Nous en voilà à cette étape traditionnelle de l'examen du projet de loi de finances qu'est l'analyse des principales orientations du budget de l'année à venir et des hypothèses macroéconomiques qui le fondent.
Le Gouvernement retient, pour 2016, une prévision de croissance de 1,5 %, après 1 % en 2015. Dans son scénario, l'activité française continuerait de profiter des facteurs favorables apparus durant l'année en cours : une certaine reprise économique dans les pays de la zone euro, la faiblesse des taux d'intérêt et du taux de change de l'euro, favorisée par la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Cette prévision est en ligne avec celles de la Commission européenne, du Fonds monétaire international (FMI), de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Consensus Forecasts. Le Haut Conseil des finances publiques, dont les formulations sont toujours prudentes, considère, quant à lui, que l'objectif est « atteignable ».
Pour autant des incertitudes demeurent : le dynamisme du commerce international pourrait être plus faible qu'anticipé ; l'activité économique aux États-Unis montre, ainsi qu'on l'a vu hier encore dans la presse, des signes de faiblesse ; les économies émergentes affichent un net ralentissement, en particulier en ce qui concerne la Chine ; à cela s'ajoutent les déséquilibres apparus dans les pays émergents et la volatilité élevée des marchés financiers, qui montrent des signes de nervosité depuis les événements intervenus en Chine cet été. On voit que les sujets d'inquiétude ne manquent pas.
Pour ce qui est de l'inflation, le Gouvernement anticipe une progression des prix de 1 % en 2016. Toutefois, le Haut Conseil des finances publiques a estimé que l'accélération de l'inflation pourrait être moins rapide que prévu. Le regard sur l'inflation a changé et les gouvernements, qui craignaient autrefois son envol, souhaitent aujourd'hui la voir redémarrer.
Des facteurs tant favorables que défavorables pourraient influer sur son évolution au cours des mois à venir. D'un côté, un rebond des prix à la consommation pourrait être encouragé par la reprise économique et par un recul du chômage. De même, l'accélération de l'activité en France pourrait conduire à une hausse de l'utilisation des capacités de production, dont la faiblesse actuelle limite les pressions inflationnistes.
Le manque de dynamisme de l'inflation pourrait conduire la BCE à assouplir encore sa politique monétaire dans les prochains mois, en allongeant et en augmentant l'ampleur de son programme étendu d'achats d'actifs. Une telle mesure d'assouplissement serait certes susceptible d'avoir une incidence directe sur le financement de l'économie, mais aurait aussi pour conséquence de réduire le taux de change de l'euro, augmentant ainsi l'inflation importée. Un effet similaire découlerait de la hausse des taux d'intérêt américains, dont tout indique, bien qu'elle soit repoussée de mois en mois, qu'elle finira par intervenir.
D'un autre côté, il semble peu probable que survienne, au cours de l'année 2016, un rebond significatif des prix de l'énergie. Dans un rapport publié en octobre, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) pointe une décélération de la demande mondiale de pétrole et l'abondance de l'offre pétrolière. De même, le ralentissement des pays émergents, notamment de la Chine, pourrait avoir des conséquences désinflationnistes. Nous ne sommes pas à l'abri, si l'on en croit certains économistes, d'un scénario « à la japonaise », avec une inflation en berne des années durant.
J'en viens maintenant à la trajectoire budgétaire proposée par le Gouvernement. Tirant profit d'une amélioration du contexte économique, de même que d'un nouveau report du délai de correction du déficit excessif de 2015 à 2017 par les autorités européennes en mars 2015 - le deuxième depuis le début de la législature -, le Gouvernement a fait du retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017 son principal objectif budgétaire. Ainsi, il anticipe un déficit de 2,7 % en 2017, après 3,3 % en 2016.
Toutefois, entre 2014 et 2015, le solde effectif n'afficherait qu'une amélioration très modeste, de 0,1 point, pour s'établir à - 3,8 % du PIB cette année. On peut ainsi s'interroger sur la capacité du Gouvernement à gravir les deux marches nécessaires pour que le déficit revienne sous le seuil de 3 % du PIB, ce qui supposerait d'améliorer notre solde public de 0,5 point de PIB en 2016, puis de 0,6 point en 2017.
Alors que jusqu'à présent, le Gouvernement présentait le solde structurel comme le « pilier » de sa politique budgétaire - souvenez-vous de nos échanges de l'an dernier avec Michel Sapin - il semble que le thermomètre ait changé, et que cet indicateur soit passé au second plan.
Certes, du fait d'une exécution budgétaire 2014 plus favorable qu'anticipé, l'objectif de solde structurel figurant dans l'article liminaire du projet de loi de finances respecte les orientations arrêtées par la loi de programmation des finances publiques 2014-2019. Pour autant, la trajectoire de solde structurel proposée par le Gouvernement ne se conforme pas aux exigences européennes en la matière : elle prévoit une amélioration du solde structurel de 0,4 point en 2015, puis de 0,5 point de PIB en 2016 et 2017, soit des ajustements inférieurs aux recommandations que le Conseil de l'Union européenne a assorties à sa décision de report du délai de déficit excessif.
Par ailleurs, le Gouvernement n'est en mesure d'afficher un ajustement structurel de 0,5 point de PIB par an entre 2016 et 2018, soit le niveau minimal requis pour les États soumis à la procédure de déficit excessif, que grâce à la modification des modalités de calcul du solde structurel, intervenue dans le cadre du programme de stabilité 2015-2018. Il semble que la stratégie budgétaire gouvernementale consiste en une interprétation étroite du Pacte de stabilité et de croissance, se bornant à une amélioration du déficit effectif.
Une telle stratégie n'est pas sans danger : il est évident que le respect de ces engagements est très largement tributaire du rythme de la croissance économique ; or, la reprise pourrait être moins rapide que prévu, en particulier dans un contexte de ralentissement des économies émergentes. Dans cette hypothèse, l'amélioration du déficit effectif serait moindre qu'espéré et notre pays ne serait pas en mesure de présenter les ajustements structurels demandés par les autorités européennes, s'exposant par conséquent à des sanctions.
La trajectoire de redressement des comptes publics proposée par le Gouvernement ne permettrait pas, si la croissance était inférieure de ½ point aux prévisions, de faire revenir le déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017, et le taux d'endettement continuerait de croître sur toute la période, pour atteindre plus de 98 % du PIB en 2017.
Ce risque d'aléa conjoncturel n'est pas le seul. On en entend moins parler aujourd'hui, mais ce que j'exposais naguère sur le risque grec vaut toujours. La France reste exposée, au titre du prêt bilatéral qu'elle a accordé à la Grèce et de sa participation au Fonds européen de stabilité financière (FESF), à voir son déficit public se dégrader dans l'éventualité de l'annulation d'une partie de la dette de la Grèce.
À titre d'exemple, une réduction de 10 % de la dette publique grecque aurait pour effet, l'année où elle interviendrait, d'accroître le déficit public de 4 milliards d'euros, soit près de 0,2 point de PIB. À cela viendraient s'ajouter les pertes de recettes liées au non remboursement du capital et des intérêts devant débuter en 2020.
Annoncé par le Gouvernement dès la fin de l'année 2013, le programme d'économies de 50 milliards d'euros au cours de la période 2015-2017, dont 16 milliards d'euros en 2016, demeure inchangé.