Intervention de Anne Paugam

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 novembre 2015 à 15h00
Loi de finances pour 2016 — Mission « aide publique au développement » - Audition de Mme Anne Paugam directrice générale de l'agence française de développement afd

Anne Paugam, directrice générale de l'Agence française de développement (AFD) :

Merci de me donner l'occasion de parler de l'institution que j'ai l'honneur de diriger, et qui vit effectivement des moments très mobilisateurs. Le rapprochement avec la CDC et l'ajout de 4 milliards d'euros à notre capacité de prêt, annoncé par le Président de la République en septembre, entraîneront une modification en profondeur de la dimension de l'action de l'AFD, mais aussi de son profil, en liant aide au développement et changement climatique. Le rapprochement avec la CDC doit aussi servir à renforcer la politique bilatérale française et le financement de projets climat dans les pays en développement. L'objectif est de faire de l'AFD la plus grande banque pour le développement en Europe. La moitié des 4 milliards de prêts financés en plus en 2020 devront ainsi avoir un impact mesurable en faveur du climat - on passera de 3 milliards d'euros de financements avec des co-bénéfices climat aujourd'hui à 5 milliards. Nos prêts concernent aujourd'hui l'étranger pour 6 milliards et les outre-mer français pour 1,5 milliard. Des dons supplémentaires ont aussi été annoncés ; c'est très important car certains pays ne sont pas ou peu en mesure de s'endetter. Une réforme stratégique majeure est à l'oeuvre. L'AFD deviendra l'outil bilatéral au service des priorités géostratégiques de la France, dans le champ du développement durable. Les moyens seront portés à la hauteur des enjeux du XXIe siècle. Vous m'avez assez entendue dire dans le passé que les crédits étaient insuffisants : cette fois je ne boude pas mon plaisir ! Et vous pouvez compter sur mon engagement comme sur celui de toute l'agence.

Le nouvel agenda « objectifs du développement » fixe pour but de diminuer la pauvreté et les fragilités mais aussi de rechercher de nouveaux modèles de croissance qui aient un faible impact sur le climat. Il s'agit d'articuler des financements publics et privés pour développer un tissu productif sobre en carbone et garantissant l'insertion des jeunes - c'est une priorité en Afrique. Ce continuum public-privé entre acteurs locaux et nationaux, comme le travail avec les acteurs locaux, est consacré dans ce nouvel objectif stratégique.

La compétence des projets d'aide à la gouvernance, actuellement gérés par le ministère des Affaires Etrangères, a été transférée à l'AFD, ce qui est cohérent avec les objectifs de développement durable tels qu'ils ont été réaffirmés à New York et à Addis-Abeba.

Au plan opérationnel, pour la déclinaison de ces financements supplémentaires, le premier axe stratégique est de faire tout ce qu'il est possible de faire en Afrique, y compris dans les pays les plus pauvres. Ce n'est certes pas le plus facile, mais ce continent demeure au coeur de la relation bilatérale et de notre stratégie pour des raisons évidentes de proximité et d'interdépendance ; les questions de migrations, de pandémies nous concernent... Le problème que nous rencontrons en Afrique subsaharienne n'est pas tellement les limites de nos fonds propres, mais la capacité souvent limitée des pays à s'endetter. Pour ne pas les surendetter, il faut compléter les prêts par des dons. Il manque également des projets viables financièrement.

Notre deuxième axe sera d'étendre notre activité dans une douzaine de géographies, comme le Maroc, la Tunisie ou l'Afrique du Sud, mais aussi la Colombie, l'Indonésie et la Chine, où notre action est actuellement bridée. En renforçant nos fonds propres en 2013, nous étions sortis d'une impasse, dans laquelle nous ne pouvions plus rien prêter à la Tunisie et au Maroc. Nous allons pouvoir maintenant changer d'échelle, passant dans ces deux pays de 100 ou 120 millions d'euros à 200, voire 300 millions envisageables, ce qui reste encore modeste.

Le troisième pilier de notre action sera d'ouvrir de nouvelles géographies où exercer notre mandat : aider à la croissance verte et solidaire, et favoriser l'insertion, la coopération plutôt que la concurrence.

Cela suppose des moyens humains supplémentaires. J'espère également que le rapprochement avec la CDC, grâce à des synergies opérationnelles, permettra d'être plus en prise avec les acteurs sur le territoire français, collectivités et entreprises, pour mieux projeter nos savoir-faire à l'étranger - même s'il ne faut pas nous confondre avec une banque du commerce extérieur.

Je ne veux pas préjuger des résultats des travaux actuellement menés, mais la lettre de mission du préfigurateur cite les critères importants à prendre en compte, outre la capacité financière accrue : maintien de la notoriété, de l'image, du nom et de la capacité à agir sur la scène internationale. Nous pouvons nous targuer d'un considérable travail d'influence dans le concert des bailleurs de fonds, comme sur la définition exacte d'un projet climat et développement. Autre critère mentionné, le maintien des liens avec notre filiale Proparco comme avec l'exécutif. Avec ce dernier, les liens sont aujourd'hui très forts : le directeur général, en vertu de l'article 13 de la Constitution, est nommé par le Président de la République et approuvé par les commissions compétentes du Parlement ; représentants du pouvoir exécutif et parlementaires sont présents dans le conseil d'administration. C'est normal pour l'un des outils de la politique étrangère de la France. Il ne faudrait pas qu'un retrait ne fasse peser des risques sur la pertinence de notre action, et donc sur nos crédits budgétaires, qu'il s'agisse de bonification ou de dons. Nous sommes un outil de l'action publique, au service de la politique bilatérale de la France.

Notre capacité de prêt augmentera de 4 milliards d'euros d'ici 2020, avec une première marche en 2016, non négligeable : 700 millions d'engagements en plus, contre 200 millions prévus dans le contrat d'objectifs et de moyens. Mais ces engagements doivent s'accompagner de bonifications inscrites au programme 110 (qu'en accord avec la direction du Trésor, nous évaluons à 285 millions d'euros d'AE, soit 35 millions d'euros de plus), et de ressources à conditions spéciales (RCS) à hauteur de 468 millions d'euros en autorisations d'engagements, soit 68 millions d'euros d'AE de plus.

Sans ces crédits de bonification, il nous faudrait nous réorienter complètement, offrir des prêts surtout aux grands émergents, pays qui ne bénéficient pas de bonification, la Chine, l'Inde ou le Brésil, où nous menons des projets sans un centime du contribuable. Le Gouvernement aurait l'intention de déposer un amendement pour débloquer les bonifications nécessaires à nos interventions en Afrique et dans les pays méditerranéens à revenu intermédiaire.

Les 200 millions d'euros prévus pour les dons au programme 209 étaient insuffisants. Un amendement du Gouvernement y ajoute 50 millions d'euros plutôt fléchés pour les agences internationales et les réfugiés ; et 100 millions d'euros de recettes de la taxe sur les transactions financières (TTF) seraient affectés à l'adaptation au climat, dont 50 millions délégués à l'AFD. L'adaptation au changement climatique, c'est un projet de développement : l'impact économique et social est manifeste. Un amendement parlementaire affecterait 25 % du produit de la TTF à l'AFD - soit entre 230 et 260 millions - opportunité exceptionnelle et bienvenue pour approfondir notre action dans les pays vulnérables. Ces moyens seront consacrés à des sujets qui touchent les Français : migrations, insécurité, sécurité alimentaire, inondations,...

Comment utiliserons-nous ces nouveaux financements ? Nous sommes prêts à mettre en oeuvre la totalité des sommes, en démultipliant notre action en Afrique, pour laquelle nous disposons d'un portefeuille de projets en réserve, notamment pour 400 millions d'euros au Sahel, concernant la démographie, la sécurité alimentaire, la lutte contre le chômage, ou notre nouvelle compétence sur la gouvernance. Nous mobiliserons des outils financiers pour développer les très petites entreprises et l'entreprenariat social. Nous lutterons contre l'influence des réseaux islamistes et pour l'insertion des jeunes ; nous préparerons des outils de réaction rapide contre les risques naturels ou épidémiologiques, comme avec Ebola. Nous avons accompagné des pays africains parmi les moins avancés et de petits État insulaires dans l'écriture de leurs Intended Nationally Determined Contributions (INDC), qu'il faut rendre maintenant opérationnelles.

Je me réjouis de ce changement d'échelle à la fois pour les prêts et pour les dons, car les deux sont indispensables, non pas pour faire du chiffre, mais pour maximiser l'impact, pour aider les plus pauvres et pour l'influence de la France. Cela impliquera de profonds changements pour nous. Le personnel est globalement très mobilisé car il y voit un renforcement de notre capacité d'agir, dans l'intérêt bien compris de la France.

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