Je souhaite tout d'abord saluer le travail effectué par nos collègues sénateurs, qui ont transformé un texte dogmatique en un texte pragmatique. Notre système de santé a certes besoin d'une réforme, mais celle qui nous est proposée par la ministre ne correspond ni aux attentes des professionnels de santé, ni à celles des patients.
Ce projet de loi, qui comportait initialement 56 articles, contre 210 articles à l'issue de la discussion à l'Assemblée nationale, présentait un degré d'impréparation important. Ses dispositions s'apparentent aux projets de loi portant diverses dispositions d'ordre social (DDOS), qui permettaient auparavant de toiletter le code de la santé publique et le code de la sécurité sociale, sans présenter de véritable stratégie pour notre système de santé.
Je souhaite insister sur trois points.
Tout d'abord, le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale instaure une véritable étatisation de notre système de santé. Celui-ci repose aujourd'hui sur deux piliers : le service public et le système libéral. Le texte de l'Assemblée nationale renforce « l'hospitalo-centrisme », alors qu'il conviendrait de « déshospitaliser » la France, c'est-à-dire de redonner aux hôpitaux, en particulier aux centres hospitaliers universitaires (CHU), leurs véritables missions, notamment au moment où il leur est demandé de renforcer la partie ambulatoire - je pense en particulier au CHU de Reims, où l'objectif est de 50 %. Il faut donc réformer la médecine de ville afin qu'elle puisse accueillir les patients qui sortiront plus tôt du système hospitalier.
Concernant ensuite la généralisation du tiers-payant, l'argument selon lequel il permettrait de favoriser l'accès aux soins de nos concitoyens les plus fragiles ne tient pas : ces derniers ont déjà accès au tiers payant. Surtout, le tiers payant généralisé met la médecine de ville sous la mainmise de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts). Il exigera un travail administratif beaucoup plus important de la part des professionnels de santé, alors que ces derniers demandent à bénéficier de davantage de temps pour se consacrer aux soins. Par ailleurs, cette réforme déresponsabilisera un grand nombre de nos concitoyens et renforcera la mainmise des mutuelles et des organismes d'assurance maladie complémentaire sur le financement de notre système de santé. La Cnamts se désengagera de plus en plus de certains remboursements. Ceci dit, il s'agit de la suite logique de la loi relative aux modalités de mise en oeuvre des conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie complémentaire et les professionnels, établissements et services de santé. Le Gouvernement doit assumer sa volonté de développer les réseaux de soins, en donnant davantage de poids aux mutuelles et aux organismes d'assurance maladie complémentaire. Le contrat qui existe entre le médecin de ville et son patient, selon lequel ce dernier rémunère l'acte médical, va disparaître.
Concernant enfin le service public hospitalier, nous n'avons plus les moyens d'opposer le service public et le système privé. Nous devons trouver des complémentarités. Or, l'objectif de convergence tarifaire, instauré dans un souci de bonne gestion des deniers publics, a été abandonné. La ministre a stigmatisé les cliniques privées en les excluant du service public hospitalier dès lors qu'un praticien pratiquait des dépassements d'honoraires. C'est toute une profession qui a été stigmatisée, alors que les dépassements d'honoraires ne représentent qu'environ 5 à 8 % des honoraires et qu'ils sont concentrés dans deux régions, l'Ile-de-France et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca). Les plus grands dépassements d'honoraires s'observent ainsi dans les centres hospitaliers universitaires, c'est-à-dire dans le secteur public. Je le dis d'autant plus librement que je suis moi-même hospitalo-universitaire.
Ce projet ne répond donc pas aux attentes des patients, puisqu'il place ces derniers sous la mainmise des mutuelles et des complémentaires. Il ne répond pas non plus aux attentes des professionnels de santé qui demandent aujourd'hui une réforme d'ensemble du système de santé, touchant aussi bien le système public que le système libéral.
Ce projet de loi se caractérise par son impréparation. L'impréparation du travail parlementaire, tout d'abord, avec, lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, le dépôt d'amendements du Gouvernement quelques minutes avant la clôture du délai de dépôt, comme par exemple un amendement de six pages sur l'organisation de la santé mentale en France, qui n'avait pourtant pas sa place dans le texte. L'impréparation s'illustre également dans le manque de concertation avec les professionnels de santé, dont témoigne la très forte mobilisation - aussi bien publique que privée - dans quelques jours. Les internes se posent également de nombreuses questions, ayant de moins en moins envie de s'engager dans la médecine de ville ou libérale. Notre système de soins a pourtant besoin, afin de bien fonctionner, de pouvoir reposer sur ses deux piliers que sont la médecine de ville et la médecine hospitalière.