Les crédits du projet de loi de finances pour 2016 consacrés aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux, comprennent trois séries de dispositions :
- une partie des crédits inscrits au programme budgétaire 203 intitulé « Infrastructures et services de transport » ;
- des fonds de concours parmi lesquels figurent, au premier rang, les crédits de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ;
- le compte d'affectation spéciale « services nationaux de transport conventionné de voyageurs », qui concerne les trains d'équilibre du territoire (TET).
Après vous avoir présenté les crédits de l'État et de l'AFITF, je vous ferai part de mes vives préoccupations concernant le financement des infrastructures de transport, devenu erratique depuis l'abandon de l'écotaxe, puis les enjeux spécifiques au domaine ferroviaire, qui souffre toujours d'un manque d'État stratège, d'une infrastructure vieillissante malgré les efforts réalisés, et d'une absence de vision à moyen long terme extrêmement préjudiciable pour le système ferroviaire et en particulier pour notre industrie.
L'enveloppe accordée à SNCF Réseau, qui représente 80 % des crédits du programme budgétaire 203, s'élève à 2,5 milliards d'euros, soit un montant stabilisé par rapport à celui de l'année dernière. Elle couvre la redevance d'accès facturée par le gestionnaire d'infrastructure pour l'exploitation des trains express régionaux, les TER, des trains d'équilibre du territoire, les TET, ainsi qu'une participation de l'État pour l'utilisation du réseau par les trains de fret.
Dans les crédits consacrés au soutien, à la régulation et à la sécurité des transports terrestres, 26 millions d'euros sont prévus pour compenser à SNCF Mobilités les tarifications sociales nationales imposées par l'État, et 15 millions d'euros sont dédiés au soutien au transport combiné ferroviaire, soit 1,4 million d'euros de moins qu'en 2015.
Pour les transports fluviaux, la subvention versée à Voies navigables de France s'élève à 252 millions d'euros, en diminution aussi par rapport à 2015. 7 millions d'euros sont destinés au soutien au transport combiné fluvial et maritime, en diminution de plus de 13 % par rapport à l'année dernière.
Enfin, 17 millions d'euros serviront à financer les dépenses transversales du programme « infrastructures et services de transport », telles que les études et les dépenses de logistique de la DGITM ou des services qui lui sont rattachés, en diminution de 7 % par rapport à 2015.
On observe donc sans surprise, du côté des crédits du budget général, une diminution significative des dépenses sur nombre de lignes budgétaires.
Sur les fonds de concours apportés par l'AFITF, 339 millions d'euros doivent servir à financer des opérations contractualisées dans les contrats de projet ou de plan État-régions dans le domaine des transports ferroviaires et collectifs. Mais ce montant, en baisse de 9 % par rapport à l'année dernière, n'est encore qu'estimatif, le budget de l'AFITF devant être arrêté en décembre. En outre, 28 millions d'euros seront destinés à la mise en sécurité des passages à niveau et des tunnels.
Je dois vous faire part de ma très vive préoccupation à propos du budget de l'AFITF.
Tout d'abord, et j'en suis désolé pour nous tous, nous avons été dupés sur le budget 2015 de l'agence ! Je vous rappelle que l'AFITF avait connu deux années très difficiles, en 2013 et en 2014, en raison des reports de l'entrée en vigueur de l'écotaxe. L'État avait commencé à réduire sa contribution au financement de l'agence, alors que la taxe n'était pas collectée et ne pouvait donc rapporter les recettes prévues.
Une fois ce projet de taxe poids lourds définitivement enterré, l'État a décidé, pour l'exercice 2015, d'augmenter la fiscalité sur le gazole et d'affecter le produit de cette augmentation à l'AFITF, soit 1,139 milliard d'euros. Cela devait lui permettre de retrouver un budget plus raisonnable, de 2,2 milliards d'euros, dont 1,9 milliard de crédits d'« intervention » destinés au financement effectif des infrastructures de transport. C'est en tout cas ce qu'on nous avait annoncé à l'automne dernier.
À l'époque, nous nous étions inquiétés, avec la rapporteure spéciale de la commission des finances, Marie Hélène des Esgaulx, de la façon dont serait assumée l'indemnité due à Ecomouv', qui se chiffre tout de même à un milliard d'euros. Lors d'une audition devant nos deux commissions le 29 octobre 2014, le secrétaire d'État aux transports nous avait assuré que ces montants ne seraient pas ponctionnés sur le budget de l'AFITF. Je le cite : « Les recettes consacrées au financement des infrastructures sont non seulement fléchées, mais sécurisées pour l'année 2015. Quoiqu'il arrive, ce n'est pas sur ce budget là que l'on viendra ponctionner les sommes nécessaires au paiement d'une indemnité. » Et finalement, quand on regarde le budget d'intervention de l'AFITF de 2015 tel qu'il a été exécuté, que voit-on ? Un prélèvement d'autorité de 528 millions d'euros, pour financer la première partie de ladite indemnité...
C'est très grave. D'abord, parce qu'on n'a pas dit la vérité aux parlementaires que nous sommes.
Ensuite, parce que l'Agence n'est plus en mesure d'assumer les engagements qu'elle a pris par le passé. Certes, son budget d'intervention a pu être maintenu pour 2015 à 1,8 milliard d'euros, soit 100 millions de moins par rapport à ce qui était prévu initialement, malgré la ponction de ces 528 millions d'euros. Mais à quel prix ? Elle a dû renoncer à certaines dépenses d'intervention ainsi qu'au remboursement prévu de l'avance faite par l'Agence France Trésor et utiliser la quasi-totalité de son fonds de roulement - ce qui ne sera donc plus possible à l'avenir. Elle a aussi bénéficié, il est vrai, d'une recette supplémentaire de 100 millions d'euros, la contribution volontaire des sociétés d'autoroutes. La résiliation du contrat avec Ecomouv' a plusieurs conséquences pour le budget de l'AFITF. Elle crée deux nouvelles dépenses : d'une part, l'indemnité immédiate, versée en 2015, de 528 millions d'euros, d'autre part, les créances « Dailly » à rembourser chaque année jusqu'en 2024 (environ 50 millions d'euros par an). Elle supprime également une dépense, le loyer annuel qui était dû à la société Ecomouv' pour la collecte de la taxe (250 millions d'euros par an).
Mais nous sommes toujours loin du compte. Il ne faut pas oublier que l'AFITF a accumulé, depuis 2013, près de 700 millions d'euros de retards de paiement vis à vis de SNCF Réseau, qui n'ont toujours pas été honorés en cette fin 2015 ! Cette situation anormale génère bien évidemment des frais financiers - plus de 20 millions d'euros aujourd'hui.
Et si l'on se tourne vers l'avenir, la situation est encore plus préoccupante. Dans le projet de loi de finances pour 2016, la part du produit de la TICPE affectée à l'AFITF a été réduite de 400 millions d'euros, passant de 1,139 milliard d'euros à 715 millions d'euros ! Je soutiendrai un amendement de Marie-Hélène des Esgaulx pour restituer l'affectation de 1,139 milliard d'euros à l'AFITF.
Malgré cette réduction, l'agence devrait retrouver un budget d'intervention de l'ordre de 1,9 milliard d'euros, car elle n'aura plus 528 millions d'euros d'indemnité à verser à Ecomouv'. Mais il n'en reste pas moins que cette somme est largement insuffisante pour satisfaire les engagements passés de l'agence. Elle ne pourra prendre de nouveaux engagements qu'en reportant à nouveau le remboursement de ses retards de paiement vis-à-vis de SNCF Réseau.
Or, les nouveaux engagements ne manquent pas, puisque l'agence va devoir payer les loyers des contrats de partenariat signés pour la LGV Bretagne Pays de la Loire, le contournement Nîmes Montpellier, la rocade L2 de Marseille, les contrats de plan État régions 2015-2020, le troisième appel à projets pour les transports collectifs en site propre (TCSP) - si attendu -, sans compter les projets à venir du Canal Seine Nord Europe et de la liaison ferroviaire Lyon Turin... Enfin, il reste encore tous les projets du scénario 2 de la Commission Mobilité 21, sur lequel le Gouvernement, et en particulier le Premier ministre, s'était engagé ! Mais où sont les neiges d'antan et la valeur des engagements pris ?
Cette situation est d'autant plus regrettable que le Gouvernement avait une solution simple pour s'en sortir, et affecter, enfin, un niveau convenable de recettes à l'AFITF : utiliser la TICPE. La baisse d'un centime de la fiscalité sur l'essence qu'il a proposée est démagogique et ne correspond pas à l'engagement de notre pays en faveur de la transition énergétique et de la COP 21. Il n'y avait aucune raison objective de baisser le prix de l'essence, une énergie fossile dont la consommation ne saurait être encouragée. D'après un calcul rapide, cela fait perdre près de 160 millions d'euros, qui auraient pu être affectés à l'AFITF. Mais non, le Gouvernement préfère préserver le caractère erratique du financement des infrastructures de transport !
C'est dommage, car nous avions créé, avec l'AFITF - qui a fêté son dixième anniversaire cette année -, un bel outil financier, permettant l'affectation de recettes stables et prévisibles à des dépenses d'investissements qui s'étalent sur plusieurs années, et dans une perspective de report modal. Je rappelle que l'Agence a engagé 33 milliards d'euros depuis sa création, dont 21 milliards ont déjà été payés, et que deux tiers de ces sommes concernent des transports alternatifs à la route. Je doute que nous serions arrivés au même résultat si cet outil financier n'avait pas existé. Il est particulièrement significatif que l'AFITF commence d'ailleurs à intéresser des pays étrangers : Slovénie, Chine, Allemagne ont rencontré le président de l'agence pour avoir un retour sur ce dispositif.
En ce qui concerne le financement de la politique des transports, je ne suis pas plus rassuré quand je me tourne vers l'échelon local... L'article 4 du projet de loi de finances relève à 11 salariés le seuil de soumission au versement transport, ce qui correspond à un manque à gagner qui se chiffre en centaines de millions d'euros selon le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) pour les autorités organisatrices de transport locales. Il est compensé cette année compensé par un prélèvement sur recettes, mais qu'adviendra-t-il les années suivantes ? On sait que les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent.
J'en viens désormais aux enjeux spécifiques du domaine ferroviaire, qui attend toujours le retour de « l'État stratège », pourtant maintes fois réaffirmé dans la loi de réforme ferroviaire. Mais sur le terrain, on en est encore loin...
Au risque de me répéter, il faut tout de même souligner ce paradoxe d'un État qui reporte au maximum l'échéance d'une ouverture à la concurrence des transports ferroviaires, et obtient gain de cause à Bruxelles dans le cadre des négociations sur le quatrième paquet ferroviaire - la date d'ouverture à la concurrence a été repoussée à 2026 pour les services conventionnés - , tout en décidant d'introduire dès à présent sur son territoire la libéralisation du transport par autocar, sans verrou, qui met frontalement en concurrence, sur son territoire, les modes ferroviaire et routier. Bien entendu, je ne suis pas opposé à cette libéralisation du transport par autocar, mais il me semble logique que dans ce cas, l'on permette aussi au rail de s'adapter, en l'ouvrant à la concurrence.
Sur la modernisation du réseau ferroviaire, on attend aussi plus de vision stratégique. Réseau ferré de France a certes adopté en septembre 2013, à la demande du Gouvernement, un grand plan de modernisation du réseau (GPMR), avec une enveloppe de 15 milliards d'euros sur six ans, pour mettre un frein au vieillissement du réseau, constaté par l'école polytechnique de Lausanne. Mais l'État n'a pas pu s'engager de façon pluriannuelle sur ces crédits, et l'on nous dit aujourd'hui que les montants consacrés à l'entretien du réseau dépendront du contrat signé entre l'État et SNCF Réseau. J'espère donc que l'État fera le nécessaire pour engager les actions annoncées le plus vite possible. Il y va de l'efficacité et de la sécurité de notre réseau.
Autre exemple où l'État peine à s'affirmer : les trains d'équilibre du territoire. Comme vous le savez, la convention signée en 2010 entre l'État et la SNCF n'est pas satisfaisante - l'offre mérite d'être revue, l'architecture financière aussi, la Cour des comptes l'a clairement souligné. Or, le Gouvernement ne cesse de reporter l'échéance d'une reprise en main de ce dossier, comme s'il avait grand peine à exercer son rôle d'autorité organisatrice ! Il aurait en effet pu modifier cette convention dès 2013, mais n'a fait que la prolonger par avenant depuis cette date.
Certes, il a créé l'année dernière une commission à ce sujet, présidée par Philippe Duron. Elle a conclu à la nécessité d'une reprise en main effective de ce dossier par l'État, d'une refonte des dessertes, d'un effort de maîtrise des coûts d'exploitation de la part de l'opérateur et d'une préparation à l'ouverture à la concurrence. Mais la question est loin d'être réglée, puisqu'un préfet, François Philizot, a été missionné pour discuter avec les régions des évolutions de desserte. Celui-ci ne pourra rendre ses conclusions qu'une fois que les nouvelles régions auront été mises en place. Cela ne me choque pas, mais on perd encore quelques mois dans ce dossier, alors qu'il aurait pu être repris en main dès 2013. Et en attendant, ces trains se vident, vieillissent, et coûtent de plus en plus cher...
Le compte d'affectation spéciale qui retrace les recettes et dépenses affectées à ces trains d'équilibre du territoire est doté pour 2016 de 335 millions d'euros, dont 217 millions pour l'exploitation des services, en augmentation de 15% par rapport à l'année dernière, et 118 millions pour la maintenance du matériel roulant.
Pour mémoire, ses recettes proviennent quasi-exclusivement de la SNCF, par le biais de la contribution de solidarité territoriale et de la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires. Et c'est l'augmentation de la contribution de solidarité territoriale qui permet d'absorber l'augmentation des coûts d'exploitation. C'est le chat qui se mord la queue. Seuls 19 millions d'euros sont issus du produit de la taxe d'aménagement du territoire imposée aux sociétés concessionnaires d'autoroutes.
Sur le fret ferroviaire, l'État a mis en place une conférence ministérielle périodique à ce sujet. Je rappelle toutefois qu'il n'assume pas en totalité l'enveloppe qu'il est censé reverser à SNCF Réseau pour prendre en charge une partie des péages fret. Cela représente, pour SNCF Réseau, un manque à gagner de 232 millions d'euros. C'est pour ce motif que l'ARAF a refusé à deux reprises cette année de valider les tarifs des péages fret. Elle ne les a acceptés qu'après avoir obtenu l'engagement de l'État que ses éventuels défauts de paiement pourraient être financés par une fraction du dividende de SNCF Mobilités. Mais, comme l'a souligné le président de l'ARAF lui-même, ce n'est pas du tout l'esprit de la réforme du 4 août 2014, qui était d'utiliser ces dividendes pour désendetter le réseau et non pour répondre aux difficultés budgétaires de l'État.
En outre, les tarifs des péages fret vont augmenter de 6,27 % en 2016, puis 2,4 % en 2017. Ce choc ferroviaire ne pourra pas être absorbé par les entreprises. Il faut rendre la gestion du réseau plus performante.
Enfin, la filière industrielle ferroviaire attend aussi un retour de l'État stratège. Je ne m'attarde pas sur ce point, que j'ai déjà évoqué devant vous, mais je rappelle que c'est tout un vivier d'emplois et de compétences qui est en danger, dans un domaine où la France avait pourtant tiré son épingle du jeu jusqu'à présent. Quel dommage de ne pas préserver cet acquis !
Je termine mon propos par un regret : le report au 1er janvier 2018 de l'entrée en vigueur de la dépénalisation des infractions au stationnement payant. Cette réforme d'envergure porte en elle de belles potentialités pour le développement des politiques de transports collectifs, en donnant enfin aux élus locaux la maîtrise pleine de ce qui doit être perçu comme une véritable politique publique, mais elle a rencontré trop de freins, ce que je regrette vivement.
Comme l'a évoqué le président, nous ne voterons sur ces crédits qu'après avoir entendu le ministre. Mais je doute pour ma part que cette audition change mon analyse de ces crédits, sur lesquels je vous proposerai d'émettre un avis défavorable, si le budget affecté à l'AFITF n'évolue pas favorablement d'ici là et s'il n'est pas fait place à une vision de long terme du financement des infrastructures de transports.