Trois contraintes donc, déclinées dans des articles traitant de l’ouverture du recrutement pour faire face aux besoins de magistrats, améliorant la gestion des carrières, confortant des obligations déontologiques, renforçant des garanties statutaires et affectant des dispositions propres à certaines catégories de magistrats.
La commission des lois a estimé que nombre des dispositions du projet de loi organique, destinées à améliorer la gestion du corps judiciaire ou à ouvrir aux magistrats de nouvelles perspectives de carrière, étaient utiles et méritaient d’être approuvées. Elle a par conséquent souhaité conforter les avancées contenues dans le texte. En revanche, il a été jugé nécessaire de supprimer ou d’amender fortement certaines dispositions qui ne lui sont pas apparues susceptibles d’atteindre dans les faits le but qui leur était assigné.
Prenons deux exemples, qui animeront l’essentiel du débat dans cet hémicycle.
La commission des lois a supprimé l’instauration du juge des libertés et de la détention en une fonction spécialisée au regard de ses conséquences prévisibles en matière de gestion pour les petites juridictions, qui auront des difficultés à recruter des magistrats acceptant cette fonction peu prisée. Au surplus, cette réforme risquerait de les affaiblir, puisqu’elle prévoit d’attribuer, si nécessaire, ces postes à des magistrats du second grade ou à des magistrats sortant de l’École nationale de la magistrature, ce à quoi je peux affirmer qu’une très large majorité est résolument hostile.
La commission des lois propose une réforme alternative de ces fonctions, d’ailleurs envisagée mais non retenue dans l’étude d’impact, en prévoyant d’ériger au niveau organique les dispositions statutaires relatives au juge des libertés et de la détention. Ainsi, comme actuellement, ce dernier serait un magistrat du premier grade, exerçant les fonctions de président, de premier vice-président ou de vice-président de tribunal de grande instance, désigné par le président du tribunal de grande instance. Cette désignation – nous renforçons là l’indépendance à laquelle il a été fait allusion – n’interviendrait cependant qu’après avoir obtenu un avis conforme de l’assemblée des magistrats du siège du tribunal concerné, afin de protéger l’exercice de la fonction sans pour autant entraîner les rigidités liées à une nomination par décret.
Par ailleurs, la commission des lois a instauré une déclaration d’intérêts, pour les magistrats exerçant des fonctions juridictionnelles, qui serait confidentielle et adressée au chef de la juridiction en qualité d’autorité supérieure, pour servir de support objectif et encadré à l’entretien déontologique et faciliter la prévention des conflits d’intérêts ; cet entretien donnerait lieu à un compte rendu, qui serait conservé, avec la déclaration d’intérêts, par le chef de cour ou de juridiction.
La commission des lois a également élargi le périmètre des hauts magistrats tenus d’établir une déclaration de situation patrimoniale au début et à la fin de leurs fonctions à l’ensemble des chefs de cour et des chefs de juridiction, en raison de leur autorité sur les magistrats de leur juridiction. Il s’agissait de trouver un critère homogène. Les déclarations de patrimoine seront adressées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et soumises à son contrôle, et non à celui d’une commission de recueil des déclarations de patrimoine des magistrats de l’ordre judiciaire, le tout sans publication.
Avec Yves Détraigne, collègue avec lequel j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler, nous avons auditionné tous ceux et toutes celles qui voulaient l’être. Grâce au portail ouvert sur le site du Sénat, nous avons également pu lire de nombreuses contributions. Les réflexions qui ont mené aux volontés exprimées par la commission des lois ne sont pas uniquement les nôtres ; nous avons été réceptacles d’inquiétudes et passeurs de consensus calmes et majoritaires. Je ne doute pas, madame la garde des sceaux, que vous aussi saurez, dans ces conditions, écouter.
En raison des amendements déposés, quels sont les points sur lesquels nous allons désormais finaliser le texte qui sera soumis à l’Assemblée nationale ?
Après des corrections rédactionnelles qui, lorsqu’elles seront soit admises, soit rejetées, ne poseront guère de difficultés insurmontables, nous aurons trois interrogations primordiales : quelles mesures pouvons-nous accepter sans que notre institution judiciaire risque de glisser vers un service public de même nature que les autres ? Quelle peut être, pragmatiquement, la meilleure solution pour procéder à la désignation de juges des libertés et de la détention indépendants, respectés et protégés ? Quelle peut être la voie à suivre pour que, en respectant l’impartialité sereine des magistrats, ces derniers coulent leur existence dans la transparence d’un courant sociétal maîtrisé ?
Les échanges qui vont suivre déborderont sans doute les limites de ce triangle conceptuel, qui n’est pas imposé. Ils précéderont certainement l’adoption d’un texte que nos collègues députés recevront avec considération.