Intervention de Jérôme Bignon

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 12 novembre 2015 à 10h05
Loi de finances pour 2016 — Crédits biodiversité - transition énergétique - examen du rapport pour avis

Photo de Jérôme BignonJérôme Bignon, rapporteur :

Il me revient de vous présenter pour la deuxième année consécutive l'avis budgétaire relatif aux politiques de la biodiversité et de la transition énergétique. Je vous rappelle brièvement qu'il concerne les crédits de trois programmes au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » :

- le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité » ;

- le programme 159 « Information géographique et cartographique » ;

- et le programme 174 « Énergie, climat et après-mines ».

Ces trois programmes sont hétérogènes d'un point de vue budgétaire puisque le programme 113 regroupe 276 millions d'euros alors que le programme 159 n'en regroupe que 96 millions. Quant au programme 174, il s'élève à 510 millions, mais dont plus de 90 % consistent en la gestion économique et sociale de l'après-mines, comme tous les ans.

Ces trois programmes concentrent 882,8 millions d'euros, soit 13,6 % des crédits de la mission, proportion qui reste globalement stable par rapport à l'exercice précédent. S'ils ne sont pas, en volume, les programmes dotés de la plus grosse enveloppe budgétaire, ils constituent le support de réformes récentes et d'orientations politiques nouvelles, qui ont été adoptées en 2015 ou en cours d'adoption.

Après une présentation rapide des enjeux budgétaires de chacun de ces programmes, je m'attarderai quelques instants sur certains points thématiques : les enjeux marins au sein du programme 113 et le fonctionnement de l'IGN au sein du programme 159. Je crois que c'est là que peut se situer notre plus-value sur cet exercice annuel en tant que commission pour avis, étant donné que sur le plan strictement budgétaire, je suis en phase avec les observations du rapporteur de la commission des finances Jean-François Husson.

Le programme 113 « Paysage, eau et biodiversité » est le support des actions à engager au nom des feuilles de route de la transition écologique issues des conférences environnementales et de la législation en vigueur et à venir. Cela vise en particulier le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, adopté le 24 mars 2015 à l'Assemblée nationale, et le 8 juillet dernier par notre commission.

Les crédits de ce programme pour 2016 sont en légère augmentation. Ils s'établissent à 276,4 millions d'euros, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, soit environ 1% d'augmentation par rapport à l'année dernière en autorisations d'engagement et 1,5% en crédits de paiement. Il s'agit du seul programme dont les crédits augmentent un peu, ce dont il faut, je crois, se féliciter étant donné le contexte de redressement des finances publiques dans lequel nous nous trouvons et auquel il faut évidemment souscrire. Les services m'ont expliqué que les crédits supplémentaires seraient « saupoudrés » sur plusieurs priorités : la politique des sites et paysages dans le cadre du plan de reconquête des paysages, la politique des espaces marins, la politique de la trame verte et bleue et des espaces protégés, et l'indemnisation des éleveurs, suites aux dégâts commis par les grands prédateurs. Je ne suis pas convaincu que ce « saupoudrage » soit très efficace.

J'ajoute, qu'en ce qui concerne les opérateurs, les dotations sont globalement maintenues à leur niveau de 2015, mais 76 emplois sous plafond seront supprimés, ce qui pose un certain nombre de difficultés, j'y reviendrai.

Sur ce programme, je voudrais insister sur plusieurs points. Le premier est pour déplorer que l'enjeu - pourtant essentiel - du financement du nouveau grand opérateur public que sera l'Agence française pour la biodiversité, l'AFB, que le projet de loi relatif à la biodiversité vise à créer, soit de facto repoussé au prochain budget, dans la mesure où il dépend de l'adoption définitive du projet de loi. La date de création de cette nouvelle agence, toujours fixée au 1er janvier 2016, devra inévitablement être repoussée, dans le meilleur des cas au 1er janvier 2017. Cela pose des difficultés plus complexes qu'il n'y paraît puisque la mise en application de la loi nécessite des décrets en Conseil d'État soumis à de nombreuses consultations. Les préfigurateurs nous ont ainsi fait comprendre qu'il faudrait, pour tenir ces délais, aller particulièrement vite. Mais je ne veux pas être pessimiste: j'ai bien entendu le Président de la République, au moment où il a lancé la COP à l'Élysée à la rentrée, dire qu'il engagerait très vite la poursuite des travaux sur la biodiversité.

Le deuxième point est le prélèvement, cette année encore, de 175 millions d'euros sur les fonds de roulement des agences de l'eau. Ce prélèvement est d'autant plus inapproprié que les agences voient leurs missions étendues par le projet de loi sur la biodiversité.

Le troisième point concerne les moyens spécifiquement dédiés au sein de ce programme à la politique de préservation des milieux marins. Je crois en effet qu'au regard des évolutions anthropiques - il y a par exemple de plus en plus de monde sur les littoraux, aujourd'hui 8,5 millions d'habitants dans 850 communes françaises -, de l'impact du changement climatique et des nécessaires adaptations qui en découlent, la mer constitue une solution importante et solide pour le futur, tant en termes de ressources que de champ d'innovations.

En 2015, les travaux du second cycle de mise en oeuvre de la directive-cadre « Stratégie pour le milieu marin » de 2008 ont démarré, dans un objectif de révision de l'évaluation initiale des eaux marines pour 2018, sur la base d'une définition révisée du bon état écologique. Depuis 2008, le réseau de sites Natura 2000 en mer a été largement développé, ce qui fait que le réseau marin couvre désormais plus de quatre millions d'hectares. La France s'est engagée dans un programme d'acquisition de connaissances pour compléter ce réseau d'ici 2016 par des sites au-delà de la mer territoriale, conformément à ce que lui a demandé la Commission européenne. Parallèlement, la stratégie nationale de création et de gestion des aires marines protégées est mise en oeuvre depuis 2012, principalement grâce à l'action de l'Agence des aires marines protégées. Il est également important de connaître les kilomètres carrés de plateau continental en plus que la France a obtenus.

En septembre 2015, sept parcs naturels marins existent et trois missions d'études sont en cours. La création du plus grand parc naturel marin de métropole, Estuaire de la Gironde et mer des Pertuis, a été conditionnée par la création de comités géographiques locaux qui devront être mis en place après l'adoption de la loi relative à la biodiversité.

En Corse, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a demandé une accélération du processus en vue d'une création du parc mi-2016. En Martinique, l'année 2015 a été consacrée à l'élaboration du projet de parc, en concertation avec les acteurs, en vue de la tenue de l'enquête publique en 2016. On pourrait encore citer le projet de parc normano-breton.

Si le montant des crédits consacrés par le programme 113 au volet maritime enregistre, entre 2015 et 2016, une augmentation globale en volume de 1,59 million d'euros en autorisations d'engagement et de 1,19 million en crédits de paiement, cette minuscule revalorisation ne peut compenser les difficultés financières de l'AAMP, qui ne peut plus aujourd'hui garantir une mise en oeuvre pérenne de ses missions. En 2016, la subvention de l'État à l'Agence des aires marines protégées s'élève seulement à 23 millions d'euros et cette dernière pourra disposer de 158 ETPT, ce qui est quasi-stable par rapport à 2015. Un seul ETPT supplémentaire alors que deux parcs ont été créés et que deux le seront en 2016 relève de la mission impossible.

Cela affecte la crédibilité de notre politique. Un réseau complet d'aires marines protégées couvrant 20 % des eaux sous juridiction en 2020 est estimé à terme à 100 millions d'euros. Aujourd'hui nous en sommes à 16,8 %. Dans son périmètre actuel, l'AAMP devrait ainsi pouvoir compter, à court terme, sur un budget de l'ordre de 40 millions d'euros et une équipe de 400 personnes, soit plus du double de ce dont elle dispose aujourd'hui. Je partage donc la vive inquiétude du directeur de l'Agence des aires marines protégées, que j'ai entendu, et selon qui les moyens et les ressources financières dont dispose l'Agence pour 2016 la placent dans une situation de très grande difficulté. Il nous a également indiqué que, en termes de moyens humains, l'intégration de l'Agence des aires marines protégées au sein de la future Agence française pour la biodiversité ne suffira pas à apporter les moyens nécessaires, les marges de redéploiement se situant au-delà du périmètre prévu pour ce nouvel établissement.

J'en viens maintenant aux crédits du programme 159 « Information géographique et cartographique », qui ont pour objectif de permettre la définition de la politique nationale d'information géographique et sa mise en oeuvre par l'Institut national de l'information géographique et forestière, l'IGN. Ils s'élèvent à 95,83 millions d'euros, en légère baisse de 0,24 % par rapport à la LFI 2015. L'essentiel de ces crédits est destiné à la subvention pour charges de service public à l'IGN, soit 95,3 millions d'euros.

J'ai souhaité me rendre, cette année, sur le site de l'IGN à Saint-Mandé, où j'ai été très bien accueilli et où j'ai pu faire une visite complète et avoir une présentation de toutes les activités. Je vous invite à vous y rendre : il y a beaucoup de choses qui peuvent intéresser les élus locaux que nous sommes. Je trouve par ailleurs que l'État ne met pas assez en avant cet apport. Il s'agit pourtant d'un travail de très grande qualité, effectué par des ingénieurs de haut niveau, qualifiés, et qui travaillent sur des documents précieux : la plus-value est mésestimée. C'était passionnant à plusieurs titres.

Tout d'abord pour la production de données et de produits que l'IGN développe et qui sont au service de nombreuses politiques publiques comportant des enjeux d'analyse spatiale et de localisation d'objets ou d'événements. Un travail est en cours pour faire coïncider le cadastre et les données de l'IGN. Cette représentation parcellaire cadastrale unique a été lancée dans deux départements, puis elle le sera dans quinze départements tous les ans. L'IGN contribue ainsi à l'aménagement du territoire en répondant aux besoins créés par la complexité de l'aménagement urbain, des règles environnementales et aussi par la multiplication des risques naturels. Dans ce cadre, l'IGN décrit le territoire afin de rendre compte de la gestion de l'espace, de l'occupation du sol, de l'aménagement urbain, des zonages réglementaires, etc... C'est un travail effectué grâce à des logiciels, mais également en grande partie géré manuellement, grâce au traitement d'images aériennes numériques et de données « Lidar » (Light Detection And Ranging). L'Institut assure la couverture photographique aérienne régulière de l'ensemble du territoire national avec une flotte de quatre avions.

Ces données sont ensuite mises à disposition du public, des acteurs économiques ou encore et surtout des collectivités territoriales grâce à des services numériques, comme le Géoportail de l'urbanisme, qui a été créé par l'ordonnance du 20 décembre 2013 relative à l'amélioration des conditions d'accès aux documents d'urbanisme et aux servitudes d'utilité publique et qui permet de mettre à disposition et de croiser toutes les informations relatives aux différents documents d'urbanisme et autres zonages. Il est actuellement en ligne pour six départements, dont la Manche, le Pas-de-Calais ou encore le Loir-et-Cher, et sera déployé sur tout le territoire d'ici 2020. Grâce à cet outil, vous pouvez entrer une adresse et superposer tous les documents administratifs qui s'y appliquent, et d'un simple clic consulter le plan local d'urbanisme (PLU) de la zone considérée par exemple.

L'IGN contribue également au développement durable et à la protection de l'environnement via sa contribution à la connaissance statistique des milieux, des réseaux hydrographiques ou encore grâce à l'élaboration de données sur l'empreinte thermique, l'éclairage nocturne ou encore les zones à potentiel éolien. Il a par exemple un drone permettant de réaliser un plan des égouts de Paris.

L'Institut développe également des outils pour la politique des transports, à travers la production de données permettant la mise en place de réseaux intelligents et la connaissance des capacités d'intermodalités.

Je voudrais enfin insister sur le soutien apporté par l'IGN à l'innovation dans la lutte contre le changement climatique. Les applications innovantes développées par l'IGN, en partenariat avec des start-ups françaises et des PME sont assez fascinantes.

Dans la perspective de la COP 21, l'IGN a particulièrement renforcé ces partenariats. Je citerai par exemple l'accélérateur de projets IGN-Fab, lancé en 2014 pour aider les PME à développer des produits et services utilisant la description du territoire et la géolocalisation. Le deuxième appel à projets lancé au printemps 2015 a porté sur deux thématiques : le changement climatique et la prévention des risques. Quatre PME ont été sélectionnées et peuvent bénéficier des outils IGN pour développer leurs services. Ces quatre PME sont In Sun We Trust, qui est un projet de service facilitant l'accès au photovoltaïque via une plateforme en ligne (ce projet est d'autant plus stratégique que les États-Unis ont lancé un projet similaire qui pourrait arriver chez nous) ; Delair Tech, qui est un projet d'industrialisation d'une caméra aux fins d'acquisition d'images par des drones ; Open Forêt, qui est un projet de service facilitant la mise en relation entre les exploitants forestiers et les millions de petits propriétaires ; Hydratec, qui est une plateforme de modélisation des processus de transports hydrologiques.

Ces projets seront d'ailleurs présentés pendant la COP au Bourget dans la Galerie des solutions, vous pourrez les voir par vous-mêmes.

L'IGN concrétise également son soutien à l'innovation via l'initiative C3, c'est-à-dire Climate Change Challenge, qui est menée en collaboration avec de nombreux partenaires comme Météo-France, le Muséum d'histoire naturelle ou encore le CNES : les membres de cette opération seront aussi présents à la COP.

Je pourrais encore vous citer le marégraphe de Marseille où les observations effectuées par l'Institut depuis la fin du 19ème siècle ont permis de constater une élévation du niveau de la mer à Marseille de 16 cm. L'exploitation de ces données marégraphiques est riche d'enseignements dans le contexte de la lutte contre le changement climatique.

J'en viens enfin au dernier programme, le programme 174 « Énergie, climat et après-mines », dont les crédits doivent servir de support à la mise en oeuvre de la politique énergétique et à la lutte contre le changement climatique. Il est lui aussi concerné par l'adoption de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui a fixé de nouveaux objectifs à la politique énergétique de notre pays.

Le montant total des crédits demandés à ce titre pour 2016 s'élève à 510,6 millions d'euros en AE et 512,93 millions d'euros en CP, soit une baisse d'environ 6 % par rapport à 2015.

Nous ne pouvons que regretter que les crédits, qui, au sein de ce programme, sont dédiés à la politique énergétique - déjà très faibles puisqu'ils représentent 4 millions d'euros - soient en baisse de 23% par rapport à 2015. Le « souffle » voulu par le Gouvernement en matière de transition énergétique, de changement de paradigme de notre politique énergétique, sur le chemin d'une transition vers un modèle « décarboné » et durable, retombe nettement si l'on considère les moyens qui y sont attachés.

L'Ademe doit être prélevée en 2016 de 90 millions d'euros sur son fonds de roulement, ce qui, comme l'indique le rapporteur de la commission des finances, Jean-François Husson, ne met pas en péril la soutenabilité du budget de l'Agence mais risque à l'avenir de lui poser des difficultés, surtout dans la perspective de mise en oeuvre des actions supplémentaires induites par la transition énergétique, comme l'objectif de multiplication par cinq du volume de chaleur d'origine renouvelable et de récupération livré par les réseaux de chaleur entre 2012 et 2030, ce qui passe notamment par les programmes incitatifs de l'Ademe en la matière ou encore le Fonds Chaleur.

Le signal donné à travers ce prélèvement supplémentaire n'est donc pas compréhensible. S'il faut faire des économies, j'en conviens, comment pour autant faire davantage avec moins de moyens ? Comment avoir les moyens des ambitions de la transition énergétique dans ce contexte ?

Et ce qui est vrai de la politique énergétique l'est aussi pour la politique de lutte contre le changement climatique puisque les 28 millions d'euros qui y sont consacrés par l'action n° 5 sont en baisse de 6 % par rapport à l'année dernière, alors même que notre réseau de surveillance de la qualité de l'air mériterait d'avoir enfin un financement lui permettant de remplir ses missions. C'est d'autant plus paradoxal que la Commission européenne a adressé un avis motivé à la France en avril dernier, lui demandant de respecter la législation relative à la limitation de l'exposition des citoyens aux particules fines en définissant des valeurs limites spécifiques à ne pas dépasser. La Commission a en effet considéré que la France n'a pas adopté les mesures qui auraient dû être appliquées depuis 2005 pour protéger la santé de ses citoyens.

Voici les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance, mes chers collègues. Les crédits de ces programmes ne me semblent pas à la hauteur des ambitions que la France doit porter pour la COP 21 et risquent même de faire peser sur certains acteurs des charges indues les empêchant de mener à bien leurs missions. Pour toutes ces raisons, je vous proposerai un avis défavorable à ces crédits.

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