Intervention de Michel Delebarre

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 28 octobre 2015 à 9h05
Pénaliser l'acceptation par un parti politique d'un financement par une personne morale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Michel DelebarreMichel Delebarre :

« Le Parlement est appelé à délibérer d'un ensemble de dispositions qui, à un titre ou à un autre, se présentent comme relatives aux rapports entre l'argent et la politique. [...] Or, à chaque fois, en 1988 comme en 1990 ou en 1992 - et aujourd'hui encore - le Parlement se voit contraint de légiférer en fin de session, à chaud et sous la pression des médias. »

Ces mots de notre ancien collègue Christian Bonnet, lorsqu'il rapportait la loi du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique, décrivent parfaitement la situation du Parlement lors de l'examen de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, dont le projet a été transmis fin juin 2013 au Sénat en première lecture et adopté moins d'un mois après. Les députés avaient introduit des dispositions relatives au financement de la vie politique dans ce texte qui en était dépourvu. Le Sénat s'en saisit pour les améliorer. En séance publique, à la faveur d'un amendement, notre collègue Jean-Yves Leconte a soulevé une difficulté d'ordre constitutionnel : l'Assemblée nationale avait modifié les règles de plafonnement des dons des personnes physiques aux partis politiques. Ce plafond annuel de 7 500 euros était apprécié auparavant par parti politique, ce qui permettait à une même personne de donner cette somme la même année à plusieurs partis, y compris à des « micro-partis » qui collectaient au profit d'un seul parti. L'Assemblée nationale proposait d'apprécier dorénavant ce plafond par donateur et non par parti bénéficiaire, ce qu'approuva le Sénat. Cependant, les sanctions pénales prévues par la loi du 11 mars 1988 n'étaient plus adaptées car, lorsque ce don excédait ce plafond, était puni de 3 750 euros d'amende et d'un an d'emprisonnement autant la personne donatrice que le parti bénéficiaire. Or, le parti politique pouvait ignorer que le donateur avait effectué d'autres dons et qu'il acceptait un don au-delà du plafond légal. Cet amendement, repris en séance publique par le président Jean-Pierre Sueur, rapporteur du texte au nom de la commission des lois, reçut l'avis favorable du Gouvernement puis fut approuvé par l'Assemblée nationale.

Par ce biais, une malfaçon législative s'était insérée au sein de l'article 11-5 de la loi du 11 mars 1988. Elle se révéla quand des juges d'instruction voulurent au printemps 2015 poursuivre un parti politique pour financement par une personne morale : le périmètre de l'infraction ne le permettait plus. La presse s'en fit l'écho. La loi pénale est d'interprétation stricte et par un raisonnement a contrario, seul le financement d'un parti politique par une personne physique au-delà du plafond légal est, en l'état nouveau du droit, sanctionné pénalement mais plus le don d'une personne morale.

Le financement d'un parti politique par une personne morale, à l'exception d'un autre parti politique, reste illicite mais ne peut plus être sanctionné pénalement pour les faits commis depuis le 13 octobre 2013. La proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur répare cette lacune pour l'avenir - selon le principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Je vous demanderai donc d'approuver ce texte, après vous avoir soumis un amendement rédactionnel et un autre pour en assurer l'application outre-mer.

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