Intervention de Gilbert Roger

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 octobre 2015 à 9h38
Ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Gilbert RogerGilbert Roger, rapporteur :

Le protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac a été adopté en novembre 2012 à Séoul. Il s'inscrit dans le prolongement de l'article 15 de la convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), qui énonçait les principales mesures à mettre en oeuvre pour lutter efficacement contre le commerce illicite des produits du tabac.

La France fait partie des premiers pays ayant signé ce protocole. Il n'entrera en vigueur qu'après le dépôt du quarantième instrument de ratification. Au 4 septembre, seuls neuf États l'avaient ratifié.

Quel est l'intérêt de ce protocole ?

L'Organisation mondiale des douanes estime qu'une cigarette sur dix fumée dans le monde pourrait être issue du commerce illicite. Dans notre pays, alors que 200 tonnes étaient saisies par la direction générale des douanes et des droits indirects en 2005, 500 tonnes l'ont été au cours du seul premier semestre 2015 ! Les trafics peuvent certes concerner des produits du tabac authentiques, fabriqués dans les usines des cigarettiers, mais détournés, ou des contrefaçons de marques légales. Mais, comme nous l'ont indiqué les représentants des douanes lors d'une audition que j'ai menée, il s'agit de plus en plus souvent de ce que l'on appelle des « illicit whites », c'est-à-dire soit des cigarettes produites par des fabricants moins connus que les majors et non autorisées en France (par exemple la marque American Legend produite par Karelia au sein de l'UE), soit des cigarettes sans aucune existence légale dont les fabricants sont inconnus. La contrebande des produits authentiques des grandes marques, qui étaient très importante au début des années 2000, à tel point qu'on a des raisons de penser qu'elle était soutenue par les industriels eux-mêmes, reste significative mais a fortement diminué depuis les accords signés par l'Union européenne avec ces grandes marques entre 2004 et 2010.

Plusieurs raisons plaident pour une intensification de la lutte contre ce phénomène.

Le commerce illicite des produits du tabac est en grande partie sous la coupe d'organisations criminelles agissant dans le monde entier et éventuellement actives dans les trafics de drogue, la traite des êtres humains ou encore le terrorisme.

En outre, au plan international, l'étude d'impact jointe au projet de loi fait état d'une estimation de 40 milliards de dollars de pertes totales de revenus fiscaux en raison du commerce illicite des produits du tabac en 2010. Dans une communication au Conseil et au Parlement européen, la Commission européenne estimait en juin 2013 que le commerce illicite de cigarettes entraîne des pertes annuelles de plus de 10 milliards d'euros au sein de l'Union européenne, résultant du non-paiement des droits de douane et des taxes.

Enfin, est-il besoin de rappeler que selon l'OMS, Le tabac tue près de 6 millions de personnes chaque année dans le monde, parmi lesquelles plus de 5 millions sont des fumeurs et plus de 600 000 des non-fumeurs exposés au tabagisme passif ?

La ratification de ce protocole serait ainsi avant tout de notre part un geste bénéfique pour l'ensemble des pays signataires en créant un effet d'entraînement afin de se rapprocher des 40 ratifications nécessaires à l'entrée en vigueur du texte au plan international.

Mais c'est aussi la situation singulière de notre pays qui doit nous inciter à ne pas relâcher nos efforts et à faire feu de tout bois pour lutter contre le tabagisme.

En effet, d'après l'eurobaromètre publié par la commission européenne en mai dernier, la France se place au quatrième rang au sein de pays de l'Union pour la prévalence de la consommation de tabac avec 32 % de fumeurs réguliers derrière la Grèce, la Bulgarie et la Croatie. Selon le même baromètre, notre pays est l'un des cinq seuls qui ait vu cette prévalence augmenter depuis 2012, et c'est celui qui a connu l'augmentation la plus forte : + 4%.

Je pense qu'il n'est pas nécessaire de rappeler en détail à quel point le tabac est un fléau de santé publique dans notre pays où 73 000 personnes meurent chaque année prématurément du fait de sa consommation selon l'INPES (institut national de prévention et d'éducation pour la santé). Il est probable qu'aux risques sanitaires bien connus du tabac légal s'ajoutent, dans le cas des contrefaçons et des cigarettes non autorisées en France, des risques supplémentaires.

En outre, la contrebande de tabac va bien entendu directement à l'encontre de la politique fiscale du tabac qui constitue un des principaux leviers de la politique de santé publique en la matière. Le renforcement de la lutte contre le commerce illicite est ainsi nécessaire pour protéger les prix pratiqués au sein du réseau des buralistes.

Pour l'ensemble de ces raisons, le Programme national de réduction du tabagisme, adopté en conseil des ministres en septembre 2014, prévoyait la ratification de ce protocole.

Quels sont les principaux axes de ce texte ?

Le premier de ces axes comporte un ensemble de mesures destinées à améliorer le contrôle de la chaîne logistique de commercialisation du tabac. Il s'agit ainsi de soumettre à une licence la fabrication des produits du tabac et de matériel de fabrication, ainsi que leur importation et exportation.

Les acteurs de la chaîne logistique auront par ailleurs une obligation de vigilance. Ils devront en particulier contrôler les ventes pour vérifier que les quantités sont proportionnées à la demande sur le marché de destination et ne servent pas en réalité à alimenter en contrebande d'autres marchés, ce qui est une pratique répandue.

Enfin, le protocole prévoit la mise en place de systèmes de suivi et de traçabilité interopérables permettant de retracer les mouvements des produits du tabac au plan international. Bien entendu, il s'agit d'une arme essentielle pour lutter contre la contrebande des cigarettes produites par les marques déposées mais pas par les marques non déclarées. Concernant cette traçabilité, certaines interrogations ont pu se faire jour sur la compatibilité entre les dispositions de l'article 8 du protocole, celles de la directive européenne du 3 avril 2014, qui comporte notamment des mesures relatives à la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac, ses articles 15 et 16 établissant un dispositif de traçabilité et de sécurité, enfin celles de l'article 569 du code général des impôts, précédemment modifié par l'article 4 de la loi du 8 août 2014 afin d'assurer la transposition des articles susmentionnés de la directive européenne. En effet, le protocole stipule que chaque partie « instaure (...) un système de suivi et de traçabilité contrôlé par elle » et que « les obligations auxquelles une Partie est tenue ne sont pas remplies par l'industrie du tabac et ne lui sont pas déléguées » tandis que la directive impose seulement que les fabricants et importateurs « concluent un contrat de stockage de données avec un tiers indépendant », solution reprise par l'article 569 du code général des impôts. Ainsi, ce protocole de l'OMS, la directive tabac et l'article 569 du code général des impôts évoquent tous les trois la traçabilité du tabac. Pourtant, ces textes comportent une différence fondamentale et nous devons rester vigilants pour ne pas permettre au final que le contrôle de la traçabilité de la production de cigarettes soit confié aux fabricants de tabac eux-mêmes. Il est donc nécessaire d'avoir des instances et une traçabilité totalement indépendantes. Dès la ratification du protocole, le lancement d'un appel d'offres, au moins pour notre pays, devrait nous rassurer sur cette question.

Il apparaît donc que la ratification du Protocole par la France et par l'Union devra entraîner une obligation de mettre un terme à ce conflit de normes par la modification de l'article 15 de la directive et de l'article 569 du CGI, lesquels devront s'aligner sur le Protocole en vertu des règles du droit international.

Le second axe du protocole consiste en l'amélioration de la répression pénale des trafics illicites de tabac. Le protocole comporte ainsi une liste d'actes illicites liés au trafic des produits du tabac et demande à chaque Partie de prévoir les mesures nécessaires pour que ces actes soient effectivement considérés comme illicites dans leur législation et pour qu'ils fassent l'objet de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives. Le protocole met également l'accent sur l'utilisation plus fréquente de techniques spéciales d'enquête telles que les livraisons surveillées. Sur cette question de la répression, il convient de noter que notre pays dispose déjà, notamment au sein du code pénal, du code des douanes et du code général des impôts, d'une palette d'incriminations complète, avec des peines allant de un à dix ans d'emprisonnement et jusqu'à 500 000 euros d'amende ou cinq fois la valeur de l'objet de la fraude, ce qui permet la mise en oeuvre de sanctions effectives sans qu'il soit nécessaire d'envisager de nouvelles modifications législatives. En revanche, les instruments de répression sont beaucoup moins performants dans d'autres pays pour lesquels l'application du protocole impliquera une mise à niveau importante qui bénéficiera ensuite à tous.

Troisièmement, le protocole prévoit l'amélioration de la coopération internationale en matière de lutte contre le trafic illicite de tabac. Dans notre pays, la douane est déjà engagée dans de multiples actions de coopération aux niveaux européen et international. Le protocole demande à l'ensemble des Parties d'intensifier la coopération en améliorant les échanges d'information, en augmentant les capacités répressives, en collaborant au niveau administratif et judiciaire.

Clef de cette amélioration de la coopération internationale, le protocole prévoit l'instauration d'un « point focal mondial » pour l'échange d'informations dans les cinq ans suivant l'entrée en vigueur du protocole. Ce point focal mondial sera probablement situé au Secrétariat de la convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac. Il comportera des bases de données comportant les informations de traçabilité et de sécurité nécessaire au suivi du commerce du tabac.

Je voudrais enfin évoquer le problème des écarts de taxation des produits du tabac entre les différents pays de l'Union européenne, qui alimente notamment le trafic transfrontalier. Dans sa communication du 6 juin 2013 relative à une stratégie globale de l'Union européenne contre le commerce illicite des produits du tabac, la Commission européenne a ainsi vivement plaidé pour une harmonisation au plan européen afin de lutter contre la contrebande qui profite de ce différentiel de prix entre les pays. Le Gouvernement plaide aussi régulièrement pour une telle harmonisation. Je pense qu'il s'agit là d'un axe de travail important pour les prochaines années.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le rapport ainsi que le projet de loi précité.

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