objectif d'examiner les modalités d'une réforme de l'OSCE, instance de dialogue paneuropéenne reconnue par la Russie, et qui est revenue récemment au premier plan du fait de son implication dans la gestion du conflit ukrainien.
L'Allemagne et la France auraient bien sûr un rôle moteur dans ce dialogue, mais il importe aussi d'y impliquer autant que possible la Pologne, qui peut avoir un rôle pour désamorcer les tensions entre la Russie et les pays d'Europe orientale. Une détente russo-polonaise a été possible il y a quelques années, nous espérons qu'elle puisse reprendre.
Enfin, nous souhaitons que ce dialogue, qui prendrait, soyons réalistes, plusieurs années, puisse se traduire par un accord semblable à l'Acte final d'Helsinki permettant de sceller nos engagements mutuels et de réaffirmer notre attachement commun à la paix et à un certain nombre de grands principes indispensable à notre sécurité commune.
En résumé, nous proposons - c'est ambitieux - une initiative diplomatique format « Normandie » (et si possible un jour « Weimar ») pour construire avec les Russes un « Helsinki 2 » sur la sécurité en Europe.
Enfin, il nous faut aussi mettre l'accent sur les échanges humains et la coopération scientifique, technique et culturelle.
En conclusion, au terme de nos travaux au cours desquels nous avons pu confronter nos analyses sur la question russe et prendre aussi la mesure des débats auxquels elle donne lieu chez les experts, les dirigeants politiques, les diplomates, nous convergeons pleinement sur la nécessité d'un équilibre entre fermeté et dialogue, pour nous permettre de sortir de l'impasse. La France a tous les atouts pour y parvenir, son histoire, le génie de sa diplomatie, l'indépendance de son analyse.