On ne peut aujourd'hui rien comprendre de la situation dans laquelle on se trouve avec la Russie si l'on ignore ce qui s'est passé dans les années 1990.
C'est un sentiment extrêmement fort que nous avons rencontré chez nos interlocuteurs russes, qui nous a fait comprendre ce que le pays a pu subir à la fois sur le plan économique et sur le plan diplomatique.
Sur le plan économique, cette période a correspondu à un libéralisme échevelé et à un appauvrissement du pays en parallèle.
Sur le plan diplomatique, elle a correspondu à un recul de la situation de la Russie et la perception par les Occidentaux que la dissolution de l'URSS est la conséquence d'une défaite que celle-ci aurait subie, alors que la fin de l'URSS n'est pas vécue comme telle par les Russes.
Dans les deux cas, on peut comprendre la méfiance qui s'exprime aujourd'hui en Russie à l'égard des Occidentaux. Au moment où l'Occident et les Américains ont été influents, cela s'est traduit par un affaiblissement de la position stratégique de la Russie et de sa position économique. Cela explique à mon sens une grande partie des difficultés que l'on rencontre, la Russie et ses dirigeants se plaçant aujourd'hui sur un terrain nécessairement différent de celui qui a prévalu durant cette période.
Que peut-on imaginer ? Cela a été fort bien dit par mes collègues. Nous devons, me semble-t-il, réexaminer cette situation d'un point de vue global, en considérant que la Russie constitue un partenaire incontournable, tant en matière de sécurité sur le continent que pour son développement.
La position qui a été celle de l'Union européenne, qu'on a peut-être laissée un peu trop libre de ses mouvements ces dernières années, n'était pas tenable.
La question de la sécurité du continent est trop sérieuse pour être laissée à l'Union européenne. Il était indispensable que la France et l'Allemagne s'en ressaisissent pour tenter de dégager des solutions, mais si l'on veut que ces solutions puissent prospérer, telles qu'elles ont commencé à être amorcées par les accords de Minsk et mises en oeuvre, il faut évidemment élargir cette préoccupation de dialogue à d'autres sujets.
On ne peut considérer que l'on pourrait séparer les questions, au moins dans leur approche. C'est un point de vue personnel.
La question ukrainienne et la question syrienne sont distinctes, mais la question ukrainienne a montré que la réouverture du dialogue avec la Russie, dans des conditions certes difficiles, permettait de faire avancer les choses. Il faut donc adopter la même attitude s'agissant de la question syrienne, et considérer que nous ne pouvons nous contenter d'opposer une fin de non-recevoir à la position russe. Il ne s'agit pas non plus d'y adhérer, mais la discussion doit s'ouvrir pour tenter de dégager une solution.
Vladimir Poutine nous dit aujourd'hui très clairement qu'il ne laissera pas faire en Syrie ce que nous avons fait en Libye. Il nous passe ce message de manière assez explicite, et il est prêt à jouer la provocation, voire à pratiquer une forme d'escalade. On l'a vu encore récemment avec les incidents de Turquie.
Il faut donc prendre cette situation très au sérieux, car elle peut déboucher sur une situation extrêmement grave. Il nous faut prolonger l'effort que nous avons engagé sur la question ukrainienne, dans la fermeté, à propos de la question syrienne, en essayant de voir quelles sont les options possibles.
J'espère que c'est ce qui se passe. Je veux croire que les déclarations qu'on nous fait en disant qu'il n'est pas question de discuter avec Bachar el-Assad ne servent pas à mettre de côté le dialogue inéluctable qui devrait avoir lieu par ailleurs.
Enfin, il faut indiquer que la France a pour ambition de retrouver un discours fort sur la question européenne avec l'ensemble des partenaires européens. La France devrait pouvoir avancer des propositions dans ce domaine et montrer sa disponibilité. Ce message pourrait être consolidé par des indications sur notre intention de lever les sanctions diplomatiques ou personnelles les plus humiliantes concernant le personnel politique russe dans les prochaines semaines, si la situation en Ukraine devait s'améliorer.
À un moment où les tensions peuvent s'exacerber, nous avons tout intérêt à inverser la stratégie qui a été conduite et à mettre en place les outils permettant de reconstruire le dialogue. Cela ne signifie pas que l'on aboutira à des résultats à court terme, mais c'est ainsi qu'il faut considérer le sujet, me semble-t-il.