Intervention de Michel Boutant

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 21 octobre 2015 à 9h00
Mesures de surveillance des communications électroniques internationales — Examen du rapport pour avis

Photo de Michel BoutantMichel Boutant, rapporteur pour avis :

Comme vous le savez, le Conseil Constitutionnel a annulé par décision du 23 juillet 2015 un article de la loi relative au renseignement. Cet article concernait la surveillance internationale.

Le Conseil constitutionnel a fondé sa décision sur le fait que le législateur n'avait pas épuisé sa compétence en laissant trop de place au pouvoir réglementaire.

Cette situation a créé un vide juridique qu'il convenait de combler au plus tôt. Une proposition de loi a été votée le 1er octobre par l'Assemblée nationale. C'est ce texte qui est soumis à notre appréciation. Parallèlement, notre collègue Philippe Bas a déposé un texte très proche qui a été soumis à l'examen du Conseil d'Etat par le président Gérard Larcher.

Il est probable que ce matin, la commission des lois introduise dans la proposition de loi certaines précisions contenues dans celle de M. Bas. Je voudrais souligner sa très grande proximité avec le texte voté par l'Assemblée nationale, celle-ci ayant d'ores et déjà intégré une partie de ces précisions. Il n'y a pas, à mon sens, de désaccord de fond.

Fidèle au principe de juste équilibre entre le respect de la vie privée et la protection des libertés d'une part et d'autre part, la sécurité de nos concitoyens, défini par votre Commission lors de l'examen du projet de loi relative au renseignement, je me suis attaché :

1°) à vérifier qu'elle satisfaisait les exigences posées au législateur par le Conseil constitutionnel. La publication de l'avis du Conseil d'Etat sur la proposition de M. Bas permet de répondre à cette question.

2°) à m'assurer que les dispositions proposées en réponse à ces exigences n'affaibliraient pas les capacités opérationnelles des services spécialisés de renseignement dans l'accomplissement de leur mission de surveillance, indispensable à la sécurité de nos concitoyens, plus encore dans le contexte actuel marqué par la menace terroriste, le regain des activités d'espionnage et le développement des cyberattaques.

Pour l'essentiel, la proposition de loi réincorpore dans la loi les dispositions que le projet de loi relative au renseignement avait renvoyées à des décrets en Conseil d'Etat.

S'agissant des modalités d'exploitation, le nouvel article régit de manière exclusive la surveillance des communications avec l'étranger, qu'il soit question de correspondances, c'est-à-dire de contenus, ou de données de connexions, à savoir de contenants. La définition de la nature de ces flux s'effectue toujours en fonction des deux extrémités des communications - numéro de téléphone ou adresse IP uniquement -, indépendamment des caractéristiques de leur transit.

En pratique, trois cas se présentent :

En cas de communications entre deux identifiants rattachables au territoire national, celles-ci sont instantanément détruites puisqu'il ne s'agit pas de communications internationales. Deux exceptions sont toutefois prévues :

- la première concerne le cas où l'un des identifiants fait déjà l'objet d'une interception de sécurité autorisée sur le territoire national.

- la seconde porte sur les personnes communiquant depuis l'étranger avec un identifiant national et qui constituent une menace au regard des intérêts fondamentaux de la Nation. Dans ce cas, la surveillance est autorisée par le Premier ministre et l'identité de la personne concernée portée à la connaissance de la CNCTR.

En cas de correspondance mixte, c'est-à-dire depuis l'étranger vers un identifiant rattachable au territoire national, le droit commun s'applique pour toutes les conditions d'exploitation, avec deux particularités :

- il n'y a pas d'avis préalable de la CNCTR,

- le délai maximum d'exploitation après le recueil est porté à six mois.

L'autorisation est donnée par le Premier ministre. La CNCTR, est tenue informé.

En cas des flux internationaux dont les deux extrémités sont étrangères, les autorisations seront délivrées par le Premier ministre, ou l'un de ses délégués, sans avis préalable de la CNCTR. Le Conseil constitutionnel n'avait pas contesté cette procédure d'autorisation.

Trois niveaux d'autorisation sont prévus :

- d'abord, le Premier ministre désignera les systèmes de communication sur lesquels l'interception est autorisée, cette décision sera motivée ;

- ensuite, le Premier ministre pourra autoriser l'exploitation non individualisée des données de connexion interceptées pour une durée d'un an renouvelable. L'autorisation désignera notamment les types de traitement automatisés pouvant être mis en oeuvre, en précisant leur objet. Ce travail est important pour rechercher les profils et comportements suspects en amont ;

- enfin, le Premier ministre pourra donner des autorisations d'exploitation portant soit sur les correspondances, soit sur les données de connexion. Valables quatre mois et renouvelables, elles préciseront notamment les zones géographiques, les organisations ou les personnes ou groupes de personnes concernés.

- enfin, ces deux dernières autorisations précisent le ou les finalités visées à l'article L.811-3 poursuivies ainsi que le ou les services de renseignement chargés de l'exploitation.

S'agissant des flux internationaux, dont le régime constitue une dérogation au droit commun, la proposition de loi apporte les garanties exigées par le Conseil constitutionnel et précise les modalités de contrôle.

La protection particulière dont bénéficient certaines professions (avocats, magistrats, journalistes, parlementaires) est étendue aux mesures de surveillance internationale lorsqu'il s'agit d'une profession exercée en France.

Les durées de conservation des données sont plus étendues que pour les interceptions réalisées sur le territoire national. En effet, la surveillance des communications électroniques est le seul moyen d'obtenir ou de confirmer des informations, alors que, sur le territoire national, des moyens complémentaires d'investigation peuvent être engagés. Les données recueillies sont souvent en langue étrangère. Ensuite, elles permettent de reconstituer a posteriori des parcours individuels et ces analyses supposent un certain recul.

Les renseignements collectés seront ainsi détruits à l'issue d'une durée de :

- un an, à compter de leur première exploitation, pour les correspondances (six mois pour les correspondances mixtes), dans la limite d'une durée de quatre ans à compter de leur recueil ;

- six ans à compter de leur recueil pour les données de connexion.

Enfin, le contrôle externe repose sur la CNCTR et sur un contrôle juridictionnel. Toutes les autorisations délivrées lui sont communiquées et un accès permanent, complet et direct aux dispositifs de traçabilité, ainsi qu'aux renseignements collectés, aux transcriptions et aux extractions lui est donné. Elle peut ainsi procéder à toutes les vérifications nécessaires. En cas d'irrégularité constatée, la CNCTR adressera une recommandation au Premier ministre pour mettre fin à cette surveillance et s'il n'y donne pas suite, le Conseil d'État pourra être saisi dans les conditions du droit commun.

Dans son avis rendu en assemblée générale le 15 octobre, sur la proposition de loi de M. Bas qui reprend à quelques détails près celle des députés, le Conseil d'Etat observe qu'elle répond « aux exigences qui découlent de la décision du Conseil constitutionnel » et qu'elle est compatible tant avec la jurisprudence du juge constitutionnel qu'avec celle de la Cour européenne des droits de l'homme.

J'ai par ailleurs auditionné le Directeur général des services extérieurs et me suis entretenu avec le cabinet du ministre de la défense pour m'assurer que les dispositifs mis en place n'affaibliraient pas les capacités des services, ce qu'ils m'ont confirmé.

Je suis donc en mesure d'indiquer à la Commission que les deux conditions de départ me semblent réunies pour donner un avis favorable à l'adoption par le Sénat de la proposition de loi n° 6.

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