Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Commission des affaires sociales — Réunion du 4 novembre 2015 à 9h00
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 — Examen du rapport

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général :

Nos interventions portent sur des sujets arides pour certains, plus familiers pour d'autres, mais nous avons essayé de rendre nos propos aussi clairs et simples que possible.

Dans la crise des finances publiques que connaît notre pays, les finances sociales sont un enjeu majeur, d'abord en raison du volume des dépenses : 575 milliards d'euros en 2014 pour les administrations de sécurité sociale : sécurité sociale, Cades, Unedic, hôpitaux, retraites complémentaires. L'an dernier, celles-ci ont contribué à établir un nouveau record en matière de prélèvements obligatoires -44,9 % du PIB- alors que ceux de l'État étaient en repli. Surtout, la persistance des déficits sociaux n'est ni justifiable économiquement ni légitime socialement : ce sont des dépenses courantes, à la charge des Français de demain.

Fin 2015, la dette des administrations de sécurité sociale devrait atteindre 220 milliards d'euros. La dette portée par la Cades recule de 2,9 milliards mais celle de l'Unedic progresse de 4,2 milliards d'euros, celle des hôpitaux persiste et, chaque année, les régimes de retraite complémentaires puisent dans leurs réserves pour financer leur déficit. En 2016, les administrations de sécurité sociale devraient retrouver l'équilibre, avec un excédent de 1,3 milliard d'euros, contre un déficit de 6,2 milliards en 2015. Ce chiffre comprend toutefois les contributions positives de la Cades et du Fonds de réserve des retraites, sans lesquelles le déficit atteint 14,7 milliards d'euros ; 5 milliards d'euros de dépenses auront été transférés à l'État au titre de la compensation du pacte de responsabilité, ce qui augmente le déficit de l'État. Le message a été abondamment repris dans la presse : les comptes s'améliorent. J'en ai donné acte aux ministres lors de la commission des comptes. Mais les résultats sont faibles au regard de l'effort en recettes.

Sur la période 2012-2014, les prélèvements obligatoires ont augmenté de 0,8 point de PIB et le déficit n'a été réduit que de 0,3 point de PIB, soit moins de 5 milliards d'euros. Durant la crise, tous les pays européens ont d'abord accru leurs dépenses sociales, avant de les réduire. La France a non seulement préservé son système social mais l'a développé, accroissant fortement son niveau de dépenses : 1 milliard d'euros par an, par exemple, pour le seul dispositif carrières longues en matière de retraite. En 2015 s'amorce un changement d'orientation mais les dépenses, déjà dynamiques par nature, sont parvenues à un niveau très élevé. Les dépenses ralentissent et n'augmentent que de 1,1 %, après 2,3 % en 2014, en raison de mesures restrictives sur les prestations : elles se contractent de 1 % sur la branche famille en raison de la modulation des allocations familiales et de la réforme de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), tandis que les effets de la réforme des retraites de 2010, réduits par le dispositif carrières longues, se font néanmoins sentir.

Mais le déficit de la branche maladie se maintient à un niveau particulièrement élevé. Selon la ministre, ses réformes en matière de santé se font sans franchise ni déremboursement. Nous constatons donc que les déficits ne se réduisent que là où les assurés ont supporté un effort bien réel : prestations familiales, retraites. Vous en tirerez les conclusions qui s'imposent... Les recettes décélèrent pour augmenter de 1,1 % contre 2,6 % en 2014, grâce au pacte de responsabilité. Les cotisations restent dynamiques en raison de l'augmentation des cotisations de retraite de base et complémentaire, qui forment l'essentiel des recettes nouvelles : 2 milliards d'euros.

Pour 2016, le ralentissement se poursuit : la dépense progresserait de 0,5 %, avec le transfert des allocations de logement familiales, et les recettes augmenteraient de 0,3 %. Vous connaissez les principales mesures : modération des pensions, 1 milliard d'euros sur les retraites complémentaires, économies attendues sur l'assurance-chômage, Ondam à 1,75 % contre 2 % en 2015, qui continue de progresser mais moins que l'évolution tendancielle de 3,6 %. Reste à réaliser un volume d'économies équivalent de 3,4 milliards d'euros en 2016.

En recettes, l'année 2016 est marquée par la deuxième étape du pacte de responsabilité pour plus de 4 milliards d'euros.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale a un périmètre plus restreint : 480 milliards d'euros, contre 570 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations de sécurité sociale. Ce n'est pas un budget de la sécurité sociale : nous approuvons des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses pour l'année à venir, sans que cette approbation vaille autorisation des dépenses. C'est à la fois une loi de règlement de la sécurité sociale pour 2014 ; un collectif, avec une amélioration du solde de 800 millions d'euros par rapport aux prévisions ; et une loi de financement pour l'année à venir.

En 2016, le déficit de l'ensemble régime général et Fonds de solidarité vieillesse (FSV) serait de 9,7 milliards d'euros. Tous régimes confondus, l'excédent de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) se consolide à 600 millions d'euros, le déficit de la branche famille se réduit à 800 millions d'euros, celui de l'ensemble vieillesse et FSV à 2,8 milliards d'euros tandis que celui de la branche maladie reste très élevé, à 6,2 milliards d'euros. Ces prévisions se fondent sur des hypothèses macro-économiques jugées atteignables par le Haut Conseil des finances publiques : une croissance de 1,5 %, une inflation de 1 % mais une évolution de la masse salariale de 2,8 %, contre 1,7 % en 2015, qui table sur la reprise de l'emploi. Elles se fondent aussi sur des économies restant à confirmer. L'objectif fixé pour la négociation Unedic qui s'ouvre au premier semestre est clair : économiser 800 millions d'euros dès 2016.

Je distinguerais trois mesures. Le projet porte sur la deuxième étape du pacte de responsabilité, pour un montant de 4,1 milliards d'euros de baisse des prélèvements sur les entreprises, après 5,3 milliards d'euros l'an dernier. La baisse d'1 milliard de la contribution sociale de solidarité (C3S) s'applique au 1er janvier et la réduction de la cotisation famille au 1er avril. Avec cette réduction de la cotisation famille - payée par les entreprises -, 90 % des salariés font l'objet de mesures d'allègements et de réduction de cotisations. Les allègements changent de nature : il ne s'agit plus seulement de soutenir l'emploi mais de financer autrement la protection sociale en pesant moins sur les salaires. Nous demandions de longue date cette mesure, objet d'un large consensus. Cette évolution est mesurée. Les cotisations sociales représenteront toujours 55 % des recettes en 2016. On peut regretter que la réduction de cotisations famille n'intervienne qu'à compter du 1er avril alors qu'elle avait été annoncée au 1er janvier. Le Gouvernement a fait valoir les mesures supplémentaires prises en faveur des entreprises -plus d' 1 milliard d'euros au titre du suramortissement et de la loi croissance et activité : forfait social, Plan d'épargne pour la retraite collectif (Perco)... - même si elles n'ont pas été présentées comme alternatives au pacte de responsabilité. Pour financer ce milliard supplémentaire, faut-il augmenter les prélèvements, que la mesure à financer vise à réduire, ou réduire les dépenses et, dans ce cas, lesquelles ? Je ne vous proposerai pas d'amendement sur ce calendrier des allègements.

Les redéploiements de recettes - la tuyauterie classique du PLFSS - prennent cette année une ampleur particulière. Le Gouvernement propose une solution pour se mettre en conformité avec l'arrêt de Ruyter de la Cour de justice de l'Union européenne : un ressortissant néerlandais, résident fiscal en France mais affilié à la sécurité sociale aux Pays-Bas, contestait le paiement des prélèvements sociaux français sur des revenus du capital d'origine néerlandaise. Selon la Cour de justice, ces prélèvements présentaient un lien direct et pertinent avec le financement de la sécurité sociale, alors que M. de Ruyter n'était pas affilié à la sécurité française et n'avait donc pas, selon la Cour, à y être soumis. Les prélèvements sociaux sur les revenus du capital - CSG, CRDS, prélèvement de solidarité, contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) - dont la Cour des comptes réclamait la fusion, ont la même assiette et représentent un rendement de 18 milliards d'euros. Le produit des prélèvements sur les non-affiliés représenterait entre 250 et 300 millions d'euros. Pour se mettre en conformité avec l'arrêt de la Cour de justice, le Gouvernement a affecté le produit de ces prélèvements au FSV au titre des prestations non-contributives, à la Cades et à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Cette solution me paraît fragile, la Cour excluant une affectation à la sécurité sociale ou à l'apurement de sa dette ; en outre, dans le règlement communautaire de 1971, la distinction entre prestations contributives et non-contributives n'est pas si claire. J'aurais préféré que ces recettes soient affectées à l'État mais une telle solution se heurte à l'article 40... C'est pourquoi je ne vous ai proposé à l'article 15 du projet de loi que des modifications plus ponctuelles.

L'article 17 anticipe le calendrier de transfert de dette de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à la Cades. Cette mesure de bonne gestion laisse entière la question du stock de dette que les déficits alimentent chaque année : d'ici à la fin de la période couverte par la programmation, une dette de plus de 30 milliards d'euros sera reconstituée à l'Acoss. La décision, douloureuse, devra être prise en 2017 : reporter la dette sur les générations futures ou augmenter la CRDS pour l'amortir ?

L'annexe B du projet de loi sur la programmation pluriannuelle ne comporte que très peu d'éléments au-delà de 2016 et rien sur l'Ondam, ce qui n'est pas conforme aux dispositions organiques. Un retour à l'équilibre différé est prévu après 2019, malgré des hypothèses d'évolution de la masse salariale comparables à celle d'avant la crise, de l'ordre de 3,1 % en 2017, 3,7 % en 2018, 3,8 % en 2019.

Je vous propose d'adopter la première partie et la deuxième partie relative aux comptes 2014 et 2015, sans pour autant approuver la politique menée. Il s'agit d'un exercice clos et dûment certifié, et de l'exercice en cours, presque achevé. En revanche, nous ne pouvons pas adopter les équilibres généraux 2016, non pas tant en raison du contenu de ce texte - juxtaposition de mesures assez techniques dont plusieurs vont d'ailleurs dans le bon sens - mais plutôt faute d'y trouver des mesures fortes, notamment sur l'assurance maladie et la vieillesse, propres à ramener l'équilibre à court terme et à consolider, dans la durée, une solidarité qui doit se réformer. De même pour les amendements : pas de nouveau prélèvement mais pas de pertes de recettes supplémentaires qui creuseraient encore le déficit. Je recommande à la commission un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi ainsi amendé.

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