Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 novembre 2015 à 9h00
Loi de finances pour 2016 — Programme 178 « préparation et emploi des forces » - mission « défense » - examen du rapport pour avis

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo, rapporteur pour avis :

Je voudrais insister sur trois points : la question de l'externalisation du MCO, le coût réel du MCO en opérations extérieures (OPEX), et l'articulation entre le soutien à l'exportation (SOUTEX) et le financement du MCO. Enfin, je vous dirai un mot du service de santé des armées puisque je sais que cette question intéresse la commission qui en avril dernier s'est rendue au Val-de-Grâce.

S'agissant de l'externalisation, et sans empiéter sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense », je souhaite souligner certains faits. Près de 5 milliards d'euros sont consacrés au MCO, dont 2 milliards de masse salariale pour les personnels du ministère, militaires et civils, chargés de ses fonctions, et 3 milliards qui vont à l'entretien programmé du matériel (EPM). Ce type « d'externalisation » qu'est l'EPM est assez captif : les industriels font ce qu'ils savent, veulent et peuvent faire. Or au cours des auditions que nous avons eues pour préparer notre rapport, la qualité de l'EPM, notamment lorsqu'il est réalisé hors de France, semble poser des questions, a minima de délai. J'ajouterai que la projection sur les théâtres d'opérations des personnels civils, n'appartenant pas au ministère de la défense, chargés d'EPM, n'est pas évidente. Enfin, la qualité de certaines prestations, selon ce qui nous a été rapporté, n'est pas toujours pleinement satisfaisante. Il me semble donc indispensable de veiller à garder, en interne, au ministère de la défense, les compétences permettant d'entretenir les équipements dont la durée de vie est souvent plus longue que ce que le modèle industriel prévoit. Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, je souligne que lors de ces auditions, l'engagement et le dévouement des industriels partenaires du ministère ont été salués.

Ceci m'amène à ma deuxième réflexion : le coût en ressources humaines et en matériel des OPEX me semble sous-évalué. Les modèles industriels de MCO s'avèrent parfois erronés une fois les matériels projetés sur les théâtres. Nos interlocuteurs au niveau central, les acteurs du maintien en condition opérationnelle à Mérignac, mais aussi les utilisateurs des équipements, pilotes et mécaniciens, nous ont tous confirmés que les modèles en aéronautique enregistraient un déficit de 20 % à 25 % d'hommes. Il faut presque un quart de personnel en plus de ce qui était prévu pour assurer le MCO. Une heure de vol de certains aéronefs devait se traduire par 12 heures de maintenance, c'est en fait 25 heures de maintenance qui sont nécessaires. Dernier exemple, pour trois avions de combat projetés, cinq moteurs sont mobilisés dans les circuits logistiques. Ceci pose un réel problème auquel s'ajoutent la suractivité et la surintensité. La suractivité concerne les matériels qui voient leur activité croître du fait des besoins opérationnels liés aux OPEX. Ainsi, le Caracal a dépassé les prévisions d'activité de 15 %, le M2000C a volé près de 11 % de plus que prévu. A cela s'ajoute la surintensité de l'utilisation des matériels en OPEX qui oblige à la mise en oeuvres de traitements préventifs de la corrosion pour le mirage 2000, à de longues opérations de remise en état post OPEX pour les Tigre engagés dans la bande sahélo-saharienne, enfin, le nombre de lots d'autonomie de l'ATL2 a dû être augmenté. Nos actions sur tous les théâtres d'opérations le prouvent, les acteurs ont su s'adapter, mais il me semble que nous approchons des limites du raisonnable.

C'est en suivant ce raisonnement que j'en suis arrivé à la conclusion que nous devrions être très attentifs au retour attendu des opérations dites de soutien à l'exportation (SOUTEX) réalisées par nos armées. L'exportation de nos armements était une condition sine qua non pour maintenir en activité la chaîne de production du Rafale à son minimum de 11 appareils par an, sans que le ministère de la défense n'ait à acquérir 40 appareils en plus des 26 prévus par la LPM. L'armée de l'air contribue à la réussite de ces exportations, comme la marine nationale et l'armée de terre. Le montant des commandes annuelles d'armement français est passé de 5,1 milliards d'euros en 2010, à 6,9 milliards d'euros en 2013, 8,2 milliards d'euros en 2014 et 15 milliards d'euros en 2015.

Le décret de 1983 qui organise le SOUTEX prévoit que les industriels remboursent la participation des militaires. Les dépenses courantes, c'est-à-dire les soldes et les frais d'amortissement du matériel, ne font pas partie des dépenses remboursables, les dépenses supplémentaires sont quant à elles remboursées. Mais elles ne comprennent pas les frais supplémentaires de MCO des matériels vieillissants, utilisés plus longtemps pour permettre à l'industriel de prendre à nos armées les frégates ou les Rafale qu'il n'a pas encore produits et qu'il exporte ainsi. J'aimerais que cette question soit approfondie et que soit évalué ce que j'appellerai « le retour sur MCO » des exportations d'armement. Les frais fixes de la chaîne de production que supporte l'armée devraient être réduits du fait des exportations, mais aussi les frais de maintien en condition opérationnelle. Et cette vision n'est pas complète si l'on n'ajoute pas également le « coût de possession » des matériels remplaçant les livraisons des matériels attendus et finalement exportés.

Enfin, mes chers collègues, je voulais attirer votre attention sur la prochaine adoption par le ministre de la défense du nouveau modèle d'organisation du Service de santé des armées (SSA), découlant de son projet « SSA 2020 ». La réforme engagée me semble très bien menée. Elle resserre la définition de la mission du service sur cette phrase : « Apporter à tout militaire soumis à un risque lié à son engagement opérationnel un soutien santé lui garantissant la prévention la plus efficace et la meilleure qualité de prise en charge en cas de blessure ou de maladie, préservant ainsi ses chances de survie et le cas échéant de moindres séquelles physiques ou psychiques ». Le SSA tire toutes les conséquences de cette redéfinition de sa mission, dont la première et la plus importante est la restructuration de la fonction hospitalière en deux plates-formes comprenant quatre hôpitaux : Bégin à Saint-Mandé et Percy à Clamart, Laveran à Marseille et Sainte-Anne à Toulon. Le Val-de-Grâce est fermé pour sa partie hospitalière. Le sort des quatre hôpitaux restants, situés à Brest, Metz, Bordeaux et Lyon, n'est pas encore définitivement réglé. Ces hôpitaux, hors plate-forme, seront, à moyen terme, soit insérés dans le secteur public hospitalier, en tant que fonction hospitalière militaire, l'hôpital public accueillant une équipe militaire, soit insérés dans des regroupements hospitaliers de territoire, dans lesquels des structures hospitalières militaires et des structures hospitalières civiles seraient rassemblées. Il nous appartiendra de suivre avec attention ces évolutions.

Si nous nous réjouissons de la montée en puissance de la force opérationnelle terrestre (FOT) décidée dans le cadre de l'actualisation de la LPM, il est certain qu'elle alourdit la charge de travail pesant sur le SSA. Il nous faut donc être particulièrement vigilant dans les prochaines années à ce que la déflation d'effectifs prévue par la LPM, c'est-à-dire 2 000 emplois sur les 16 000 que compte le SSA, soit compatible avec l'alourdissement de sa mission.

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