Intervention de Pascale Gruny

Réunion du 3 novembre 2015 à 15h00
Indépendance et impartialité des magistrats ; justice du xxie siècle — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’actualité ne cesse de nous montrer combien il devient urgent de réformer en profondeur notre modèle judiciaire. N’ayons pas peur des mots : nos institutions sont en souffrance et l’autorité de l’État est largement remise en cause dans un contexte de défiance.

Ce texte n’a d’ambitieux que son intitulé, qui évoque la justice du XXIe siècle. Loin de répondre à des attentes pourtant essentielles, il suscite un grand nombre d’interrogations, en raison tant de son contenu que de son caractère précipité.

Oui, ce texte est précipité, car il intervient un an seulement après la loi Hamon de 2014, laquelle prévoyait un bilan d’évaluation des actions de groupe en matière de consommation et de concurrence trente mois après leur introduction, soit à la fin de 2016. Cette évaluation devait permettre – faut-il le rappeler ? – d’envisager les évolutions possibles du champ d’application au-delà des seuls domaines de la consommation et de la concurrence.

Loin de respecter ce calendrier, que votre gouvernement avait pourtant lui-même fixé, vous modifiez une nouvelle fois les règles du jeu. Comment pourrions-nous rester muets face à cette nouvelle volte-face ? La loi a instauré un calendrier, il doit être respecté. Il y va de l’attractivité de notre système judiciaire ! Il y va également de l’efficience des orientations prises et de la confiance accordée aux engagements des pouvoirs publics.

Oui, madame la ministre, les orientations prises dans ce texte ne sont pas les bonnes dans le contexte actuel de morosité économique. En sacralisant l’action de groupe, en la banalisant et en la vidant finalement de tout son sens, vous mettez en grand danger l’activité des entreprises. Bien évidemment, il ne s’agit pas de remettre en cause le rôle de l’État, qui doit prendre toute sa place lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts des consommateurs face à des pratiques commerciales parfois abusives. Là n’est pas la question. Le problème, madame la ministre, réside dans les difficultés que provoquera ce texte dans le quotidien des acteurs économiques concernés.

J’attire donc toute votre attention sur ce sujet extrêmement important : les entrepreneurs avaient-ils vraiment besoin qu’on leur complique davantage l’existence ? Faut-il vous rappeler, madame la ministre, combien l’éventail des normes pèse sur leurs activités ?

Non, le message envoyé au monde de l’entreprise n’est pas le bon. L’image et la réputation d’une entreprise sont essentielles à sa bonne santé économique. Une entreprise prospère par sa production, quelle qu’elle soit, et cette production est liée avant tout à la confiance des consommateurs.

Même si nous n’avons qu’un faible recul sur le dispositif, nous connaissons les effets de la médiatisation des litiges, car les exemples se multiplient. Une étude australienne de 2015 a ainsi montré que moins de la moitié des 29 actions de groupe annoncées dans les médias entre 2011 et 2013 avaient été effectivement introduites en avril 2015.

En France, sous la pression des médias, le bailleur social Paris Habitat a annoncé, et pas plus tard que le 19 mai 2015, la conclusion d’une transaction mettant un terme à l’action de groupe menée par le SLC-CSF. §Paris Habitat aurait-il transigé aussi rapidement si l’annonce de l’action de groupe n’avait pas fait l’objet d’une médiatisation massive portant atteinte à son image de bailleur social ? Permettez-moi de penser que non.

Ces exemples nous montrent combien l’action de groupe peut se révéler dangereuse : tout d’abord parce qu’elle ne favorise pas la solution amiable ; ensuite parce que ses répercussions sont fortes sur l’entreprise, notamment en matière de recherche ; enfin parce qu’elle s’appuie sur son environnement médiatique pour exister. Or, en la matière, la loi de la République ne saurait être soumise à l’opinion.

Madame la ministre, vous dites que l’action de groupe est un moyen de défense des intérêts des partenaires économiques. Je vous réponds que le débat ne se pose pas lorsqu’il s’agit de dénoncer des pratiques abusives. Mais, si ce principe même n’est pas remis en cause, mesurez-vous les conséquences désastreuses d’une action de groupe sur l’activité des entreprises ?

Comment ferez-vous, madame la ministre, pour faire respecter le cadre juridique des actions de groupe lorsque celles-ci se multiplieront ?

Quelle réponse la justice apportera-t-elle aux entrepreneurs qui verront leur image écornée par la médiatisation d’une action de groupe ?

Toutes ces questions, je le pense très sincèrement, méritent des réponses claires de la part du législateur.

En banalisant l’action de groupe, madame la ministre, vous exposez le monde de l’entreprise dans son ensemble à des dérives périlleuses que nous ne pouvons pas accepter. Ces dérives, concrètes et avérées, posent tout d’abord la question de la dégradation de l’activité d’une entreprise. Elles interrogent ensuite sur les collectifs ayant la qualité pour agir.

Dans le projet de socle commun, vous ouvrez l’action de groupe aux associations agréées et aux associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans. Au regard du nombre très important d’associations et des risques de multiplications des contentieux, la création de ce socle commun est incontestablement porteuse de dérives. Voilà pourquoi la loi doit imposer un cadre clair et bien défini.

Or, sur ce point, le compte n’y est pas. Les interrogations soulevées démontrent à elles seules que l’idée même d’un socle commun ne se justifie pas. Face à cette pratique périlleuse, la conciliation et la médiation doivent devenir les deux modes privilégiés de règlement des différends. Plus efficaces et plus rapides, ces deux solutions ont également le mérite de ne pas tomber dans l’écueil de la surenchère.

Ce constat vaut pour toutes les négociations, l’actualité récente nous l’a démontré une nouvelle fois. Les plus grandes avancées s’obtiennent non par la force et l’opposition, mais grâce à l’écoute et au dialogue. Les entreprises ont bien compris ce message, la satisfaction des partenaires a toujours été au cœur de leurs préoccupations. Malheureusement, le projet de loi semble totalement l’occulter.

Comment pourrait-il en être autrement ? S’il n’y a pas d’emploi sans entreprise, il n’y a pas non plus d’entreprise sans clients. C’est une condition primordiale de succès et de survie dans une économie de marché. Voilà pourquoi la vision que vous défendez, madame la ministre, ne saurait correspondre à ce qu’est la réalité sur le terrain.

Faire croire, comme le laisse entendre ce texte, que les entrepreneurs de manière générale adopteraient un comportement discriminant relève de la caricature. Les stigmatiser pour des faits minoritaires est insupportable. Comme dans tous les secteurs d’activité, les dérapages existent, nul ne le conteste, mais, pour quelques mauvais exemples, combien d’entreprises ont un comportement irréprochable ?

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