Je n'avais pas eu l'occasion de venir devant votre commission l'an passé, l'une de mes premières tâches à mon arrivée au ministère ayant été de défendre, dans l'hémicycle du Sénat, l'excellent budget préparé par mon prédécesseur, et dont le monde combattant s'était montré satisfait. J'avais à cette occasion pris des engagements fermes : axer prioritairement mon action sur les anciens combattants les plus démunis, maintenir le groupe de travail sur les conjoints survivants des grands invalides et installer un autre groupe de travail sur l'extension de la campagne double.
Le budget que je vous présente en est la traduction, et s'inscrit dans un dialogue constructif permanent avec les associations d'anciens combattants. Il est également le reflet de choix politiques qui sont conformes à mes convictions, dans un contexte budgétaire contraint. Les crédits de la mission s'élèvent pour 2016 à 2,51 milliards d'euros, soit une diminution de 4,9 % par rapport à 2015, strictement liée à la baisse du nombre de bénéficiaires. En tenant compte de la progression de la dépense fiscale, la baisse n'est que de 1,5 %.
Ce budget est construit autour d'un principe : préserver les droits des anciens combattants. Il intègre quatre mesures nouvelles, qui consolident le droit à réparation, dans un souci de justice sociale et d'équité.
Il s'agit tout d'abord de l'extension du bénéfice de la campagne double pour les anciens combattants d'Afrique du Nord, militaires d'active ou appelés agents publics dont les droits à pension ont été liquidés avant 1999, année durant laquelle les événements d'Algérie ont été qualifiés de guerre. Environ 5 500 personnes pourraient bénéficier de cette mesure, même si certains regrettent que le droit à la campagne double n'ait pas été élargi en se référant à la durée de présence sur le théâtre d'opération, comme cela a été proposé à l'Assemblée nationale. Outre le coût très élevé d'un tel scénario, il se serait agi d'une remise en cause profonde du système actuel des bonifications de pension, bien au-delà de la guerre d'Algérie. J'ai fait le choix de proposer une mesure de stricte équité, qui répond à une revendication légitime vieille de plus de quinze ans.
J'ai tenu à ce qu'un effort financier conséquent soit fait en faveur des plus démunis. La politique sociale de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (Onac-VG) sera abondée de deux millions d'euros supplémentaires, ce qui porte à 26 % l'augmentation de ses moyens depuis 2012. Cet effort financier accompagne la refonte nécessaire de la politique d'action sociale de l'Onac. Elle a été adoptée par son conseil d'administration le 27 mars dernier, afin d'améliorer la situation des plus démunis, des plus fragiles et des plus isolés. Cette ressource supplémentaire permettra de mettre en place un dispositif élargi, adapté à la situation de chacun et fondé non plus sur les seuls revenus mais sur des critères de vulnérabilité, en substitution à l'aide différentielle au conjoint survivant (ADCS), qui n'avait pas de base légale. Contrairement à ce qu'affirment certains, il ne s'agit pas de la suppression de l'action sociale de l'Onac, encore moins de celle des moyens alloués. En 2014, 3 730 conjoints survivants ont perçu l'ADCS, tandis que sur les six premiers mois de 2015 3 125 l'ont touchée. Un courrier leur a été envoyé pour les informer des modalités d'attribution du nouveau dispositif, et ce alors qu'en 2016 le nombre de bénéficiaires de l'aide sociale ne devrait pas diminuer.
La politique sociale de l'Onac est sanctuarisée et renforcée. Des inquiétudes sont toutefois apparues, et il m'avait semblé opportun qu'un premier bilan soit réalisé au bout d'un an de mise en oeuvre de cette réforme, ainsi que je l'avais annoncé au conseil d'administration de l'Onac. Les députés à l'unanimité, malgré un risque d'inconstitutionnalité, ont inséré dans ce projet de loi un article additionnel demandant au Gouvernement de réaliser un rapport sur ce sujet. Je m'engage à l'établir et à le transmettre au Parlement.
Une seconde mesure concerne les conjoints survivants des harkis, qui sont touchés depuis 2014 par la forclusion des demandes d'allocation de reconnaissance. Ils bénéficieront d'un nouveau dispositif pour corriger cette injustice. C'est le témoignage de la poursuite de l'approfondissement de la reconnaissance de la Nation envers les harkis et leurs familles, qui tient à coeur au Président de la République et au Premier ministre, qui avait présenté il y a un an un plan de dix mesures dont j'ai dressé un premier bilan en conseil des ministres le 7 octobre. L'ensemble de ce plan a été mis en place et des pistes d'amélioration, notamment concernant l'accès au logement ou aux emplois réservés, ont été identifiées.
J'ai tenu à ce que le travail engagé pour améliorer la situation des conjoints survivants des grands invalides ne s'achève pas. Je me souviens que votre assemblée avait été particulièrement sensible à cette problématique en adoptant l'an dernier plusieurs amendements avec lesquels j'étais en désaccord. La majoration spéciale prévue à l'article L. 52-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre (CPMIVG) a été revalorisé de 50 points au 1er janvier dernier par la loi de finances pour 2015 et le sera à nouveau le 1er janvier prochain, soit une augmentation totale de 116 euros par mois. 892 conjoints survivants en ont bénéficié. Le groupe de travail sur cette question, autour duquel une dynamique s'était créée, a continué ses travaux à ma demande. En conséquence, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit d'élargir au plus grand nombre de bénéficiaires cette majoration spéciale, qui vient compenser la perte de revenu liée à l'abandon de l'activité professionnelle pour prodiguer des soins à un grand invalide. Elle sera désormais attribuée dès cinq ans de soins, avec un lissage des effets de seuil jusqu'à dix ans. Selon nos estimations, jusqu'à 40 % des conjoints survivants des plus grands invalides de guerre seraient éligibles.
Les services du ministère de la défense, en lien avec ceux de Bercy, estiment à 1 400 le nombre de bénéficiaires potentiels. C'est sur cette base, qui est pour moi la meilleure disponible à ce jour et qui est assise sur une méthodologie solide et partagée en interministériel, que la mesure présentée a été chiffrée. Certains promeuvent une autre approche : j'ai privilégié le plus grand nombre et la plus grande justice, dans un contexte budgétaire difficile. L'an dernier, le Sénat avait défendu un système forfaitaire, par paliers, qui aurait varié en fonction du niveau de pension de l'invalide. Je renouvelle mon opposition à cette mesure qui, outre son coût élevé, soulève une difficulté de principe : elle aboutirait en effet à ce que de nombreux conjoints survivants perçoivent une pension d'un montant supérieur à celle d'un grand invalide. Telle n'est pas ma conception de la justice et de l'équité. Ce serait au contraire profondément injuste, puisqu'une pension militaire d'invalidité a pour objet de réparer un préjudice et non d'assurer un revenu de substitution non imposable et cumulable avec toutes les autres ressources.
Il est nécessaire de préserver l'efficacité des structures d'accueil des anciens combattants. Le centenaire en 2016 de la première d'entre elle, l'Onac, sera l'occasion de rappeler son importance et notamment celle de son maillage territorial. Ses services départementaux sont un relai indispensable dans nos territoires pour la politique de reconnaissance et de réparation mais aussi pour la politique de mémoire.
Le contrat d'objectifs et de performance (COP) Etat-Onac traduit cette volonté. Il permet d'accompagner l'Onac dans l'élargissement de ses compétences. Ce dernier accueille de nouveaux publics : les harkis et les rapatriés, dont il est devenu le guichet unique, mais aussi les soldats d'aujourd'hui, qui bénéficient depuis le 1er octobre dernier de la carte du combattant après 120 jours de présence sur un théâtre d'opération extérieur.
L'institution nationale des Invalides (INI) est également un sujet qui me préoccupe et j'en ai fait un dossier prioritaire. J'ai reçu, dès mon entrée en fonction et à plusieurs reprises depuis, les représentants des salariés, la direction, ainsi que le service de santé des armées (SSA). L'INI est une institution de référence, dont l'avenir doit être garanti. Seul un adossement et une complémentarité avec le SSA permettra d'assurer la continuité du parcours de soin et d'offrir des prestations de qualité aux anciens combattants, aux pensionnaires ainsi qu'aux blessés en opération. Il faut également tenir compte de l'agence régionale de santé (ARS) Ile-de-France, qui est responsable de l'organisation régionale des soins.
En outre, ce budget consolide la politique de mémoire. Elle est ambitieuse et a été édifiée depuis plusieurs années pour faire face aux défis posés par le cycle mémoriel du centenaire de la Première Guerre mondiale et celui du soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. L'année mémorielle qui s'annonce sera marquée par deux moments forts : le centenaire de la bataille de Verdun, qui culminera le 29 mai avec une cérémonie à laquelle participera le Président de la République et à laquelle il a invité la chancelière allemande Angela Merkel, et le centenaire de la bataille de la Somme, dont la commémoration a traditionnellement lieu le 1er juillet. La commémoration de l'anniversaire de Verdun devrait s'étendre sur 300 jours de manifestations culturelles et historiques, tandis que celle de la Somme s'étalera, de la même manière, sur 141 jours.
Les crédits alloués à cette politique s'élèvent à 22,2 millions d'euros, globalement stabilisés par rapport à l'an dernier. Pour la préparation de l'année commémorative 2016, j'ai mis en place deux comités ministériels dont j'assure la présidence, l'un pour Verdun, qui s'est réuni quatre fois, et l'autre pour la Somme, qui a tenu trois réunions. Ils regroupent l'ensemble des partenaires associés à ces commémorations, français comme étrangers. La saison mémorielle sera lancée la semaine prochaine, après une présentation en conseil des ministres. Il faut également noter la publication imminente d'un guide du Routard sur la Grande Guerre.
La mémoire de la Seconde Guerre mondiale continue d'interpeller notre jeunesse. Partout où j'ai pu échanger avec des jeunes, je me suis rendu compte qu'ils s'interrogent beaucoup sur cette période. Face à la montée des nationalismes et au repli sur soi, les commémorations doivent surtout s'adresser à eux : il faut leur parler des causes des conflits mondiaux. Je me dois de consacrer mon temps et les crédits de mon ministère à ces questions.
Il faut valoriser le patrimoine de pierre, surtout lorsqu'il n'y a plus de témoins survivants. Le plan de lutte contre le racisme et l'antisémitisme annoncé par le Premier ministre passe aussi par cette mémoire partagée. J'aurai l'occasion de rendre hommage aux troupes coloniales qui sont venues défendre la France en 1916. J'ai accompagné récemment le président du Mali à Douaumont, et ce fut pour lui un moment de grande émotion. Il faut rappeler à ceux qui parlent de race, qui veulent fermer les frontières, que d'autres sont venus ici défendre notre liberté.
Le lien entre l'armée et la Nation est construit autour de la journée défense et citoyenneté (JDC), qui accueillera près de 800 000 jeunes en 2016. Certains la trouvent peut être insuffisante, mais tous reconnaissent son importance. Il est donc regrettable qu'à chaque examen du budget des parlementaires proposent de la ponctionner pour financer des mesures nouvelles. Elle contribue au dépistage de l'illettrisme et à l'orientation des jeunes en difficulté, mais permet aussi d'établir 225 000 fiches de liaison qui sont transmises aux armées, ce qui démontre l'attrait des jeunes pour les métiers de la défense, que la JDC rénovée, centrée sur le volet défense et les différentes formes d'engagement, a renforcé. Son budget 2016 est de 15,3 millions d'euros, en baisse par rapport à 2015 en raison du transfert de crédits destinés au financement du système d'information PRESAJe vers le programme 212 de la mission « Défense ». Ce changement de périmètre budgétaire n'aura aucune conséquence sur les moyens ou l'organisation de la JDC.
Dans le cadre de l'examen de la première partie du PLF pour 2016, l'Assemblée nationale a inséré une disposition fiscale relative aux anciens combattants qui ne figurait pas dans le texte du Gouvernement. Il s'agit de l'abaissement de 75 à 74 ans de l'âge à partir duquel les titulaires de la carte du combattant bénéficient d'une demi-part fiscale. Je n'étais pas favorable à ouvrir ce dossier, afin de conserver l'équilibre qui avait été trouvé entre dépenses budgétaires et fiscales en période de redressement des finances publiques. Sur ce sujet, je ne mentionnerai qu'en passant le rapport de votre ancien collègue Philippe Marini et les répercussions qu'il a eues auprès du monde combattant.
Le coût de la mesure votée par les députés est estimé à environ 45 millions d'euros, qui viendraient s'ajouter aux 789 millions d'euros que représentent l'ensemble des dispositifs fiscaux existants.
J'ai le sentiment de vous présenter un bon budget. Je comprends la volonté qu'ont certains de vouloir l'améliorer, mais les choix que j'ai faits visaient les plus démunis et le renforcement de l'équité de plusieurs dispositifs. La mesure fiscale introduite à l'Assemblée nationale s'inscrit dans une autre logique, et concerne, par définition, des ménages soumis à l'impôt sur le revenu ; ce n'est pas le cas des plus démunis.
Je tiens enfin à vous informer qu'un amendement a aujourd'hui été déposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale pour permettre le transfert des établissements médico-sociaux actuellement gérés par l'Onac. Il s'agit d'une mesure technique, qui porte sur les aspects patrimoniaux de ce transfert, initié dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP), inscrit dans le COP et recommandé par la Cour des comptes.
Sur la base d'un dialogue permanent avec le monde combattant et les organisations syndicales, ces dix-sept établissements - neuf écoles de reconversion professionnelle (ERP) et huit établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) - seront cédés pour que l'Onac se recentre sur son coeur de métier, c'est-à-dire la défense des intérêts matériels et moraux de ses ressortissants et la solidarité à l'égard de ceux qui ont fait le choix de l'engagement. Des acteurs publics spécialisés assureront la gestion de ces établissements, ce qui permettra de conforter et de développer leur activité. Il faut savoir qu'aujourd'hui les ERP accueillent moins de 1 % d'anciens combattants, tandis que moins de 50 % des personnes accueillies dans les Ehpad sont des ressortissants de l'Onac. Les fonctionnaires concernés seront intégrés dans des corps homologues de la fonction publique, les enseignants des ERP rejoignant l'éducation nationale et les personnels des Ehpad la fonction publique hospitalière.