Or il y a un équilibre à respecter. L’avis du Conseil supérieur de la magistrature pour la nomination des magistrats du parquet va, à mon sens, de pair avec un CSM dans lequel les représentants des magistrats ne sont pas tout-puissants. Sinon, on transforme la magistrature en une corporation qui ne rendrait de comptes qu’à elle-même. D’où viendrait alors sa légitimité ? Et que resterait-il des principes républicains ?
Le véritable courage, c’est précisément de savoir reconnaître que l’on s’est trompé. En l’occurrence, ce serait, pour le Gouvernement, de se rallier au texte voté en 2013 par le Sénat et de faire aboutir la procédure sur cette base.
En effet, le texte qui nous est soumis ne résout pas le problème qui nous est posé par la jurisprudence européenne. Déniant au procureur français la qualité de magistrat, la Cour européenne des droits de l’homme limite peu à peu sa capacité à effectuer certains actes d’enquête. Vous le savez, à tort ou à raison, la Cour de Strasbourg a plusieurs fois réitéré sa position : le procureur français ne présente pas les garanties d’indépendance exigées pour être qualifié de « magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », au sens de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est cette situation qu’il faut corriger, car, à défaut, même les plus simples réquisitions du parquet risquent fort d’être un jour interdites et les actes d’enquêtes les plus quelconques annulées.
Le problème principal est bien là, et votre texte ne le résout pas. Tant que nous ne l’aurons pas réglé en instaurant l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, nous ne pourrons pas réussir cette rénovation de notre procédure pénale dont le besoin se fait sentir chaque jour.
Pour ma part, et dans l’attente de voir aboutir un processus de révision constitutionnelle sur ce sujet, je proposerai un amendement ouvrant la voie sur ce plan, en suggérant – c’est une proposition – qu’en cas d’avis défavorable du CSM à une nomination, un deuxième avis soit exigé, qui ne devra pas confirmer le premier à la majorité des deux tiers.
Quant au projet de loi « portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle », il a bien de la peine à justifier son titre tant il est loin de l’ambition affichée. C’est une grande étiquette sur une toute petite bouteille…
Il s’agit, dit-on, de rapprocher la justice du citoyen, de faciliter ses démarches. Qui ne serait pas d’accord avec cet objectif ? La mise en place de « guichets uniques » – formule le plus souvent utilisée – va certes dans ce sens, mais où est le véritable intérêt, si on en reste à un simple service d’accueil unique du justiciable et que ce qui se passe derrière est toujours aussi lent, aussi complexe, aussi incertain ?
La commission des lois ne s’y est pas trompée. Elle a suivi les recommandations du rapport d’information plusieurs fois cité sur la justice de première instance remis à l’époque par nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne, qui liaient la réforme du guichet universel de greffe à celle, aussi importante, de la mutualisation des greffes. Même si cela fait grincer certaines dents, la commission des lois a créé un article 13 bis organisant cette mutualisation et permettant au chef de juridiction de redéployer, au sein du ressort du tribunal de grande instance, les effectifs de greffe.
Il est également question de l’instauration de plateformes électroniques permettant de suivre son dossier en ligne. Tant mieux, même s’il ne faut pas trop se hâter de saluer ce progrès technologique dans la mesure où, semble-t-il, les logiciels nécessaires ne sont pas encore conçus ! Là aussi, à quoi sert-il de savoir en ligne où en est précisément son dossier si celui-ci n’avance pas, du fait de procédures trop lourdes ou de moyens insuffisants ?
Où sont ensuite, madame le ministre, les grandes évolutions concrètes attendues en matière de simplification de l’organisation judiciaire et des procédures juridictionnelles ? Même avec une grosse loupe, on a du mal à les discerner !
Il est proposé de créer au tribunal de grande instance un pôle social qui regrouperait le tribunal des affaires de sécurité sociale et le tribunal du contentieux de l’incapacité, autrement dit le TASS et le TCI, ainsi que la partie des contentieux liée au droit à la protection sociale. Il est également proposé d’intégrer le tribunal de police au tribunal de grande instance plutôt qu’au tribunal d’instance, comme c’est le cas aujourd'hui, et de recentrer les juridictions sur leurs missions premières en les déchargeant de certaines autres tâches – en transférant, par exemple, aux mairies l’enregistrement des pactes civils de solidarité. Mes chers collègues, est-ce que ce sont bien là les attentes des justiciables, de nos concitoyens ?
À moins qu’il ne faille considérer comme un grand progrès de la simplification le déclassement des délits de conduite sans permis ou sans assurance en de simples contraventions ? Cela figure parmi les possibles mesures de simplification : étrange raisonnement !
Comme nous sommes incapables de traiter comme il le faudrait ce type de contentieux, nous le déclassons, afin de désencombrer les juridictions, sans prendre garde, M. Mézard l’a dit avant moi, au signal désastreux ainsi envoyé.
Reconnaissons pourtant que, si l’objectif final était de désencombrer les tribunaux correctionnels, le résultat serait remarquable. D’ailleurs, si tel est le cas, pourquoi s’arrêter là ? Il existe bien d’autres délits, aussi souvent commis, voire plus souvent encore, qui gagneraient à être ainsi déclassés pour libérer les tribunaux.
En réalité, des propositions de ce type, au-delà de leur caractère que je n’hésiterai pas à qualifier d’ubuesque, me paraissent graves, car elles illustrent une justice exclusivement centrée sur son propre fonctionnement et coupée des conséquences qu’il a sur la société.
Pardonnez-moi, madame le garde des sceaux, de me faire une autre idée de la justice du XXIe siècle : une justice qui serait délivrée, certes, des derniers vestiges à subsister çà et là du XIXe siècle, mais surtout des illusions du XXe siècle et des faiblesses qui l’ont conduite dans l’état où elle se trouve aujourd’hui.
Nos concitoyens ne se retrouvent plus dans la justice qui est censée être rendue en leur nom. Ils ne comprennent pas ses lenteurs et ses dysfonctionnements ; ses décisions leur semblent de plus en plus imprévisibles.
Ils constatent qu’elle n’inspire plus cette crainte salutaire qui dissuade de prendre le chemin de la délinquance. Ils observent que les victimes ont bien du mal à obtenir réparation. Ils voient les peines peu, mal, voire jamais exécutées, parfois réduites dès l’audience.
La justice est en train de perdre sa crédibilité !
Pour la lui rendre, il faut modifier la procédure pénale dans le sens de la simplification, du réalisme et de l’efficacité, ce qui est parfaitement compatible avec le haut niveau de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales garanti par notre Constitution.
En premier lieu, il ne faut pas hésiter à introduire des procédures nouvelles, gages d’efficacité et de sérieux dans la réponse pénale, à limiter les annulations de procédure pour des hypothèses de pure forme et à supprimer tous ces grains de sable qui laissent au citoyen l’idée que la procédure pénale pourrait n’être qu’une immense loterie.
En matière de simplification, il nous faut travailler à unifier les règles, à supprimer les incohérences, à sanctionner les recours abusifs et à n’imposer que le formalisme strictement nécessaire. En la matière, il y a tant à faire ! Combien de procès-verbaux de pure forme sont dressés avant de parvenir au premier acte de fond ! Combien d’heures sont ainsi perdues par tous : magistrats, avocats, parties au procès !
Nous devons aussi crédibiliser absolument le droit des peines ; il ne cesse d’évoluer, mais avec cette particularité que chaque réforme le complexifie davantage. Les magistrats se voient soumis à des injonctions législatives peu compréhensibles : condamnez ! condamnez encore ! Pour l’exécution, on en discutera… N’est-ce pas peu ou prou ce que dit la loi, quand elle prévoit la faculté d’aménager la peine dès l’audience ou encore des mécanismes automatiques de réduction de peines, même pour les récidivistes ?
Il faut en la matière revenir à la raison.
Pour ma part, avec quelques collègues, j’entends déposer, dès qu’elle sera prête, une proposition de loi portant réforme globale des procédures pénales qui irait dans cette direction. J’espère qu’au-delà des postures politiques l’aspect concret et technique de ces mesures pourra convaincre.
Pour l’heure, et seulement à titre d’exemple, j’ai déposé trois amendements visant à insérer des articles additionnels au texte sur la justice du XXIe siècle.
Le premier amendement a pour objet l’instauration d’un régime d’enquête nouveau et plutôt audacieux.
Le deuxième vise à redonner du sens au principe selon lequel il n’y a pas de nullité de la procédure sans grief.
Le troisième enfin, qui découle du simple constat de la pénurie d’interprètes durant les procédures, a pour objet de faciliter le recours à l’interprétation par téléphone, hors difficultés insurmontables.
En conclusion, il est patent que notre système judiciaire souffre de trop de faiblesses, de trop de carences ; il est urgent de les corriger sérieusement.
Malheureusement, nous n’en prenons pas le chemin, madame le garde des sceaux, avec les deux textes que vous nous présentez aujourd’hui, malgré diverses mesures en vérité utiles. Le décalage est trop grand entre l’ampleur de la réflexion préalable que vous avez menée, l’ambition des titres de vos projets de loi, et la réalité.
À mon sens, nous manquons ici une nouvelle occasion de rétablir la confiance entre nos concitoyens et la justice. Vous avez par deux fois mentionné la nécessité de restaurer cette confiance ; je crains pour ma part que nous n’ayons pas, avec ces textes, atteint l’objectif que vous vous fixiez, et je ne peux que le regretter !