Je félicite nos rapporteurs pour ce rapport complet, précis et équilibré, tout le monde en conviendra. Tout le monde est sans doute également d'accord avec le fait qu'il faut parler avec la Russie. De quelle façon ? Cela pose deux questions essentielles. En premier lieu, la Russie est-elle aujourd'hui un partenaire ou un adversaire ? On ne parle en effet pas aux deux de la même façon. En second lieu, faut-il dialoguer à la Russie parce qu'elle est maîtresse du jeu au Moyen-Orient et faire des concessions qui permettraient d'obtenir des avantages ? La première question, je l'ai abordée lors d'une précédente séance de notre commission, lorsque nous avons parlé des Mistral, en expliquant que la Russie n'est pas aujourd'hui un partenaire mais, au mieux, un interlocuteur - Crimée, Ukraine, Géorgie, Abkhazie - je n'y reviens pas.
Depuis quelques jours, la façon dont la Russie entre en action en Syrie éclaircit les choses. Ceux qui plaidaient en faveur d'un grand marchandage consistant à sacrifier la Crimée et à mollir sur l'Ukraine comme prix à payer pour obtenir le soutien de Vladimir Poutine au Moyen-Orient se rendent compte que ce serait un marché de dupes, pour une raison simple : les objectifs de Vladimir Poutine au Moyen-Orient, à quelques exceptions près, ne sont pas les nôtres. Depuis une semaine, cette réalité s'est brutalement transformée en évidence. Nos priorités, ce sont la destruction de Daech, le confortement de nos rapports avec nos alliés majoritairement sunnites, un rapprochement prudent avec l'Iran, et une solution de paix en Ukraine. Les priorités de la Russie sont le maintien de Bachar al-Assad, d'un axe russo-syrano-irano-chiite, pour faire court, et la création de poches sécessionnistes dans les pays de l'ancienne URSS. À l'évidence, nos priorités et celles de Vladimir Poutine sont donc différentes.
La Russie est-elle maîtresse du jeu ? Beaucoup de personnes, si elles ne sont pas paniquées, sont du moins inquiètes et, estimant Daech dangereux, le problème des réfugiés étant insoluble et divisant l'Union européenne, et Vladimir Poutine semblant en bien meilleure position, demandent l'aide de ce dernier. Ce qu'on ne prend pas en compte - et je m'en étonne - c'est la position défavorable de la Russie. Premièrement, si Vladimir Poutine est intervenu en urgence en Syrie, c'est parce que, quelques semaines de plus, et le régime tombait ou risquait de tomber. Il risquait ainsi de perdre son seul allié en Méditerranée, et ses seules bases portuaires. Cette situation était bien plus catastrophique à court terme pour Vladimir Poutine que pour nous.
En second lieu, le rouble a perdu 70 % de sa valeur ; l'économie est en chute libre, et ce n'est pas parce que son appareil de propagande permet à Vladimir Poutine d'avoir 70 % d'opinions favorables dans les sondages - qu'est-ce qu'un sondage en Russie ? - qu'il faut ne pas voir la situation économique catastrophique qui s'aggrave.
Cette catastrophe économique tient plus à la chute du pétrole qu'aux sanctions ou, du moins, autant à l'une qu'à l'autre. Elle va s'aggraver, d'ici six mois à un an, par le retour de l'Iran, après l'accord sur le nucléaire, qui va permettre à ce pays d'abreuver le monde de millions de barils et de concurrencer encore plus le pétrole et le gaz russes.
Enfin, la guerre en Ukraine revient à des millions de roubles par jour, et des soldats meurent.
Dernier point : le rapprochement avec la Chine, que certains présentent comme la preuve de l'habileté diplomatique de Vladimir Poutine, est un échec retentissant, dont bénéficient uniquement les Chinois ! Je ne comprends pas qu'on ne le voie pas.
Les échanges entre la Russie et la Chine ont baissé de 30 % depuis cet accord, signé il y a un peu plus d'un an. Aucun des grands projets prévus n'a vu le jour ; ils sont au point mort et ne se réaliseront jamais. Les seuls à en tirer profit sont les Chinois, qui bénéficient de livraisons de pétrole et de gaz à prix bradé, Vladimir Poutine n'ayant d'autre solution, comme l'a dit Josette Durrieu, que de trouver en urgence des débouchés pour son pétrole.
Ma conclusion est qu'il faut parler avec Vladimir Poutine non comme avec un partenaire maître du jeu, mais comme avec un adversaire potentiel, qui est loin d'être dans une situation favorable.
Parler avec la Russie, oui, mais pas au point de renoncer d'une part à nos intérêts stratégiques, d'autre part à la solidarité avec nos alliés.
La conclusion du rapport - « fermeté et dialogue » - me convient donc tout à fait.