On a peu ou prou demandé aux sondés : souhaitez-vous achever votre vie dans des douleurs abominables, ou bien préférez-vous mourir sans douleur ? Il est évident que les personnes interrogées répondent préférer la première solution !
Pardonnez-moi d’évoquer mon cas personnel, mais, en trente-cinq ans d’exercice de la médecine, alors que j’ai accompagné des dizaines de patients jusqu’au bout, on ne m’a adressé que trois vraies demandes d’euthanasie active. Pourquoi aussi peu ? Parce que la psychologie change complètement en fin de vie. Quand on est bien portant, on souhaite a priori éviter à tout prix la souffrance en fin de vie, mais je puis vous assurer que, au seuil de la mort, les demandes ne sont plus les mêmes. Je peux le dire d’expérience, ainsi que bon nombre de mes confrères.
En fait, ce que les gens craignent, c’est l’agonie. L’euthanasie est une solution que je qualifierai d’« expéditive ». Les travaux de Philippe Ariès sur l’évolution des mentalités à l’égard de la mort depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours montrent bien que la mort est aujourd’hui complètement rejetée, que l’on cherche à la reléguer, à la masquer. D’ailleurs, on ne meurt plus chez soi que dans 25 % des cas ; on meurt le plus souvent à l’hôpital, parfois en service de réanimation, totalement coupé de l’affection des siens. Ce n’est pas que la réanimation permettrait de soulager une quelconque souffrance : tout simplement, bon nombre de professionnels de santé ne sont pas prêts à accompagner les patients jusqu’au bout.
C’est donc non pas la mort qui fait peur, mais l’agonie. Un sociologue anglo-saxon parle de pornographic death, considérant que la mort a pris une dimension pornographique. On préfère en effet aller mourir en des lieux où « les choses se passent bien ». Les familles elles-mêmes le demandent : « docteur, qu’il ne souffre pas », et surtout : « épargnez-moi la souffrance de l’agonie ».
Mon opposition à la solution expéditive que constitue l’euthanasie relève non pas de convictions philosophiques ou religieuses, mais de la pratique, de l’humanité et aussi, j’ose le dire, de la fraternité.
Vous l’avez rappelé, madame la ministre, on meurt mal en France. Si la qualité des soins palliatifs était du niveau que l’on peut attendre dans un pays comme le nôtre, je suis persuadé que le problème de l’euthanasie ne se poserait plus du tout de la même manière.
Enfin, j’ai entendu évoquer des « maladies incurables ». Je ne sais pas ce que recouvre cette notion. Il y a un siècle, le diagnostic de tuberculose équivalait à une condamnation à mort, comme en témoigne l’œuvre de Thomas Mann ; ce n’est plus vrai aujourd’hui.
Bien évidemment, je respecte tout à fait la position des auteurs de ces amendements, mais j’émets un avis défavorable.