Intervention de Caroline Cayeux

Commission des affaires sociales — Réunion du 4 novembre 2015 à 9h00
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 — Examen du rapport

Photo de Caroline CayeuxCaroline Cayeux, rapporteure pour la branche famille :

La réduction du déficit de la sécurité sociale se retrouve dans les comptes de la branche famille. Son déficit devrait s'établir à 1,6 milliard d'euros en 2015, soit 700 millions de mieux que l'objectif initial ; le projet de loi de financement prévoit qu'il serait ramené à 800 millions d'euros en 2016, soit près de 2 milliards d'euros de moindre déficit en deux ans. On ne peut que se réjouir de cette trajectoire, le retour à l'équilibre de la branche famille, désormais prévu à l'horizon 2018, étant une condition de la pérennité de la politique familiale.

Le creusement du déficit de la branche famille avait été largement lié à une conjoncture économique exceptionnelle. Si le retour annoncé de la croissance se fait attendre, la faiblesse de l'inflation et, à titre marginal, un ralentissement de la natalité, freinent l'évolution spontanée des charges de la branche. Mais ces facteurs conjoncturels n'expliquent qu'une part du recul de son déficit, qui résulte surtout d'une action sur les dépenses. Le Gouvernement a ainsi décalé le versement de la prime à la naissance du septième mois de grossesse au deuxième mois après la naissance. Outre qu'il existe un doute sur la légalité de cette mesure, cette économie est très artificielle puisque les 200 millions d'euros non dépensés en 2015 sont reportés sur 2016. Par ailleurs, la loi de financement pour 2015 a décidé la modulation des allocations familiales, effective depuis le 1er juillet dernier, qui a représenté une économie d'environ 400 millions d'euros au second semestre, mesure à laquelle le Sénat s'était fermement opposé. Ces deux mesures expliquent une large part de la réduction du déficit de la branche entre 2014 et 2015 ainsi que l'essentiel de la baisse tendancielle prévue en 2016, puisque le déficit se réduirait spontanément de 400 millions d'euros - soit l'équivalent de l'économie liée à la montée en charge, en année pleine, de la modulation des allocations familiales. C'est pourquoi je vous proposerai de ne pas accepter l'objectif de dépenses prévu par le projet de loi.

Les mesures du volet famille du projet de loi de financement, dont l'ampleur est limitée, n'auront pas d'impact significatif sur le solde de la branche. La modification des modalités de revalorisation annuelle des prestations sociales entraînera toutefois une moindre dépense ponctuelle de 400 millions d'euros pour l'année 2016, dont 200 millions d'euros pour la branche famille. Cette mesure explique la moitié de la différence entre le solde qu'atteindrait spontanément la branche -un déficit de 1,2 milliard- et la cible retenue de 0,8 milliard. L'autre moitié résulte d'une vaste réaffectation de recettes fiscales entre les différentes branches, sans correspondre à des mesures d'économies. Les allègements de cotisations sur les bas salaires prévus par le pacte de compétitivité n'entreront finalement en vigueur qu'au 1er avril 2016. La perte de recettes pour la branche sera donc plus élevée d'environ 1 milliard d'euros en année pleine à partir de 2017, et de nouvelles recettes devront être trouvées si la trajectoire de retour à l'équilibre doit être respectée.

Bref, si le déficit de la branche devrait se réduire de 2 milliards d'euros en deux ans, c'est principalement sous l'effet de la baisse notable des prestations servies aux familles et de mesures de tuyauterie et de trésorerie qui ne représentent pas d'économies réelles.

Sur l'année 2016, l'impact des mesures d'économie sociales et fiscales prises depuis 2012 représenteront, selon le Gouvernement, plus de 1,8 milliard d'euros. Alors que la politique familiale repose sur la solidarité entre les personnes sans enfants et les familles, seules ces dernières ont été mises à contribution. Si certaines mesures viennent en aide aux familles les plus modestes, ces augmentations ciblées de prestations sont sans commune mesure avec les économies réalisées : la politique familiale devient certes plus redistributive, mais sous l'effet d'une restriction de l'effort global en faveur des familles.

La modulation des allocations familiales, seules prestations réellement universelles, modifie radicalement la nature de la politique familiale conçue en France il y a exactement 70 ans. Alors que cette politique a pour but de compenser la charge représentée par l'éducation d'un enfant - chaque enfant devant bénéficier de la même aide de la part de la Nation - la politique familiale devient une politique de soutien aux revenus, les prestations familiales s'ajoutant aux minimas sociaux. Cette évolution n'est pas assumée et n'a fait l'objet d'aucune concertation. Elle est rejetée par l'ensemble des associations familiales, qui ont exprimé leur attachement à l'universalité de la politique familiale.

Guidée par des considérations purement financières, cette évolution est inquiétante. Si la politique familiale ne consiste qu'en une politique de soutien aux revenus les plus modestes et que les enfants des familles des classes moyennes ou plus aisées n'ont pas vocation à bénéficier de prestations sociales, qu'est-ce qui s'opposera, demain, à une modulation des remboursements de soins par l'assurance maladie ? Ne pourrait-on étendre cette logique aux services publics et remettre en cause leur gratuité ? Ces évolutions semblent impensables à court terme, mais il y a un an, le Gouvernement excluait toute remise en cause de l'universalité des allocations familiales...

En accentuant la distinction entre ceux qui, par l'impôt et par les cotisations, participent à la solidarité nationale et reçoivent de moins en moins en retour et ceux qui, à l'inverse, bénéficient des prestations en raison de leurs difficultés socio-économiques, on risque de voir se déliter l'adhésion de nos concitoyens à notre modèle social.

En 2016, les mesures prévues par le projet de loi de financement n'ont pas d'effet significatif sur le solde et pourront être adoptées sans grande difficulté. Je salue toutefois la généralisation du dispositif de garantie contre les impayés de pensions alimentaires (Gipa), mis en place à titre expérimental par la loi du 4 août 2014, qui aidera les parents isolés -des femmes dans la plupart des cas- particulièrement exposés à la précarité voire à la pauvreté.

Le Gouvernement a fait de l'accueil des jeunes enfants un axe important de sa politique en faveur des familles, en fixant des objectifs ambitieux de création de places d'accueil individuel et collectif et de progression de la scolarisation à 2 ans. En 2013 et 2014, le taux de réalisation n'atteint que 19 % des objectifs fixés. Le nombre de solutions d'accueil individuel a même régressé de plus de 8 000 places en deux ans alors qu'il était censé progresser de 40 000 places. Compte tenu de la situation financière des communes et de la ponction réalisée sur le fonds national d'action sociale, comment le retard accumulé pourra-t-il être rattrapé ? Or l'accueil des jeunes enfants représente un enjeu majeur pour les familles et notamment pour l'insertion professionnelle des femmes. Il faut faire de réels efforts.

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