Le projet de loi de financement prévoit pour la branche AT-MP un excédent de 525 millions d'euros en 2016. C'est encourageant ! Le retour aux excédents, après quatre exercices déficitaires, est un retour à la normale : le financement de la branche est assuré presque intégralement par les cotisations des employeurs ; il repose sur un mécanisme assurantiel qui doit en principe garantir son équilibre structurel.
L'essentiel des dépenses de la branche AT-MP couvre trois types de sinistres : les accidents du travail, les accidents de trajet et les maladies professionnelles. La baisse tendancielle de la sinistralité ne s'est pas démentie récemment. Des évolutions contrastées se profilent néanmoins en fonction du type de risque considéré. Pour la première fois en 2014, le nombre d'accidents du travail est passé sous la barre des 900 000. Ce chiffre reste considérable mais il a diminué de près de 21 % en sept ans, grâce aux efforts de prévention des employeurs, à la réduction du poids du secteur industriel, le plus accidentogène, dans l'économie et au ralentissement de l'activité. Le nombre d'accidents de trajet a été ramené de 125 000 en 2008 à 119 000 en 2014, malgré une légère remontée en fin de période. Cette évolution est au moins partiellement liée à l'amélioration de la sécurité routière.
Le nombre de maladies professionnelles a connu un pic en 2011 avant d'amorcer une légère descente, pour se stabiliser aujourd'hui à environ 68 000 et demeurer largement supérieur aux niveaux observés au début des années 2000. Cette croissance est portée par celle des troubles musculo-squelettiques, dont la part est passée de 26 % en 1990 à 87 % en 2014. Les pathologies dues à l'amiante représentent 7 %. Les maladies professionnelles reconnues sur le fondement des procédures dérogatoires par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) ont fortement progressé : les troubles psycho-sociaux ont été les plus nombreux en 2014, avec 693 demandes. En l'espace de quatre ans, le nombre d'avis favorables s'est accru de 73 % pour les dépressions et de 13 % pour les troubles anxieux, résultat en partie d'une interprétation plus souple du Gouvernement des règles d'appréciation de l'incapacité permanente.
Malgré cet assouplissement, la reconnaissance de l'origine professionnelle d'une pathologie psychique demeure difficile. Il n'est pas toujours évident d'imputer un burn-out aux seules conditions de travail et on manque d'indicateur précis pour déterminer le degré d'incapacité. Le rapport que le Gouvernement rendra l'an prochain en application de la loi de 2015 relative au dialogue social et à l'emploi nous apportera, je l'espère, des éléments d'appréciation sur la possibilité d'intégrer les affections psychiques dans un tableau de maladies professionnelles ou d'abaisser le seuil d'incapacité permanente requis, comme nous le préconisions avec Jean-Pierre Godefroy dans notre rapport sur le mal-être au travail.
Je réitère les deux réserves que notre commission avait formulées l'année dernière sur les autres dépenses de la branche AT-MP, principalement des charges de transfert. L'activité du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) connaît depuis 2013 un rythme soutenu : il a augmenté le nombre d'offres tout en raccourcissant les délais de réponse, ce qui justifie l'effort en sa faveur : pour 2016, la dotation au Fiva s'élève à 430 millions d'euros, en hausse de 13 % par rapport à 2015. Si cela lui permettra d'indemniser les victimes de l'amiante, nous regrettons, une nouvelle fois, le désengagement dont fait preuve l'État. Depuis sa création, le Fiva a été doté de 4,74 milliards d'euros, dont 4,3 milliards en provenance de la branche AT-MP. Comme l'an dernier, le projet de loi de finances prévoit une dotation complémentaire de l'État de 10 millions d'euros, soit environ un cinquième du montant des participations assurées avant 2013. La mission sénatoriale sur l'amiante avait jugé légitime un engagement de l'État à hauteur d'un tiers du budget du Fiva ; on en est loin !
La situation budgétaire du fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) n'appelle pas de remarques particulières : compte tenu de la baisse du nombre d'allocataires, la réduction tendancielle de ses dépenses se poursuit. S'agissant de l'ouverture d'une nouvelle voie d'accès individuelle à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata), le récent rapport du Gouvernement identifie deux obstacles : les difficultés d'évaluation de l'exposition individuelle à l'amiante tout au long du parcours professionnel et la rupture d'égalité que risque de générer la mise en place de conditions d'accès différentes par rapport au dispositif collectif actuel. Si des conditions minimales d'exposition ou un relèvement de l'âge d'entrée dans le dispositif étaient prévues, elles devraient être étendues au dispositif collectif actuel. Il est donc peu probable que le Gouvernement s'engage dans cette réforme et il me semble peu opportun de remettre en cause le dispositif collectif, dont 4 000 nouvelles personnes bénéficient encore chaque année. Nous nous réjouissons de l'élargissement du dispositif de l'Acaata à l'ensemble des fonctionnaires et contractuels de droit public prévu par la loi de finances pour 2016, mesure très attendue.
Je suis également réservé sur le versement annuel de la branche AT-MP à la branche maladie au titre de la sous-déclaration des maladies professionnelles. Le projet de loi de financement pour 2016 reconduit la dotation de 1 milliard d'euros, arrêtée l'année dernière, contre 300 millions en 2002. Je m'interroge sur la progression incessante de ce versement, entièrement supporté par la part mutualisée des dépenses de la branche. Quelle est la réalité des efforts engagés pour lutter contre la sous-déclaration, sans parler des modalités d'évaluation de ce phénomène ? Le caractère automatique de ce versement ne doit pas exonérer d'un débat de fond sur les causes de la sous-déclaration et sur les actions à mener pour la circonscrire.
Le projet de loi de financement pour 2016 ne comporte aucune mesure nouvelle de couverture du risque AT-MP ; seuls les traditionnels articles d'équilibre y figurent. Selon la direction des risques professionnels de la Cnam, la trajectoire excédentaire de la branche lui permettrait de rembourser l'intégralité de sa dette dès l'année prochaine, grâce à l'ajustement régulier des taux de cotisation et le maintien d'un dialogue social de qualité en son sein. Nous pourrions nous en réjouir si les efforts de renforcement de la logique assurantielle et préventive de la branche, via la réforme de la tarification, n'étaient contrariés par la mise en place de nouvelles dépenses de transfert. L'annexe B prévoit en effet un transfert de cotisations de 0,05 point de la branche AT-MP vers la branche maladie du régime général, ce qui ponctionnerait l'excédent de la branche AT-MP d'un demi-milliard d'euros en 2016 et 2017. En vertu de l'accord du 30 octobre sur les retraites complémentaires, la hausse des cotisations de retraite des employeurs pourrait être compensée par une baisse des cotisations de la branche AT-MP à hauteur de 700 millions d'euros à compter de 2019. Faute d'information sur l'échelonnement et l'ampleur de la baisse, nous devrons interroger le Gouvernement. Nous ne pouvons-nous satisfaire de telles opérations comptables ni des raisons avancées pour les justifier. Elles amoindrissent la portée des leviers sur lesquels il est permis de jouer pour renforcer l'incitation à la prévention auprès des employeurs.
La part des dépenses mutualisées n'a cessé d'augmenter dans le calcul du taux des cotisations employeurs. Une fraction importante de ces dépenses résulte des transferts, qui représentent près de 20 % des charges de la branche. Par construction, la partie variable des taux de cotisation, liée à la sinistralité propre de l'entreprise, est de plus en plus limitée. Or la convention d'objectifs et de gestion liant l'État à la Cnam pour 2014-2017 et le troisième plan « Santé au travail » pour 2015-2019 réaffirment la priorité donnée à la prévention. La branche a entrepris de nombreux travaux en ce sens, dont la poursuite de la réforme de la tarification. L'accroissement significatif des transferts prévus par le projet de loi de financement ne s'inscrit pas dans cette perspective, au contraire. J'invite la commission à ne pas adopter les objectifs de dépenses de la branche AT-MP pour 2016.