Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, mon intervention concernera essentiellement le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, et je laisse à mon excellent collègue et ami Pierre-Yves Collombat le soin de s’exprimer sur le texte relatif à l’indépendance des magistrats, sujet qui lui tient tant à cœur.
Quelle belle ambition que de vouloir créer la justice du XXIe siècle !
« La justice est la première dette de la souveraineté », écrivait Portalis. La justice, nous le savons tous, doit être la plus proche possible des citoyens ; elle doit être plus accessible ; elle doit également, plus que jamais, être irréprochable. Si elle est rendue au nom du peuple français, ceux qui ont l’honneur de la rendre ne sauraient considérer qu’ils siègent sur un Olympe coupé des simples citoyens.
À l’ère de la démocratie numérique, son impartialité doit être entière, à la fois subjective et objective, afin que ses jugements ne puissent laisser planer le spectre d’une quelconque connivence, même supposée. D’ailleurs, en matière de transparence, rien ne justifie un traitement particulier pour les magistrats.
Le chantier de la justice du XXIe siècle n’est pas nouveau, comme en témoignent tous les rapports qui se sont succédé sur la question. Si le projet de loi apporte des débuts de réponse, nous ne pouvons que regretter le manque de moyens et d’actions concrètes au soutien de cette ambition, qui reste trop contingentée à l’intitulé du texte.
Pourquoi se contenter de réformes cosmétiques éparses et éviter deux questions fondamentales, c’est-à-dire celle des moyens humains et matériels, dont héritent d’ailleurs tous les gouvernements successifs, et celle de la non-exécution d’une proportion considérable de jugements qui apparaît comme un véritable fléau ?
Nous regrettons également que la réforme des juridictions commerciales ou celle des professions réglementées aient, par exemple, été amorcées par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques de M. le ministre de l’économie.
Cela étant, diverses mesures de simplification sont mises en œuvre par le texte, notamment le transfert de l’enregistrement des PACS à l’officier d’état civil ou encore la dématérialisation des actes de procédure pénale effectués par les officiers de police judiciaire.
La plus importante de ces mesures qui est préconisée de longue date par de nombreux rapports est celle de l’attribution au tribunal de grande instance des compétences du tribunal des affaires de sécurité sociale et du tribunal du contentieux de l’incapacité, ainsi que de certaines compétences de la commission départementale d’aide sociale.
Concernant l’accessibilité de la justice, la création d’un guichet unique, dénommé « service d’accueil unique du justiciable », constitue pour nous une avancée certaine. Ce bureau permettra de simplifier les démarches d’information et d’aide juridictionnelle, avec d’autant plus d’efficacité que sa compétence s’étendra au-delà de celle de la juridiction où il est implanté.
Toutefois, à nos yeux, le projet de loi s’arrête rapidement au milieu du gué.
S’il est effectivement important de recentrer l’activité des tribunaux de grande instance sur les petits litiges civils de la vie quotidienne, le développement des moyens alternatifs de règlement des litiges ne constitue qu’un pis-aller. La déjudiciarisation ne doit pas avoir pour objectif unique de désengorger les tribunaux, les justiciables ayant des raisons valables de recourir à la force du jugement. Je suis de ceux qui considèrent, par exemple, qu’il ne peut y avoir de divorce sans juge, car il faut vérifier la réalité du consentement des parties et l’équilibre des mesures consécutives à la séparation.
Madame la garde des sceaux, selon les termes de l’article 829 du code de procédure civile, que l’on n’utilise pas suffisamment à mon goût, le juge est d’ores et déjà un conciliateur, avant que d’être un juge : « Devant le tribunal d’instance et la juridiction de proximité, la demande en justice est formée par assignation à fin de conciliation et, à défaut, de jugement, sauf la faculté pour le demandeur de provoquer une tentative de conciliation avant d’assigner. »
Aussi, à mon sens, il y a plutôt lieu de regretter la disparition, dans la formation des magistrats de proximité, à commencer par l’instance, de cette culture de la conciliation. La charge de travail est telle qu’il n’est plus possible de concilier et de réconcilier finalement les parties. Pour avoir un résultat réellement efficace, il conviendrait d’avoir plus de juges et plus de greffiers dans les tribunaux d’instance. Or, vous le savez, madame la garde des sceaux, plus d’une centaine de postes de magistrats sont vacants.
D’autres écueils rencontrés par la justice n’ont, par ailleurs, pas encore trouvé de solutions, faute d’une oreille attentive à la Chancellerie !
Les juridictions spécialisées se sont multipliées, ajoutant au peu de lisibilité de l’organisation judiciaire. Comme le faisaient d’ailleurs remarquer Virginie Klès et Yves Détraigne dans leur rapport de 2013, il n’y a pas toujours de correspondance entre un type de juridiction, le contentieux pour lequel elle est compétente et la nature de la procédure suivie en cette matière.
La collégialité est loin d’être la règle au sein du tribunal de grande instance, alors même que cette procédure se justifierait dans de nombreux contentieux complexes, faisant intervenir des intérêts majeurs pour nos concitoyens.
La question de la garde partagée, entre autres exemples, suscite encore un tel désespoir que certains pères croient bon de monter au sommet d’une grue pour faire valoir leurs droits de parent !
En matière pénale, la contraventionnalisation des délits de conduite sans permis de conduire ou sans assurance constitue, pour nous, un mauvais signal envoyé aux auteurs de ces infractions, même si j’en comprends la justification, au regard de la moyenne des sanctions prononcées. Néanmoins, les conséquences d’une telle mesure peuvent être graves pour la société.
A contrario, comme nous l’avons montré en faisant voter par le Sénat la proposition de loi de Gilbert Barbier, nous proposons de réprimer la première consommation de drogue illicite par une sanction proportionnée, facile à appliquer, donc effective, c’est-à-dire par une peine d’amende de la troisième classe, ce qui serait une mesure pédagogique.
Encore une fois, l’amélioration du fonctionnement de la justice passe par l’augmentation des moyens octroyés à cette mission. Vous avez su, madame la garde des sceaux, maintenir et même faire progresser le budget de la justice. Pour la première fois, il franchira l’an prochain le seuil symbolique des 8 milliards d’euros. Un tel montant, nous le savons, ne sera pourtant pas suffisant.
La justice du XXIe siècle, c’est également celle qui associe au mieux les différents acteurs, notamment les avocats. Je ne reviendrai pas sur la question de l’aide juridictionnelle, vous connaissez ma position. Il y a eu un conflit, je le crois, parce que la ponction sur les caisses des règlements pécuniaires des avocats était une mauvaise solution, même si elle avait pu être proposée par certains barreaux. À mon avis, il n’y aura pas d’issue en la matière sans recourir à des droits d’enregistrement et à des prélèvements sur les assurances de protection juridique, seuls moyens de préserver pour l’avenir l’aide juridictionnelle.
Voilà un certain nombre de points que les membres de mon groupe souhaitaient soulever. Soucieux du bon fonctionnement de la justice, nous avons déposé des amendements sur divers sujets qui traduisent notre vision d’une justice plus efficace et plus proche. Nous considérons que le cœur de l’action judiciaire doit rester dans les palais de justice.
Même si nous attendions plus et mieux, nous voterons ce texte, qui comprend un certain nombre d’avancées.