… qui avait pour grande ambition de garantir l’indispensable indépendance de l’autorité judiciaire à l’égard du pouvoir exécutif.
Estimant délicat tout rapprochement en deuxième lecture au regard des divergences entre les deux textes, le Gouvernement en a suspendu la discussion. Cependant, au lieu de proposer un compromis de nature à relancer le débat législatif, le Gouvernement a préféré proposer ce projet de loi organique dont les minces dispositions apparaissent sans portée réelle. En effet, le texte s’illustre davantage par ce qu’il ne dit pas que par ce qu’il dit.
À défaut de réforme constitutionnelle, l’ensemble de la profession attendait légitimement beaucoup de cette modification de l’ordonnance de 1958 qui devait renforcer l’indépendance des magistrats, notamment celle des magistrats du parquet, améliorer la transparence et l’égalité des magistrats en matière de nominations et d’évolution des carrières, repenser leur formation, renforcer leurs droits dans le domaine des enquêtes administratives et des procédures disciplinaires...
Or, là encore, force est de le constater, le présent projet de loi organique n’aborde ces thèmes qu’à la marge : les modifications statutaires sont essentiellement techniques, quand elles ne sont pas purement gestionnaires. Finalement, le statut des magistrats est loin d’être rénové en profondeur, même si plusieurs dispositions répondent à certains souhaits de la profession – nous nous en félicitons –, dispositions qui ont été, comme l’a rappelé François Pillet, rapporteur de la commission des lois, soutenues et améliorées par cette dernière, dont nous saluons le sérieux des travaux. Il s’agit, entre autres, du renforcement de l’obligation de transparence pour les nominations de tous les magistrats, du principe de la déclaration d’intérêts pour tous les magistrats également, de la maîtrise par le Conseil supérieur de la magistrature du renouvellement dans les fonctions des juges de proximité, ou encore de la limitation du recours à des magistrats au statut précaire, tels que les magistrats à la retraite.
A contrario, nous nous opposons avec force au recul de la commission sur l’une des seules avancées importantes du projet de loi organique : la réforme du statut du juge des libertés et de la détention.
Le rôle de ce magistrat est essentiel au pénal comme au civil : en intervenant, par exemple, en matière de contrôle des soins contraints et de droit des étrangers, le juge des libertés et de la détention exerce des missions de protection des libertés individuelles extrêmement importantes, qui doivent encore se développer, comme l’a indiqué à plusieurs reprises la Cour européenne des droits de l’homme. Or la dépendance du parquet à l’égard de l’exécutif empêche qu’il soit considéré comme une « autorité judiciaire » au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et rend nécessaire le contrôle d’un juge.
Si le juge des libertés et de la détention est un magistrat du siège qui ne peut être déplacé arbitrairement dans une autre juridiction, son indépendance n’est ni respectée ni protégée dans l’exercice de ses fonctions au quotidien. En application de l’article 137-1, alinéa 2, du code de procédure pénale, il est en effet désigné par le président du tribunal de grande instance sans précision de durée, et l’avis conforme de l’assemblée générale des magistrats du siège ne suffira pas, à nos yeux, à limiter les risques de pressions ou de changement d’affectation qui pèsent particulièrement sur ces magistrats aux fonctions sensibles.
C’est pourquoi nous vous proposerons de revenir au texte initial, qui instaure la nomination du juge des libertés et de la détention par décret. Nous serons particulièrement attentifs à l’évolution de ce point, ainsi qu’au sort qui sera réservé à nos amendements, notamment en matière de formation et de rémunération des magistrats.
Enfin, à l’heure où les violents propos d’une droite réactionnaire et décomplexée viennent entacher les valeurs de notre République, nous mettrons un point d’honneur à faire respecter tout au long de ce débat l’activité syndicale des magistrats, laquelle assure notamment l’indépendance de la fonction judiciaire, garantie des droits et libertés du citoyen, et contribue au progrès du droit et des institutions judiciaires afin de promouvoir une justice accessible, efficace et humaine.
Pour en revenir au projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, je vous le disais, madame la garde des sceaux, la déception est grande, tant la logique gestionnaire est là aussi de mise, comme en témoignent la modification de l’envoi en possession ou le transfert de l’enregistrement des PACS à l’officier d’état civil, dispositions qui relèvent davantage de mesures d’intendance que de réformes à proprement parler.
Une disposition est particulièrement révélatrice du manque d’ambition du texte et de la frilosité du Gouvernement à engager une réforme profonde et progressiste de notre justice : il s’agit de la mesure très médiatique, mise en œuvre par l’article 15, concernant la répression de certaines infractions routières.
Vous reviendrez sur ce point, madame la garde des sceaux, mais nous nous devons de souligner que, si la répression des infractions routières occupe très largement les tribunaux correctionnels, la politique de dépénalisation doit absolument dépasser le seul contentieux routier, pour concerner les délits de faible gravité. Il en va ainsi des faits d’usage illicite de stupéfiants, d’occupation de hall d’immeuble, de racolage passif, d’aide à l’entrée et au séjour. La contraventionnalisation des dégradations et des faits de vols mineurs devrait également être envisagée. Or, « affichage d’une politique répressive oblige, la réflexion n’est introduite qu’à doses homéopathiques », estiment les magistrats, dont nous partageons l’analyse.
Comme le texte censé réformer le statut des magistrats, celui que nous examinons fait parler de lui, aussi, pour ce qu’il occulte.
Parmi les mesures qu’il met en place, certes, plusieurs éléments vont dans le bon sens, et je tiens à les souligner.
Il en est ainsi du développement des modes alternatifs de règlement des différends, car le procès est toujours considéré comme un échec, une pathologie. Cependant, soulignons que la conciliation et la médiation doivent rester de libre choix, comme l’indiquent les cours de justice dans un document de synthèse : le caractère obligatoire de ce type de mode de règlement des litiges serait inefficace et risquerait, notamment, d’augmenter la durée moyenne des procédures.
De même, il est important que les services de médiation et de conciliation soient gratuits, car il serait contreproductif de faire supporter le coût de la médiation aux justiciables.
Il est un autre point positif : la mise en place d’un socle commun pour l’action de groupe et la reconnaissance d’une action de groupe plus spécifique en matière de discrimination, même si nous pouvons regretter, là encore, la frilosité de l’ambition au regard de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale au mois de juin dernier. À cet égard, nous saluons le travail accompli par M. le rapporteur, qui est revenu sur quelques dispositions pour le moins surprenantes, comme l’indemnisation des seuls préjudices nés après la réception de la mise en demeure prévue initialement en matière de discrimination au travail.
Cependant, la commission des lois s’est bien gardée de revenir sur des mesures qui nous laissent subodorer deux écueils.
Le premier écueil est l’extension de la procédure participative qui autorise, à l’article 5, la conclusion d’une convention, même lorsque le juge est déjà saisi, et avec laquelle on entre dans une dynamique de privatisation du contentieux. Celle-ci est inacceptable, notamment en matière de droit du travail, tant elle réduit l’égalité des armes et crée une justice à deux vitesses.
Le second écueil tient au transfert du contentieux de l’indemnisation des dommages corporels et de celui du tribunal de police – contentieux pénal de proximité – au tribunal de grande instance, à l’article 10, qui aboutit à un démantèlement progressif de la justice de proximité, en contradiction avec les objectifs affichés du projet de loi.
Nous vous proposerons de revenir sur ces deux mesures par voie d’amendements.
Enfin, pour ce qui est des dispositions présentes dans le texte, nous regrettons également le manque d’ambition en matière de justice commerciale. Pourtant, comme vous l’avez souligné, madame la garde des sceaux, les juridictions consulaires doivent faire face à la complexité croissante du droit et aux difficultés majeures provoquées par la crise économique. Si les mesures proposées vont dans le bon sens, nous sommes loin d’une véritable remise à plat de la justice commerciale ou, à tout le moins, de la mise en place d’une justice paritaire ou de l’échevinage, par exemple.
Sur la question du droit des entreprises en difficulté, nous pensons qu’un débat spécifique devrait être organisé en séance publique. Il s’agit là d’un sujet important, mais qui témoigne avant tout de la disparité de ce projet de loi qui, à notre sens, aurait mérité une concentration sur l’accès réel des justiciables au droit.
Une réforme portant sur la justice du XXIe siècle devrait avant tout être guidée par l’ambition d’une justice accessible et de qualité pour toutes et tous, dont l’organisation et les priorités seraient mises au service des justiciables, et non plus dictées par le productivisme et l’appât du gain.
Or les quelques efforts réalisés en matière d’accueil des justiciables dans les palais de justice et les pâles modifications des dispositifs d’accès au droit ne nous convainquent pas quant au résultat final : le chemin est encore tortueux pour parvenir à une justice qui permette aux citoyens d’avoir connaissance de leurs droits et d’avoir accès au juge, et ce quels que soient leurs moyens.
Depuis trop longtemps, la justice est laissée pour compte. Seul un effort financier important et suivi pourrait améliorer la situation de l’accès au droit et romprait avec la politique budgétaire catastrophique en matière d’aide juridictionnelle, celle-ci étant pourtant seule à même d’assurer une assistance aux justiciables les plus démunis.
Dans ses Fragments politiques, Jean-Jacques Rousseau semble visionnaire lorsqu’il explique que les sociétés ne mettent en place que des « simulacres » de justice, et que le progrès technologique et la politique accroissent constamment les inégalités, faisant de la justice comme émanation du contrat social une impossibilité historique.
Cependant, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen refusent le fatalisme, et apporteront leur pierre à l’édifice d’une justice bien réelle et beaucoup plus ambitieuse pour chacun de nos concitoyens. Nous serons très attentifs aux débats à venir et déterminerons nos votes en conséquence sur les deux textes qui nous sont présentés.