Intervention de Jacques Cornano

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 3 novembre 2015 à 13h50

Photo de Jacques CornanoJacques Cornano, rapporteur :

Je me concentrerai sur trois grands thèmes qui s'imposent aux outre-mer confrontés au défi de l'adaptation au changement climatique : la gestion de la ressource en eau, l'adoption d'un modèle agricole plus résilient et la mise en valeur de la biodiversité. Dans chaque cas, les outre-mer ont montré, par une série d'initiatives et de réalisations territoriales très concrètes, qu'ils ne subissaient pas passivement les dérèglements climatiques. Collectivement, sans sous-estimer les risques, nous savons en tirer des opportunités pour nous orienter vers des voies de développement plus durables, montrant ainsi notre potentiel d'innovation et d'entraînement au sein de notre environnement régional.

Le changement climatique et la croissance démographique exercent une pression sur la quantité et la qualité de l'eau douce disponible, qui ne représente que 2,6 % de l'eau sur la Terre. À la raréfaction globale de l'eau s'ajoutent les risques de salinisation et de moindre dilution des polluants.

Les outre-mer, notamment la Martinique et La Réunion, bénéficient déjà d'études de vulnérabilité menées par l'Inra, le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) et l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea). De leur côté, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie bénéficient du Programme hydrologique international de l'Unesco.

Des techniques déjà développées à l'échelle industrielle permettent d'accroître la production d'eau potable pour faire face à la dynamique démographique, sans compromettre la ressource. Selon la géographie des territoires, les prévisions d'évolution de la ressource, de la consommation et des coûts estimés, différentes solutions peuvent être retenues : nouveaux forages horizontaux et galeries drainantes à Tahiti ; déplacements d'ouvrages pour prévenir les infiltrations marines en Guyane, en amont du Maroni ; construction d'ouvrages de secours pour faire face à des précipitations violentes en Nouvelle-Calédonie.

Par ailleurs, le dessalement d'eau de mer par osmose inverse est fortement consommateur d'énergies fossiles et occasionne des rejets de saumures. Pour en limiter l'impact, de nouveaux procédés réduisant l'empreinte carbone sont en phase de test grandeur nature, comme le couplage avec l'énergie photovoltaïque à Bora Bora avec le projet Osmosun, la réduction de la taille des stations aux Marquises ou la récupération de la chaleur du traitement des déchets par incinération à Saint-Barthélemy.

Le cas de Marie-Galante, que nous avons pu examiner en détail au cours de notre déplacement, offre un excellent exemple de politique globale d'accroissement de la ressource en eau disponible par optimisation du réseau. Une baisse des prélèvements par pompage a été constatée il y a quelques années, faisant craindre une réduction de l'alimentation naturelle de la nappe phréatique à cause d'une baisse de la pluviométrie et de l'infiltration utile imputable au changement climatique. Il fallait par conséquent réduire les déperditions sur le réseau. Les inspections lancées à cet effet ont révélé la dégradation de plusieurs forages par l'entartrage, la corrosion et l'accumulation de détritus. Un programme de travaux a été défini sur la base de ce diagnostic. Trois forages ont été rebouchés et remplacés, les quatre autres ont été réhabilités par récupération des éléments tombés, traitement à l'acide pour détartrer, injection d'air comprimé et brossage. Les résultats sont probants, puisque le débit global à Marie-Galante a augmenté de 32 % après travaux.

Une politique de l'eau adaptée au changement climatique demande un entretien adapté du réseau et des campagnes de recherche de fuites. Entre 2008 et 2014, à Saint-Pierre-et-Miquelon, une action volontariste a abouti à une réduction de 60 % des prélèvements d'eau. En effet, la réduction des prélèvements et la préservation des capacités de stockage, y compris par des citernes individuelles, offrent des marges de manoeuvre supplémentaires en cas de sécheresse. Il faut également faire évoluer les habitudes en sensibilisant le public aux économies d'eau.

Enfin, le recours à des stations d'épuration écologique doit être soutenu. Le projet Attentive d'adaptation de l'assainissement des eaux usées au contexte tropical, mené en Martinique, consiste à faire circuler de manière gravitaire les eaux brutes domestiques à travers des bassins successifs où elles sont traitées sur des minéraux plantés de roseaux. Ce traitement économe en énergie optimise le cycle naturel d'épuration de l'eau et limite les rejets azotés en milieu naturel.

Face au défi alimentaire que pose l'accroissement de la population mondiale, l'activité agricole occupe une place déterminante dans la définition des politiques de réponse au changement climatique. Responsable de 24 % des émissions de gaz à effet de serre, ce secteur offre néanmoins des moyens de piéger le carbone ; il demeure en outre essentiel pour l'activité économique et l'emploi dans les outre-mer et subit directement les effets des transformations du climat. L'impact porte autant sur les rendements et les volumes que sur les espèces et les variétés produites. La politique agricole doit par conséquent conjuguer logique d'adaptation et exigence d'atténuation.

Tant pour la canne à sucre que pour la banane, les études disponibles pointent une diminution probable à moyen terme des rendements liée à un raccourcissement du cycle de culture, à une augmentation de la température et à des périodes de sécheresse plus marquées. L'impact serait plus important sur la canne, mais les bananeraies sont particulièrement vulnérables aux cyclones. En Guyane, les recherches laissent anticiper une diminution forte de la productivité des peuplements forestiers. Pour les essences commerciales, comme l'angélique qui représente 60 % des volumes extraits, la principale crainte est le stress hydrique dû à l'allongement et à l'intensification de la saison sèche.

L'une des principales solutions consiste à trouver des espèces plus résistantes à la sécheresse. Un programme du Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad) en Guadeloupe croise différentes variétés et espèces de bananiers pour obtenir des plants plus résistants au stress hydrique et dotés d'un système racinaire plus adapté. D'autres travaux portent sur l'amélioration de la résistance des agrumes à la sécheresse, à la salinité et contre le greening, une maladie endémique qui ravage la Caraïbe, le Brésil et la Floride.

Des moyens de lutte biologique ont été parallèlement développés à La Réunion pour faire face à des espèces invasives potentiellement stimulées par le changement climatique, avec le soutien du Pôle de protection des plantes de Saint-Pierre. Parmi les réussites, je signale l'utilisation d'un champignon pour lutter contre le ver blanc de la canne à sucre ou l'introduction de microguêpes en cultures maraîchères et fruitières contre les mouches blanches. Deux sociétés privées, Betel Réunion et La coccinelle, travaillent en partenariat étroit avec le Cirad pour développer des gammes d'auxiliaires biologiques.

Enfin, dans le cadre de la Commission de l'Océan Indien, les unités de recherche basées à La Réunion apportent un soutien aux pays voisins - Comores, Madagascar, Maurice et Seychelles - pour lutter contre les ravageurs et les maladies affectant les cultures maraîchères. Voilà un excellent exemple du rôle d'interface entre les pays du Nord et du Sud que peuvent jouer les outre-mer.

Une plus grande diversité des cultures garantissant une plus grande résilience aux aléas climatiques, la protection ou la réintroduction de variétés anciennes et la diversification des productions pour contrebalancer la fragilité des grandes monocultures de banane ou de canne à sucre constituent des axes majeurs de transformation de l'agriculture ultramarine. À cet égard, le modèle de polyculture offert par le jardin créole, élément du patrimoine agricole et culturel, où sont cultivées plantes alimentaires, médicinales et ornementales, est particulièrement pertinent. Les recherches de l'Inra permettent d'expliciter et d'utiliser les associations entre différentes espèces pour obtenir des rendements supérieurs aux cultures d'une seule espèce : à Marie-Galante, notre visite d'un jardin créole, sous la conduite de Monsieur Henry Joseph, pharmacien et docteur en pharmacognosie, du laboratoire Phytobôkaz, nous en a offert un excellent exemple avec une culture simultanée de canne à sucre et d'une grande variété de pois, sources de protéines végétales. Le jardin créole est un cas d'école, que ce soit pour la conservation de la biodiversité faunistique (abeilles, oiseaux, chauves-souris), le recours à la permaculture, avec la création d'humus en permanence qui permet une économie d'eau, ou la croissance en synergie des plantes qui s'assurent une protection réciproque contre les agresseurs et favorisent leur pollinisation mutuelle.

Ce modèle de biodiversité agricole se retrouve dans d'autres projets guadeloupéens comme la réintroduction de cultures de légumineuses et d'indigo, couplée avec un plan de protection des abeilles sauvages, ou encore le développement d'une agroforesterie sophistiquée avec des productions combinées d'arbres tels le galba, le calebassier, l'avocatier qui utilisent abeilles et chauves-souris comme auxiliaires pour la fertilisation, la récolte et la préparation du fruit. Ces initiatives vont de pair avec une valorisation des productions locales et des circuits courts. Le reflux des importations et la limitation des flux transportés se traduiront par des bénéfices pour l'économie locale et une réduction des émissions carbonées.

La biodiversité des outre-mer est reconnue comme une richesse inestimable, mais ce patrimoine exceptionnel est aussi menacé par le changement climatique et doit être préservé avant de pouvoir être valorisé. Comme nous l'ont montré nos tables rondes du 11 juin dernier, il faut poursuivre les campagnes d'exploration et d'inventaire, soutenir le développement de la connaissance et de la recherche innovante, et mobiliser des outils territoriaux adaptés aux spécificités locales.

Les populations sont les premiers acteurs de la protection de leur cadre de vie. De nombreuses collectivités l'ont d'ores et déjà compris et en tirent parti pour préserver la biodiversité. Ainsi, la direction de l'environnement du Gouvernement de la Polynésie française mène un programme ambitieux de lutte contre les espèces exotiques envahissantes qui menacent la biodiversité locale, à travers l'information et la formation des populations.

Autre réponse à la menace pesant sur la biodiversité, les aires marines et littorales protégées et les conservatoires de ressources génétiques soutiennent la résilience des écosystèmes et garantissent leur développement économique. Le projet d'Institut caribéen de la biodiversité insulaire, porté par la Réserve nationale naturelle de Saint-Martin, devrait faire émerger un pôle de recherche centré sur la biodiversité de l'espace caraïbe.

Des actions remédiatrices et réparatrices viennent compléter l'arsenal des politiques de préservation : dans le cadre des travaux du Grand port maritime de la Guadeloupe nouvelle génération, des transplantations d'herbiers de phanérogames marines ainsi que de coraux ont été conduites, avant une action sur les mangroves. À Saint-Barthélemy, deux projets de reconstitution de coraux nous ont été présentés. L'un mise sur la constitution de pépinières et le bouturage de cornes de cerf et de cornes d'élan, dont le rythme de croissance est rapide. L'autre s'appuie sur une technique d'accrétion électrolytique : des structures métalliques sont immergées et placées sous basse tension afin de former des structures calcaires qui serviront d'habitat artificiel aux coraux.

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