Je débuterai mon propos par un rappel de la place des finances sociales dans les perspectives pluriannuelles des finances publiques. La part des dépenses des administrations de sécurité sociale est supérieure d'environ six points à celle des dépenses de l'État et de ses agences, présentées un peu plus tôt par le rapporteur général. Les administrations de sécurité sociale contribuent ainsi à hauteur de 40,6 % au programme d'économies annoncé par le Gouvernement sur la période 2015 à 2017, ce qui représente environ 20 milliards d'euros sur un programme global d'économies de 50 milliards d'euros. L'un des buts de cette présentation est d'évaluer si les mesures prévues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 permettront d'atteindre cet objectif.
Le taux de prélèvements obligatoires des administrations de sécurité sociale reculerait de 24,2 % à 24 % du PIB entre 2015 et 2016 du fait de la mise en oeuvre du Pacte de responsabilité, qui constitue l'un des éléments positifs du projet de loi de financement pour 2016.
En 2016, les administrations de sécurité sociale devraient réaliser 7,4 milliards d'euros d'économies, sur un total de 16 milliards d'euros pour l'ensemble des administrations publiques. Nous sommes ici face à un paradoxe : en dépit de ces économies, un déficit global de 9,3 milliards d'euros subsisterait en 2016, pour les organismes relevant des lois de financement de la sécurité sociale.
Tout d'abord, 3,4 milliards d'euros d'économies seraient réalisées dans le champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) - ce qui semble crédible. Restent les 4 milliards d'euros suivants, sur lesquels j'appelle votre attention : 1 milliard d'euros de moindres dépenses proviendraient de mesures d'ores et déjà décidées et, en particulier, de la montée en charge de la réforme de la politique familiale, qui intègre la modulation des allocations familiales votée à l'automne dernier, et de la réforme des retraites de janvier 2014. 500 millions d'euros seraient également économisés sur les dépenses de gestion des organismes de protection sociale, d'après les précisions du secrétaire d'État chargé du budget, Christian Eckert. 300 millions d'euros d'économies seraient liées aux mesures de lutte contre la fraude et au ralentissement des dépenses d'action sanitaire et sociale des organismes. Ensuite, 1 milliard d'euros d'économies sont attendues à la suite de la négociation entre les partenaires sociaux au titre de la réforme des retraites complémentaires, et 800 millions d'euros dans le champ de l'assurance chômage, ce qui semble plus discutable dans la mesure où le Gouvernement n'est pas responsable de la gestion de ces régimes.
J'en viens aux grands équilibres et aux mesures proposées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. Le Gouvernement prévoit un déficit cumulé de l'ensemble des régimes obligatoires de base et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 9,3 milliards d'euros en 2016. Il s'agirait d'une amélioration de 3,1 milliards d'euros par rapport à la prévision d'exécution pour 2015. Néanmoins, la trajectoire de retour à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale a été décalée : à l'été 2014, la loi de financement rectificative de la sécurité sociale prévoyait en effet un retour à l'équilibre dès 2017. Or, selon les prévisions du projet de loi de financement pour 2016, le régime général ne connaîtrait un solde positif, de l'ordre de 1,8 milliard d'euros, qu'en 2019. Toutefois, le FSV et les autres régimes obligatoires de base resteraient déficitaires, ce qui conduirait à un déficit cumulé de 2 milliards d'euros.
Afin de mesurer la réalité de l'« effort » prévu en 2016, il convient de s'intéresser aux soldes tendanciels des régimes de sécurité sociale. En l'absence de mesures nouvelles et en prolongeant simplement la tendance observée, le déficit de l'ensemble des régimes obligatoires de base et du FSV atteindrait 13,8 milliards d'euros en 2016. Les mesures contenues dans le projet de loi de financement pour 2016 devraient permettre d'améliorer ce solde de 4,5 milliards d'euros. Cet effort est plus faible qu'en 2015 et en 2014 : la loi de financement pour 2015 prévoyait un effort de 5,6 milliards d'euros et celle pour 2014 de 8,9 milliards d'euros.
Ainsi, sur les 7,4 milliards d'euros d'économies prévues dans le champ des administrations de sécurité sociale, présentées précédemment, les mesures nouvelles d'économies contenues dans le projet de loi de financement pour 2016 ne représentent que 3,8 milliards d'euros. En réalité, le Gouvernement se repose en grande partie sur les effets de mesures engagées durant les années passées.
Concernant la dette sociale, nous avons une vraie difficulté. Tout le monde connaît la situation déficitaire de nos régimes sociaux, mais peu de gens se soucient des modalités de leur financement. L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), qui gère la trésorerie commune des régimes et joue en quelques sortes le rôle de holding financière, dispose de la possibilité d'emprunter à court terme. Cependant, aujourd'hui, elle ne peut plus faire face à ses besoins de trésorerie car elle supporte une partie des déficits des années précédentes.
Le secrétaire d'État chargé du budget, Christian Eckert, a donc décidé de faire sauter le verrou de la reprise annuelle de 10 milliards d'euros par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) afin de lui permettre de reprendre cette année 13,6 milliards d'euros supplémentaires, qui étaient portés jusqu'alors par l'ACOSS.
Nous assistons ici à un moment de vérité : il était normalement prévu que la dette sociale reprise par la CADES soit entièrement amortie à l'horizon 2024 ou 2025, compte tenu des ressources qui lui ont été affectées. Il est tout de même incroyable que nous financions encore une part de nos dépenses sociales par des émissions sur les marchés financiers, faisant ainsi supporter ces dépenses par les générations à venir.
L'opération de reprise proposée cette année ne dégraderait pas l'horizon de la CADES à court terme. Mais un vrai problème se pose concernant l'apurement de la dette courante et des déficits futurs, notamment du FSV, pour lesquels aucune reprise par la CADES n'est prévue.
Naturellement, j'ai entendu, comme vous, les explications du secrétaire d'État chargé du budget, qui indique qu'il s'agit simplement d'une anticipation de transfert de déficits connus, en raison des conditions favorables de refinancement sur les marchés financiers. Mais cette consolidation des déficits cumulés en 2013 et 2014 constitue bien une aggravation de la dette.
Passons maintenant aux principales mesures relatives aux recettes. Le projet de loi de financement pour 2016 met en oeuvre la seconde phase du Pacte de responsabilité en faveur des entreprises. Il s'agit là de mesures positives. Tout d'abord, le projet de loi de financement poursuit la baisse du taux de cotisation patronale d'allocations familiales de 1,8 point, pour les rémunérations situées entre 1,6 et 3,5 SMIC. Le coût de la mesure serait ainsi de 3,1 milliards d'euros en 2016 contre environ 4,1 milliards d'euros en année pleine, en raison du décalage d'un trimestre justifié par le Gouvernement par la nécessité de financer un ensemble de nouvelles mesures en faveur des entreprises adoptées dans le courant de l'année 2015, dont le suramortissement des investissements industriels, que nous avions tous soutenu.
La deuxième mesure porte sur la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Une nouvelle étape vers sa suppression est mise en oeuvre, en allégeant de 1 milliard d'euros cette imposition. 79 000 petites et moyennes entreprises (PME) seront ainsi exonérées de C3S en 2016 et environ 20 000 verront leur impôt diminuer.
Ces mesures sont intégralement compensées par l'État, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, ce que Philippe Dallier, rapporteur spécial de la mission « Égalité des territoires et logement », nous confirmera.
Je signale en revanche un petit hiatus concernant certaines exonérations de cotisations sociales « zonées », que le Gouvernement proposait de supprimer dans son projet de loi initial mais que l'Assemblée nationale a décidé de maintenir. Il semble en effet raisonnable de conserver le dispositif relatif aux zones de revitalisation rurales (ZRR).
Le projet de loi de financement prévoit également, comme chaque année, un grand nombre de réaffectations et de réajustements de recettes internes. Comme vous pouvez le constater dans le schéma qui vous est présenté, ces mouvements sont très complexes mais ils semblent suivre une certaine cohérence. Parmi ces « tuyaux », il convient de signaler celui relatif au FSV. Dans un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, dit « De Ruyter », celle-ci a considéré que les prélèvements sociaux sur les revenus du capital étaient contributifs, compte tenu de leur affectation aux régimes de sécurité sociale, et qu'il n'était donc pas légal d'y assujettir les personnes qui ne sont pas affiliées à un régime de sécurité sociale en France. Ces prélèvements sociaux seront transférés à des prestations de solidarité financées par le FSV, telles que la prise en charge des cotisations des chômeurs. Ce « réajustement de tuyau » permettrait donc de régler ce contentieux.
J'en viens maintenant à la situation des différentes branches de la sécurité sociale. La branche maladie est celle qui connaît le déficit le plus important : celui-ci augmenterait de 1 milliard d'euros en 2015. En 2016, ce déficit atteindrait 6,2 milliards d'euros. Les mesures proposées dans le projet de loi de financement permettraient ainsi de réduire le déficit de 1,3 milliard d'euros en 2016, grâce à un taux d'évolution de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) fixé à 1,75 %, contre 2 % en 2015. Cet objectif, qui implique la réalisation de 3,4 milliards d'euros d'économies, semble atteignable. Un certain nombre de mesures sont ainsi prévues, concernant l'efficacité de la dépense hospitalière, la médecine ambulatoire, le prix des médicaments et enfin la pertinence et le bon usage des soins. En écartant l'effet de la baisse du taux de cotisation des professionnels de santé sur les comptes de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAMTS), le montant total des économies prévues en 2016 s'établit à 3,1 milliards d'euros, soit un montant légèrement inférieur à celui initialement prévu pour 2015.
Concernant la branche vieillesse, le Gouvernement prévoit un retour à l'équilibre en 2016. J'ai rencontré les responsables de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), qui estiment qu'un très léger déficit pourrait subsister. Toutefois, nous sommes clairement sur une tendance de réduction du déficit à court terme. L'effet conjugué de la faible inflation et du recul de l'âge de départ à la retraite permettraient d'infléchir la dépense. Toutefois, le Conseil d'orientation des retraites (COR) estime que l'adoption de nouvelles mesures serait nécessaire pour garantir l'équilibre financier à plus long terme ; un déficit réapparaîtrait en effet dès 2019.
La situation du FSV, qui a pour mission principale de financer la prise en charge des cotisations des chômeurs ainsi que l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), est durablement dégradée. Son déficit atteindrait 3,7 milliards d'euros en 2016. La Cour des comptes critique d'ailleurs régulièrement son « sous-financement ».
La branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) devrait présenter un excédent de 600 millions d'euros en 2016 et n'appelle pas de commentaire particulier. Néanmoins, dans le cadre de l'accord des régimes complémentaires Agirc-Arrco, le Gouvernement aurait promis de compenser la hausse des cotisations au bénéfice de ces régimes par une baisse du taux de cotisation AT-MP.
Après un déficit de 3,2 milliards d'euros en 2013, la situation de la branche famille s'améliorerait en 2016. Le déficit ne serait plus que de 800 millions d'euros. Toutefois, les mesures d'économies décidées ces deux dernières années, en particulier la modulation du montant des allocations familiales, touchent environ 600 000 familles dont certaines appartiennent à ce que l'on peut qualifier la « classe moyenne ». De plus, la mise en oeuvre cette réforme a mobilisé 300 équivalents temps pleins (ETP).
En conclusion, sous réserve de l'adoption des amendements que je vais vous présenter dans quelques instants, je propose de donner un avis favorable à l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.