La branche vieillesse ne sera pas en équilibre en 2016, c'est un équilibre de façade qui nous est présenté. En incluant le déficit du FSV, le déficit de la branche devrait atteindre 2,8 milliards d'euros, certes en recul par rapport aux 5,5 milliards d'euros de déficit de 2014 ou aux 4 milliards d'euros de déficit de 2015. Seuls les régimes de base dégageront en 2016 un excédent de 900 millions d'euros, une première depuis onze ans, bonne nouvelle que j'ai saluée lors de l'audition de la ministre.
Cet équilibre résulte d'une conjoncture rare : les recettes, qui atteindront 228,7 milliards d'euros en 2016, sont plus dynamiques que les dépenses qui s'élèveront à 227,8 milliards, résultat de l'effet conjugué des réformes de 2012-2014 sur les recettes et surtout de la réforme de 2010 sur les dépenses.
La hausse des taux de cotisation patronal et salarial d'assurance vieillesse, décidée par le décret du 2 juillet 2012 et la loi du 20 janvier 2014, dégagera un surplus de recettes de 2 milliards d'euros en 2016. Le taux de cotisation vieillesse, qui sera porté à 17,75% en 2017 contre 16,65% en 2012, pèse cependant sur les salaires, au détriment de notre compétitivité.
La moindre dynamique des dépenses repose sur la faiblesse conjoncturelle de l'inflation, sur laquelle sont indexées les pensions depuis 1993, et surtout sur la réforme de 2010 qui a reporté l'âge légal de départ à 62 ans, décalant l'âge effectif moyen de départ à la retraite de 18 mois en moyenne pour les générations nées après 1960, selon une étude récente de la Drees. En 2016, la réforme de 2010 dégagerait une économie de 5,1 milliards d'euros, d'après la commission des comptes de la sécurité sociale. Las, le Gouvernement a décidé, au lendemain des élections de 2012, de considérablement élargir le dispositif des carrières longues, ce qui atténue très fortement ce résultat. En 2016, 184 000 départs anticipés devraient être enregistrés au lieu des 100 000 départs qui l'auraient été sous la législation de 2010, pour un surcoût de 1 milliard d'euros sur les 3 milliards que coûtera le dispositif.
On pourrait se réjouir de l'équilibre annoncée par la ministre, s'il n'était de façade : le déficit du FSV se maintient à un niveau très élevé, le chômage de masse persistant. Apparu au coeur de la crise en 2009 et s'élevant à 3,2 milliards d'euros, ce déficit n'a jamais diminué depuis, fluctuant entre 3 et 4 milliards d'euros chaque année. Il s'est aggravé en 2015 (3,8 milliards d'euros) et restera à 3,7 milliards en 2016.
Selon les prévisions triennales d'évolution, le solde des régimes de base devrait redevenir négatif dès 2019. Et ce n'est pas l'allongement de la durée de cotisation, de 41,5 à 43 annuités à partir de 2035, prévu par la loi de 2014, qui devrait modifier cette tendance à court terme : elle ne produira des effets positifs qu'à partir de 2035 ou 2040. La branche vieillesse est donc en déséquilibre, certes en retrait, mais persistant. Je souhaite toujours que les comptes du FSV ne soient plus présentés à part mais directement intégrés aux comptes de l'assurance vieillesse. Ils gagneraient en clarté et donc en sincérité. Au nom de cette sincérité, je vous inviterai à rejeter les articles présentant les objectifs de dépenses de la branche vieillesse (article 36) et du FSV (article 56), qui devraient être confondus.
Tant le législateur pour les régimes de base que les partenaires sociaux pour les régimes complémentaires doivent prendre des mesures courageuses. Avec le projet d'accord sur l'Agirc-Arrco, les partenaires sociaux sont sur la bonne voie. Les réserves financières des deux régimes étant menacées, ils ont pris des mesures dites paramétriques applicables dès 2016 : poursuite de la sous-indexation des pensions, hausse du prix d'achat du point Agirc-Arrco, extension de la cotisation pour l'Association de gestion du fonds de financement des retraites complémentaires avant 65 ans... Ils ont engagé des réformes structurelles qui entreront en vigueur à partir de 2019 et devraient porter leurs fruits à plus long terme, comme la mise en place d'un nouveau régime unifié, qui devrait atteindre l'objectif de 300 millions d'économies de gestion par an et qui reposera sur un pilotage rénové.
Les partenaires sociaux ont surtout élaboré un astucieux dispositif de coefficients temporaires permettant une décote ou une surcote du montant de retraite complémentaire en fonction d'un nouvel âge pivot de départ à la retraite, correspondant à l'âge du taux plein du régime de base augmenté d'un an. Ce dispositif incitera les salariés du secteur privé à retarder d'un an leur départ à la retraite par rapport à l'âge auquel ils auraient pu prétendre au taux plein afin de bénéficier d'une retraite complémentaire complète. Les 30 % de salariés non assujettis à la CSG devraient en être exonérés. La décote sur la retraite complémentaire en cas de départ l'année d'obtention du taux plein entrainerait une perte de 40 à 50 euros par mois pendant les trois premières années. Ce mécanisme, allié à la remontée progressive de la durée de cotisation, repoussera de facto l'âge de départ à la retraite des salariés du privé à 63 ans.
L'accord réintroduira donc une disparité entre le secteur privé et le secteur public : les fonctionnaires, couverts par des régimes uniques versant des pensions de base et complémentaires, pourront continuer à partir dès 62 ans tout en bénéficiant d'une retraite complète. Cette nouvelle inégalité va à l'encontre de la réforme de 2003 qui avait aligné les régimes des fonctionnaires sur les régimes salariés. C'est inacceptable. Puisque le Gouvernement ne tire aucune conséquence de cette perspective d'accord, je vous propose un amendement qui reporte l'âge légal de départ à la retraite d'un an, pour le porter à 63 ans à compter du 1er janvier 2019 et pour les générations nées après le 1er janvier 1957. Il maintient l'âge d'annulation de la décote à 67 ans. Selon les statistiques du régime général, le flux de personnes liquidant leur retraite à 67 ans est faible -moins de 10 %- et ne concerne que des petites pensions bénéficiant à des personnes aux carrières incomplètes. La règle imposant un écart de cinq ans entre l'âge légal et l'âge du taux plein n'est pas intangible : elle avait été fixée lors de l'abaissement de l'âge légal de 65 à 60 ans.
L'impact de cette mesure sur la génération née en 1957 pourrait être amoindri pour les salariés bénéficiant de points acquis au titre de la pénibilité. Un travailleur exposé à plus d'un des quatre facteurs de pénibilité entrés en vigueur depuis le 1er janvier 2015 pourrait avoir cumulé au 1er janvier 2019 suffisamment de points pour avancer son départ de trois trimestres, et ne travaillerait que trois mois de plus si mon amendement était adopté. Je me félicite de la simplification de la mise en oeuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité, que j'ai évoquée avec Michel de Virville.
Mon amendement ne prétend pas résoudre la question du financement des retraites sur le moyen et le long terme, qui figurera très vraisemblablement en bonne place dans le débat présidentiel de 2017. C'est une mesure équilibrée et transitoire qui s'inscrit dans le prolongement de la réforme de 2010 en poursuivant au-delà du 1er janvier 2017 le report de l'âge légal. Elle devrait rassembler tous ceux qui veulent restaurer durablement l'équilibre de notre système des retraites. Il y a urgence à trouver une solution durable. J'espère que cet amendement et le débat qu'il suscitera pourront y contribuer. Je vous propose de voter ce texte amendé par vos rapporteurs.