Intervention de Delphine Ernotte-Cunci

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 4 novembre 2015 à 14h20
Audition de Mme Delphine Ernotte-cunci présidente de france télévisions

Delphine Ernotte-Cunci, présidente de France Télévisions :

C'est pour moi un honneur de pouvoir intervenir devant votre commission qui s'intéresse depuis longtemps à l'audiovisuel public. Je pense au rapport de 2009 sur les comptes de France Télévisions, réalisé par vous-même, madame la présidente, au rapport de 2010 sur la BBC et au rapport de M. Jean-Pierre Plancade de 2013 sur la production audiovisuelle. Dernièrement, le rapport des sénateurs Jean-Pierre Leleux et André Gattolin a apporté des éclairages nouveaux à travers une vision systémique. Comme les deux rapporteurs, je considère que le modèle économique de l'audiovisuel public est aujourd'hui « à bout de souffle » et qu'il risque d'être condamné du fait, en particulier, de la concurrence liée à la mondialisation et de la multiplication des supports. C'est une menace pour l'ensemble du secteur. Le rôle de France Télévisions dans ce contexte dépasse le périmètre de l'entreprise puisque 100 000 emplois environ dans le secteur de la production dépendent de nos investissements. Un « new deal » de l'audiovisuel français est nécessaire, qui ne peut consister en un nouvel épisode de l'opposition entre les diffuseurs et les producteurs.

La première priorité doit consister à refonder le secteur de la création. On a tous les talents en France pour tenir une place de choix. Une évolution de la réglementation est devenue indispensable pour raffermir le secteur. Nous avons engagé une concertation avec les acteurs afin de rechercher une nouvelle alliance qui doit reposer sur une nouvelle répartition des droits. Nos échanges constructifs sont aujourd'hui percutés par l'annonce du rachat de Newen par TF1. France Télévisions ne prône pas une intégration verticale entre les diffuseurs et les producteurs sur le modèle de la société française de production (SFP). Les chaînes du groupe sont diverses, comme leurs programmes et nous avons besoin d'un tissu de producteurs. Il ne faut pas passer d'une séparation stricte à une intégration, mais il faut rechercher un équilibre nouveau. France Télévisions doit prendre la mesure de son nouveau rôle, qui consiste à éditer des programmes qui doivent pouvoir être visionnés sur tous les supports et exposés sur les sites des chaînes du groupe. Il faut revoir la distinction entre production dépendante et indépendante. Qu'est-ce que signifie le fait d'être un producteur indépendant si la société est détenue à plus de 70 % par TF1 ? On ne peut pas privatiser les recettes issues des succès réalisés ensemble. La série « Plus belle la vie », par exemple, a été lancée à l'initiative de Rémy Pflimlin lorsqu'il dirigeait France 3. Les audiences de ce programme étaient faibles à son début et il a fallu six mois pour que le succès intervienne et je souhaite rendre hommage au courage de Rémy Pflimlin qui a persévéré. Il est difficile de penser que ce programme, financé et créé en partie par France Télévisions, appartienne en totalité à Newen. Un nouvel équilibre doit être recherché, qui peut prendre différentes voies comme la coproduction, la copropriété des marques, voire la copropriété du format lui-même. Les règles ne peuvent être différentes entre secteur privé, qui bénéficie d'une part dépendante plus importante, et service public.

Mieux exposer les oeuvres constitue la deuxième priorité, notamment à travers la télévision de rattrapage. Le rattrapage est aujourd'hui très utilisé mais le régime d'exposition des oeuvres continue à reposer sur un statut dérogatoire.

Je propose trois axes d'évolution pour aller au-delà.

En premier lieu, il faut renforcer l'identité des chaînes car 60 % des téléspectateurs continueront à regarder les programmes en linéaire. Les territoires de France 2 et France 3 ne sont pas encore tout à fait définis, il faut que chaque chaîne puisse avoir une dynamique propre. France 2 doit être la chaîne « leader », le lieu de l'événement, du sursaut créatif et de l'innovation dans la fiction. France 3 doit disposer d'une nouvelle ligne éditoriale. France 4 bénéficie d'un positionnement entièrement tourné vers la jeunesse dans la journée et vers la famille en soirée, afin que les parents aient pleinement confiance sur l'adaptation des programmes à un jeune public quel que soit le moment de la journée. Le positionnement de France Ô a beaucoup hésité entre l'outre-mer et la diversité. Il faut repenser France Ô comme une chaîne des outre-mer.

Le deuxième axe doit consister à renforcer les événements. Il faut persévérer dans le sport et continuer dans la culture et les spectacles vivants. Lorsque l'actualité est marquée par un événement dramatique, il faut être capable de davantage interrompre les programmes.

Le troisième axe concerne la mise à disposition des contenus au-delà de sept jours. France Télévisions travaille sur une plateforme de VOD ou SVOD de contenus français. Sinon, nous risquons d'être inondés de contenus mondialisés, peut-être formatés, qui ne répondent pas à notre culture. Il n'y a pas de raison par ailleurs de laisser 30 % de revenus à une société comme Netflix.

Une modernisation du service public de l'audiovisuel est nécessaire, qui doit passer par une gestion plus rigoureuse de la dépense publique. L'entreprise a déjà réalisé des plans d'économies successifs, ainsi que des plans de départ à la retraite. Un plan de départs volontaires est aujourd'hui en cours.

Le problème est structurel car le groupe France Télévisions bénéficie de recettes stables en euros courants alors que ses charges augmentent. Cet « effet de ciseau » a été bien mis en évidence par le rapport de Marc Schwartz. L'Assemblée nationale a voté un amendement décisif en première partie du projet de loi de finances pour 2016, qui prévoit une hausse des ressources de 25 millions d'euros pour France Télévisions. Compte tenu de ces moyens supplémentaires, je m'engage à ce que les comptes de l'entreprise reviennent à l'équilibre en 2016, grâce à une réduction des charges de 25 millions liés à la baisse du coût des grilles et à la réalisation du plan de départs volontaires. Il ne s'agit pas d'économies structurelles. Celles-ci devront être mises en oeuvre après 2016 et ne pourront pas reposer que sur les salariés. France Télévisions doit aussi renforcer sa transparence.

Je crois à une réforme de la contribution à l'audiovisuel public « à l'allemande » à travers une fiscalisation. Je suis attachée à un financement mixte de France Télévisions. Si demain l'entreprise devenait copropriétaire des droits sur les programmes, cela constituerait une nouvelle source de revenus mais il n'est pas sûr que ces ressources pourront compenser la baisse des recettes de la publicité, ce qui pose, en tout état de cause, un problème de calendrier.

Je crois aux synergies avec les sociétés soeurs. Je sais que vous avez proposé la création de « France Médias ». Il m'incombe de faire en sorte que l'argent public soit utilisé le mieux possible. Concernant le chantier de la chaîne d'information en continu, une association est prévue avec Radio France, France Medias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel (INA). Pour ce qui est de la plateforme SVOD, une association avec l'INA, qui a développé sa propre plateforme n'est pas exclue. Il existe une volonté commune, sans attendre une éventuelle fusion.

Nous devons travailler sur un nouveau modèle économique, c'est la clef de voûte pour permettre le financement de nouveaux programmes. France Télévisions doit être fort face aux nouveaux acteurs, ce qui passe par une co-détention des droits sur la production audiovisuelle.

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