Notre commission est concomitamment saisie du projet de loi organique relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats et à l'ouverture de la magistrature sur la société, soumis en procédure accélérée, et du projet de loi ordinaire portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle. Avec Yves Détraigne, nous avons conjointement procédé à une quarantaine d'heures d'audition, et nous avions ouvert un espace de discussion sur Internet pour permettre à chacun - et notamment aux magistrats - de participer au débat. Cet espace a reçu de nombreuses contributions intéressantes.
Je suis assez favorable à ce projet de loi organique : un accord est prévisible sur les points les plus attendus. D'autres sujets, plus discutés, inutiles ou inadéquats par rapport à l'objectif recherché, seront débattus - qui reflètent la finalité très gestionnaire du texte. Les magistrats, composés d'hommes et de femmes de très grande qualité, font honneur à leur mission, à laquelle l'indépendance et l'impartialité sont essentielles. Je considère que celle-là est indispensable à celle-ci.
Trois contraintes déterminent ce projet de loi organique : les personnes entendues ont toutes fait part d'une contrainte budgétaire et de gestion. Notre pays compte 8 300 magistrats. En dépit d'un recrutement accéléré et d'efforts de productivité, 402 postes - soit 5 % du corps - étaient toujours vacants en 2014. Les efforts pour réduire les délais de traitement des affaires - de plus en plus complexes, avec des enjeux économiques souvent importants - ne suffisent pas : le délai moyen de traitement devant un tribunal de grande instance (TGI) est passé de 9 mois en 2008 à 10,7 mois en 2014, et 30% des TGI dépassent ce délai. En raison du contexte budgétaire, il n'y a pas eu de recrutement massif ; le ministère envisage dans ce texte le recrutement des magistrats non professionnels rémunérés à la vacation.
L'exigence de transparence et de déontologie rend perplexe la plupart des magistrats, soumis à des obligations et des contrôles plus stricts que d'autres administrations ou institutions. Loin d'être une marque de défiance envers les magistrats, le nouveau dispositif s'inscrit dans le mouvement général de renforcement des exigences déontologiques. Des textes sur le même thème ont été présentés en 2011 et en 2013.
La question de l'indépendance du parquet relève d'un projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Le Sénat avait voté un amendement de Michel Mercier proposant de régler définitivement la question. L'on peut s'étonner que le Gouvernement n'ait pas encore inscrit ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et qu'il propose à présent un texte plus symbolique qu'efficace en la matière.
La loi ouvre le recrutement des magistrats pour tenter de répondre aux besoins. Les premiers articles assouplissent les conditions de diplôme, de capacité physique ou d'expérience professionnelle. Veillons toutefois à ne pas trop dévaloriser l'accès à l'école nationale de la magistrature (ENM). Le texte présenté par le Gouvernement ouvre le détachement judiciaire aux militaires, autorise de droit le renouvellement dans leurs fonctions de différents magistrats et permet aux magistrats honoraires d'exercer de nouvelles activités juridictionnelles.
Ce projet de loi ouvre les carrières, pour pallier une pyramide des âges défavorable. La chancellerie a souhaité ouvrir des perspectives de carrière aux magistrats du premier grade - soit les deux tiers du corps judiciaire - en ajoutant de nouvelles fonctions à la liste de celles correspondant au dernier grade « hors hiérarchie » ; elle prône la culture de l'évaluation, précise les conditions de son déroulement, et établit un embryon d'évaluation des chefs de cour ; elle facilite la gestion de carrière des magistrats. Ces sujets ne posent pas de difficulté particulière.
L'article 21 adapte à la magistrature les règles de transparence et de prévention des conflits d'intérêts et soumet certains magistrats à une obligation de déclaration de patrimoine. La procédure disciplinaire est précisée, avec le droit de retrait du dossier personnel d'un magistrat poursuivi des pièces relatives à un non-lieu à sanction, des garanties à la procédure d'avertissement, l'instauration d'un délai de prescription des actions disciplinaires et l'imposition aux autorités disciplinaires d'un délai de décision.
Le juge des libertés et de la détention (JLD) est institué comme une fonction spécialisée et l'appartenance au corps judiciaire des membres de l'inspection générale des services judiciaires pourra être reconnue. L'article 7 remplace la nomination des procureurs généraux près les cours d'appel par décret en Conseil des ministres par un décret simple du président de la République, sans remettre en cause l'avis simple du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui relève de la Constitution. L'exposé des motifs le justifie par la volonté de renforcer l'indépendance des magistrats du parquet, sous la pression des exigences liées à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
Je vous propose plusieurs avancées : le cadre déontologique avec les déclarations de patrimoine est pertinent, il faut le conforter. Le projet de réforme du statut du JLD me semble difficilement applicable. J'en ai discuté avec la chancellerie : autant nous pourrons parvenir assez facilement à un accord sur les questions de déontologie, autant le débat achoppera pour le JLD. Je serai particulièrement attentif à préserver la qualité du corps judiciaire, exigence qui suppose le maintien de la qualité de recrutement et de formation des magistrats et une évaluation confortée. Je propose d'inviter le Conseil d'État, contrairement à l'un de ses récents arrêts, à ne plus contrôler les appréciations portées par le CSM sur ses projets ou avis de nomination.