Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 29 octobre 2015 à 15h00
Droits des malades et des personnes en fin de vie — Article 2

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux être très claire sur le sens de cet amendement : il ne s’agit pas de rechercher un nouvel équilibre ou un nouveau compromis. Cet amendement vise à revenir sur certaines des modifications issues des débats de votre commission, et à rétablir le texte dans la rédaction exacte adoptée par l’Assemblée nationale, sans modifier la conception, la définition de l’arrêt des traitements.

J’ai évoqué ce matin, à l’occasion de la discussion générale, le désaccord du Gouvernement sur deux des modifications adoptées par votre commission.

Le premier point de divergence est probablement le plus technique, et celui qui pose le moins de difficultés : il porte sur les critères de définition de l’« obstination déraisonnable ».

La rédaction de l’article 2, telle qu’elle résulte des travaux de votre commission, supprime l’un de ces critères – ils étaient initialement au nombre de trois - celui de l’inutilité du traitement. Un consensus juridique avait pourtant fini par se dégager, à l’issue des diverses procédures judiciaires engagées, pour définir l’obstination déraisonnable à partir de ces trois critères.

J’entends bien le sens de votre démarche : elle visait sans doute à homogénéiser le texte, en harmonisant les rédactions respectives de l’article 2 et de l’article 3. Mais, si le Gouvernement, en accord avec les rapporteurs de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, a bien reconnu les difficultés d’interprétation qu’engendrerait l’introduction de la notion d’inutilité à l’article 3, en revanche, avec l’article 2, la démarche est tout autre.

En l’occurrence, l’inutilité constitue l’un des critères légitimes – aux côtés des deux autres qui figurent dans le texte – sur lesquelles les médecins eux-mêmes doivent pouvoir s’appuyer pour qualifier une obstination de « déraisonnable ». La suppression de la référence à l’inutilité aurait pour conséquence d’obliger à maintenir un patient sous traitements, empêchant notamment de lui proposer la sédation, alors même que le médecin considérerait que le traitement est inutile.

Cette nouvelle rédaction constitue un retour à un état du droit antérieur à celui de la loi Leonetti de 2005, et donc une régression pour les droits des patients. Le statu quo serait plus favorable aux patients, mesdames, messieurs les sénateurs : autant ne pas légiférer !

Je précise que les spécialistes des soins palliatifs nous ont eux-mêmes indiqué que, dans leur pratique, ils examinaient successivement les trois critères : l’inutilité des traitements, d’abord, leur disproportion, ensuite, leur finalité – le maintien artificiel de la vie –, enfin. Si l’un de ces trois critères est satisfait, ces spécialistes considèrent que l’obstination déraisonnable est caractérisée.

Votre commission a par ailleurs fait le choix, contraire à ce qu’elle avait décidé en première lecture, de définir l’hydratation artificielle comme « un soin qui peut être maintenu jusqu’au décès. ». Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entends parfaitement les doutes qui peuvent légitimement s’élever sur ce sujet – ils ont d’ailleurs pu s’exprimer également à l’Assemblée nationale.

Il est naturel de croire que l’arrêt de l’hydratation reviendrait à soumettre le patient, qui est déjà en proie aux difficultés inhérentes à la fin de vie, à une souffrance de l’ordre de l’insupportable. Ce n’est pourtant pas ce que disent les médecins palliativistes : ils considèrent, dans leur écrasante majorité – d’un point de vue médical, car il ne s’agit pas ici de procédure juridique – que l’alimentation et l’hydratation doivent être appréhendées ensemble.

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